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Billet de blog 6 juillet 2025

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Algérie, Lounis Hamitouche, le roi du yaourt n’est plus

En Algérie, le roi du yaourt n’est plus. Agé de 79 ans, Lounis Hamitouche est décédé le 19 avril dernier en France à la suite d’une longue maladie. Ce natif de Chellata en Kabylie a su bâtir l’une des plus grandes laiteries d’Algérie et bénéficier des subventions et aides publiques.

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Algérie, le roi du yaourt n’est plus

Djamel Belaïd 6 juillet 2025

En Algérie, le roi du yaourt n’est plus. Agé de 79 ans, Lounis Hamitouche est décédé le 19 avril dernier en France à la suite d’une longue maladie. Ce natif de Chellata en Kabylie a su bâtir l’une des plus grandes laiteries d’Algérie et bénéficier des subventions et aides publiques.

De transporteur à patron de laiterie

En 1969, le jeune Lounis décide de quitter sa Kabylie natale et de monter sur la capitale. A 23 ans, il se fait routier et transporte des marchandises partout en Algérie. Avec ses économies il achète un premier camion et finira par en posséder 4 autres.  A l’époque il existe à proximité de Tizi Ouzou un complexe textile d’Etat prospère. Il décide alors de se lancer dans le textile. Il vend son entreprise de transport et achète une machine à tisser. La concurrence des produits importés lui sera fatale.  

Un proche lui fait remarquer que les yaourts semblent être un filon de bon rapport. Il choisit de se lancer dans l’aventure et apprend sur le tas.
« Nous étions obligés de jeter nos premières productions tellement elles étaient ratées ! » confie-t-il en 2021 à Jeune Afrique.

Progressivement la production de yaourts se développe.

Dès 1993 la Laiterie Soummam revendique une production journalière de 20 000 yaourts et 20 ouvriers. Trois ans plus tard, ce sont quotidiennement 120 000 yaourts qui sortent de l’usine.  Entre temps, les effectifs de l’entreprise sont passés à 60 ouvriers.

Jeune Afrique à retracé son parcours : « En 2000, il monte une nouvelle usine, puis une autre qui s’étend sur 17 hectares pour la production de fromage et de lait stérilisé pour un montant de 180 millions d’euros. »

L’hebdomadaire ajoute : « Et la demande est de plus en plus forte. Lounis Hamitouche emprunte 20 millions de dinars (125 000 euros) auprès d’une banque et investit dans de nouvelles machines. »

Outre la poudre de lait, il faut à la laiterie du lait frais pour produire yaourts et autres déserts lactés. Lounis Hamitouche se lance alors dans le recrutement d’éleveurs. Dans la région existe une forte tradition de production laitière. A la production des étables des zones de plaine de la Kabylie viennent s’ajouter celles des petites exploitations de montagne. A la faveur de programmes du ministère algérien de l’agriculture, la laiterie se lance dans l’importation de génisses en provenance d’élevages français. Lounis Hamitouche affecte ces animaux aux éleveurs souhaitant s’agrandir et leur indique qu’ils peuvent le rembourser à travers le lait qu’ils livrent à la laiterie.  Le succès est immédiat bien que la concurrence soit rude entre laiteries.

Aussi il multiplie les actions à même de fidéliser ces éleveurs à travers la vente de matériel et de suivi technique.

En 2025, la laiterie indiquait avoir distribué 72 500 génisses. Pour conquérir les régions voisines de la Kabylie, l’expérience de Lounis Hamitouche dans le transport sera capitale. Il propose à des jeunes sans emploi l’occasion d’acquérir en leasing un camion et de transporter ses produits à travers tout le pays.

Petit patron devenu grand

En 2007, le rachat en commun avec le groupe français Lactalis de la laiterie du groupe public Giplait de Beni Tamou (Blida) permet à la Laiterie Soummam d’élargir son périmètre d’activité.

Quelques années plus tard, le journal en ligne Alger Républicain se fait écho d’un article du quotidien El Watan et titre : « Le grand saccage de la Laiterie de Beni Tamou après son bradage à des prédateurs étranger et algérien ».

La laiterie s’étend sur 7 hectares et est décrite par la presse comme « un véritable complexe industriel » .

Suite au rachat, Le nombre d’employés passe alors de 760 à 460. El Watan dénonce le sort des machines : « l’une, (Lopack) mise en panne et délaissée dehors sous les intempéries, et l’autre, (Arcil, acquise à 18 milliards), transférée à la laiterie de Soummam, à Akbou, pour la production de la pâte fraîche ». Une pâte indispensable pour la confection de « petit suisse », un produit qui assurait 70% des bénéfice de l’entreprise défunte.

En décembre 2013 la Laiterie Soummam cède ses parts à Lactalis. Une note de la nouvelle direction annonce aux employés que « la laiterie de Beni Tamou a été rattachée à 100% à Célia Algérie ».

Une foule immense à ses funérailles

Une foule immense a assisté aux funérailles du fondateur de la laiterie. Le site en ligne TSA-indique que « Selon des sources sûres, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, a chargé le président du Conseil du renouveau économique algérien (CREA), Kamel Moula, de transmettre ses condoléances aux enfants du défunt. »

Lounis Hamitouche s’est particulièrement distingué lors de la crise du COVID-19. A cette occasion il a contribué à l’acquisition de générateurs d’oxygène par des hôpitaux.

Il est « l’une des plus grandes fortunes du pays » selon TSA a également été à l’origine d’opérations humanitaires après les incendies qui ont touché la Kabylie ou de dotations d’hôpitaux en ambulances.  

Concurrence entre laiteries

En Algérie, la concurrence entre laiteries est féroce. Danone Djurdjura Algérie est présente en Kabylie et constitue un concurrent sérieux à la Laiterie Soummam toutes deux installées dans la zone industrielle de Taharacht.  En 2013, Jean-Yves Broussy[1], le directeur général de la filiale locale de Danone déclarait : « Les relations sont bonnes avec l’ensemble des industriels, d’Akbou à Béjaïa. La concurrence est saine ». Il ajoutait : « Nous apportons notre expertise internationale tout en maintenant une dimension locale ». L’entreprise utilise des normes européennes avec lesquelles certains éleveurs ont du mal à se conformer.

En fait, en off les dirigeants de Danone Djurdjura considèrent que leur entreprise « fait face à la concurrence déloyale des autres producteurs laitiers (Soummam, ORLAC, Tifra lait, Paturage, Tassita, Le fermier…) qui, grâce à leurs faibles exigences en termes de qualité, arrivent à attirer des éleveurs qui travaillaient habituellement avec Danone ».  Des propos rapportés par les chercheurs Achabou Mohamed Akli, Abrika Belaid en 2016 à l’occasion d’une étude sur le Programme d’Appui aux Eleveurs de Danone Djurdjura.

Danone Djurdjura demande en effet aux éleveurs de fournir un lait répondant à des conditions d’hygiène bien précises : absence d’antibiotique, faible acidité, taux de germes inférieur à 100 000 germes.

L’étude en question note que « Deux éleveurs ont préféré quitter le programme de Danone pour rejoindre les concurrents ». Le premier indique « j’ai mis fin à ma collaboration avec Danone pour travailler avec Amioud qui propose un prix plus intéressant. J’ai aussi quitté Danone par rapport à l’éloignement, l’isolement ; sinon, je n’ai aucun autre problème ». Le second témoigne que : « Danone n’offre pas un prix conséquent au regard de la qualité qu’elle exige de nous. J’ai donc négocié avec Soummam, cette dernière a d’ailleurs payé la redevance restante à Danone ».

Sécuriser la collecte de lait

Face à l’irrégularité des approvisionnements en lait, Lounis Hamitouche se lance progressivement dans l’intégration verticale afin de sécuriser l’accès à la matière première.

Dans un premier temps, il s’associe avec des agriculteurs de la riche région de Constantine pour moderniser la production de fourrages. Il acquiert du matériel pour conditionner les fourrages sous forme de balles rondes enrubannées. Il confiera plus tard à la presse que ce sont des agriculteurs constantinois qui l’ont informé de nouvelles possibilités de conditionner du fourrage. Du fourrage vert peut être conservé deux années de suite à condition qu’il soit protégé par un film plastique hermétique.

Par la suite, il acquiert progressivement des terres agricoles et y installe des étables. En 2025, la laiterie disposera de 7 fermes au nord du pays et une concession agricole de 2 000 hectares au sud. Il investit dans une usine d’aliments du bétail.

Au niveau de ses fermes, il ne se contente pas de produire du lait, il crée une « pépinière de génisses » de 2 000 têtes pour renouveler le cheptel de ses étables mais également celui de des éleveurs adhérents à la laiterie.

Cette intégration verticale s’avère particulièrement rentable. Au-delà d’une sécurité d’approvisionnement en lait frais indispensable à la qualité des yaourts produit, il cumule différentes primes publiques : celles relatives à chaque litre de lait produit, celles liées à la collecte du lait, enfin celles liée à la transformation du lait. Ce qui permet la mise sur le marché de « 138 références produits ».

Laiterie Soummam, « Vous êtes une locomotive »

La scène se passe en décembre 2022 à la Foire de la production nationale d’Alger et est rapportée par la Télévision algérienne. Le président Tebboune s’arrête longuement au niveau du stand de la Laiterie Soummam.

Après avoir écouté les explications du représentant de la laiterie, le président algérien assure la laiterie du soutien de l’État et n’hésite pas à la montrer en exemple en déclarant : « Vous êtes une locomotive ».

Le président Tebboune insiste cependant pour que soit utilisée moins de poudre de lait. Les importations coûtent chaque année 1,4 milliard de dollars à l’économie algérienne.

A propos de la poudre de lait, le président précise : « Nous devons la laisser pour la consommation du citoyen sous forme de lait », précisant à propos des industries laitières : « Je pense qu’une industrie comme celle-là n’a pas besoin de poudre de lait ».

La laiterie a investi dans 7 fermes en Algérie : « Ce sont nos fermes, des fermes modèles avec une technologie moderne. Et nous offrons tous les moyens pour que les agriculteurs de ces régions produisent de la même façon ».

Le président Tebboune se félicite des 16 000 vaches laitières détenues par la Laiterie.

Alors que le représentant de la laiterie parle d’un taux d’intégration de 25 % de lait frais, le président rétorque : « Le consommateur algérien a le droit au fromage, au Camembert, au yaourt. Mais la poudre de lait, on l’utilise pour les produits à prix subventionnés, donc faites attention, essayez de diminuer un peu ».

Se tournant vers le ministre de l’Agriculture, le chef de l’État annonce que le ministère de l’Agriculture est en « discussion avec des investisseurs du Proche-Orient pour développer des fermes de 10.000 à 12.000 vaches » en Algérie.

« Si vous voulez vous intégrer à ce type de projets, cela est possible », propose le président Abdelmadjid Tebboune ajoutant en s’adressant au ministre : « Si vous voulez un terrain à Adrar, à Ménéa ou à Aïn Salah, donnez-leur tout de suite. Je préfère qu’il bénéficie d’une concession et que le sol produise et qu’il mette en valeur la terre et produise du lait au lieu d’utiliser la poudre de lait ».

Confiant, le président Tebboune propose alors : « Si vous devez élever 10.000 vaches, demandez 10.000 hectares ». Ajoutant : « C’est sans problème. Moi, je vous assure que vous les aurez ».

Réduction de la collecte de lait

Les difficultés de collecte de lait frais de la Laiterie Soummam ne sont pas nouvelles. Lors de la précédente foire de la production nationale en décembre 2021, le patron de cette laiterie en avait fait part au premier ministre Aïmene Benabderrahmane.

À cette occasion, il avait fait d’étonnantes révélations. « Nous avons distribué 15.000 vaches à des agriculteurs. La moitié a été vendue. Certains se sont mariés (avec l’argent de la vente), d’autres sont partis en pèlerinage ».

En 2021, la collecte de lait frais de la laiterie est passée de 700.000 litres à 400 000 litres. En cause la hausse des prix du fourrage. De nombreux élevages ne possèdent pas l’assiette foncière suffisante pour leur production. Actuellement, la laiterie revendique une collecte de 500 000 litres de lait auprès de 5 700 éleveurs et grâce à un réseau de 48 centres de collecte ainsi que 38 camions isothermes.

Capitaine d'industrie?

Le succès de la Laiterie Soummam vient de la capacité de son fondateur d’avoir saisi le moment opportun pour développer son activité. La demande locale était en pleine expansion. Il a su proposer un produit de qualité en utilisant préférentiellement du lait frais à la place de la seule poudre de lait comme certains de ses concurrents. L’accueil des consommateurs sera très favorable, bien que certains observateurs l’aient accusé de jouer sur la fibre régionaliste.

Il a su être à l’écoute des éleveurs en répondant à leur demande tant en animaux qu’en approvisionnement en fourrage et aliments du bétail.

Il bénéficiera également du fort soutien des pouvoirs publics à la filière et du vent de libération des années 1980 en rachetant à un prix intéressant un concurrent appartenant au secteur public. Enfin, son expérience dans le transport s’avérera déterminante pour conquérir le marché national.

[1] Jeune Afrique 26 décembre 2013. Les stars du business kabyles, véritables fleurons nationaux.

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