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Billet de blog 5 juillet 2025

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Algérie, l’ère des bassines à géomembranes

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Algérie, l’ère des bassines à géomembranes

Djamel Belaïd 5 juillet 2025

Partout en Algérie, on creuse. Pas pour trouver du pétrole mais pour stocker de l’eau dans d’immenses bassines de la taille de terrains de football. Des bassines au nord ou plus au sud où l’évaporation prélève une partie de leur contenu.
Sur les réseaux sociaux une nouvelle catégorie d’entrepreneurs est apparue : les spécialistes de la pose de géomembranes tapissant ces immenses excavations dans le sol.

Ils vantent la qualité des géomembranes utilisées, « un millimètre d’épaisseur garantie » indique l’un. Un autre met en ligne l’opération de soudure entre deux bandes de géomembrane. Sur la pente d’une bassine deux employées progressent le long d’une échelle en maniant une sorte de gros fer à repasser qui permet de souder les bords de deux bandes de la membrane noire. La qualité de l’opération détermine l’étanchéité future de la bassine.

Auparavant, tout autour de celle-ci ont été déposés les longs rouleaux de géomembrane. L’opération n’est pas simple, il s’agit de les dérouler vers le fond de la bassine tout en s’assurant que l’extrémité de la géomembrane reste fixée au sommet. Aussi, ces entrepreneurs creusent-ils tout autour de la bassine une tranchée où est enfouie un mètre de membrane.

Recouvrir les parois de la bassine est un art. Au défi de la gravité, s’ajoute la nécessité de réduire au maximum les découpes de géomembrane dans les angles.

Vient ensuite le jour J du remplissage de la bassine. Une opération qui nécessite de disposer d’un forage. Une fois la pompe mise en marche, tout en haut de la bassine un tuyau crache un flot d’eau. Une quantité d’eau qui semble insignifiante face au volume de la bassine dont la profondeur peut atteindre une dizaine de mètres.

Dans les Aurès, là où agriculteurs et investisseurs ont découvert la culture de la pomme, d’immenses bassines ont été creusées. Il y a quelques années, un investisseur confiait à la presse « on a mis des mois à la remplir ».

Le creusement des bassines fait également appel à des engins de chantiers.

Telle la construction à l’envers d’une pyramide égyptienne, durant des semaines le sol est décapé et la terre remontée en surface grâce à une rampe provisoire. Une partie de la terre est répartie tout autour de la future bassine. Le défi est d’obtenir des pentes à la surface régulière. Un travail qui ne s’improvise pas.

A Naâma, des bassines en pleine steppe

En cette veille de 5 juillet, les autorités de la wilaya de Naâma ont décidé une remise officielles des titres de concessions agricoles à des investisseurs.

Face aux caméras d’Ennahar Tv, coiffé d’un chapeau de paille le wali s’extasie des réalisations entreprises par les investisseurs. Il donne l’exemple d’un de ces investisseurs qui en l’espace d’une année a installé une rampe pivot qui lui permet d’irriguer un champ de pomme de terre. Le wali évoque les bassines creusées au niveau de ce périmètre de mise en valeur.

Un de ces investisseurs a bénéficié d’une concession de 800 hectares et de deux cent mètres linéaires de forage.

D’autres investisseurs de taille plus modeste utilisent des kits d’aspersion pour irriguer leur champ de pomme de terre.

Qui sont ces investisseurs ? De nombreuses études universitaires évoquent des « entrepreneurs itinérants » de la région de Mascara. Depuis longtemps spécialisés dans la culture de la pomme de terre et des oignons, ils se déplacent à la recherche de « terres vierges » indemnes de parasites et de terres riches en nappe d’eau souterraine.

La typologie des investisseurs et agriculteurs bénéficiant ce 4 juillet 2025 de concessions agricoles sera à faire par des universitaires. Elle pourrait être riche d’enseignements. Il est étonnant qu’en cette veille de date de l’indépendance, soit glorifiée l’attribution de 800 hectares de terre à un seul investisseur. L’adhésion de la paysannerie algérienne au FLN et ALN est liée à la promesse de restitutions des terres spoliées par la colonisation.

A Naâma, quelle durabilité des bassines ?

Contre le vent et ses effets desséchants, certains champs de pomme de terre sont bordés d’une ligne de plants de maïs devant faire office de brise-vent. Mais nulle trace de plantations d’arbres faisant office de brise-vent. Nulle trace également dans le discours du wali, des représentants des services agricoles et de ceux de l’hydraulique de la nécessité de protéger le sol contre l’érosion éolienne. Le sol de la région est constitué d’une épaisse couche de limon ce qui aiguise l’appétit des investisseurs. Problème, ce limon est sensible à l’érosion éolienne et c’est lui que les Parisiens retrouvent déposés sur leur pare-brise à chaque « vent de sable » venus du Sahara.

Nulle trace dans les discours officiels de la nécessité de préserver la matière organique du sol. Partout c’est le règne de « l’agriculture minière », après la récolte des céréales la paille est systématiquement exportée hors des parcelles. Vendue aux éleveurs, son rapport est aussi intéressant que le grain lors des périodes de soudure.

La wilaya de Naâma est limitrophe du Maroc, pays qui a connu 7 années de sécheresse. Celle-ci ne s’est bien sûr pas arrêtée à la frontière. Les pluies ont considérablement diminué, de même que le niveau des réserves d’eau dans les nappes souterraines.

Au Maroc, du fait du manque d’eau, les agriculteurs ont arrêté l’irrigation par aspersion pour passer à l’irrigation localisée, un moyen plus économe d’utiliser l’eau. A Naâma, nulle trace d’irrigation localisée. Le mode d’aspersion est dominant que ce soit par rampe pivot ou kit d’aspersion.

On peut se demander quelle est la durabilité de ce type d’agriculture.

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