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Billet de blog 8 octobre 2025

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Algérie, des agriculteurs privilégient le mouton au détriment du blé

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Algérie, les agriculteurs privilégient l'élevage du mouton et délèguent à l'Etat l'importation  du blé
Djamel BELAID 8 octobre 2025
Pour l'étranger qui voyage en Algérie, deux particularités lui sautent aux yeux : partout le long des routes, des écoliers se rendant ou allant à l'école et des moutons partout dans les champs ou au bord des routes. Quelle place reste-t-il pour la culture du blé ?

Jeune agronome alors conseiller technique affecté dans un domaine autogéré dans les Aurès, il nous a été donné de voir la pression exercée par les éleveurs de moutons. Un ouvrier était arrivé  en courant pour avertir le directeur qu'un berger avait laissé ses moutons brouter la bordure d'une parcelle de blé éloignée. Il demandait d'intervenir de peur que ce berger ne soit imité par d'autres.
Il ne s'agissait pas, dans ce cas précis, de troupeaux de plusieurs centaines de moutons mais de ces troupeaux d'une trentaine de têtes appartenant à des personnes sans emploi et sans terre. Aussi leur seule solution était la vaine pâture sur les terrains pierreux non cultivables ou les bordures des champs lorsqu'ils avaient la certitude d'une impunité. 

40% des terres céréalières en jachère pâturée
Parfois ce sont les exploitants agricoles eux-mêmes qui privilégient l'élevage du mouton aux dépends des céréales. C'est le cas des régions céréalières de l'intérieur du pays où subsiste la jachère pâturée. Une pratique qui consiste à mettre une année sur deux la terre « en repos ». La flore spontannée qui pousse sur ces parcelles est alors utilisé pour acceuillir le troupeau de l'agriculteur ou celui d'éleveurs moyennant rétribution.

Pas de restitution des pailles au sol
Le voyageur étranger parcourant l'Algérie pourra observer d'autres particularités. Les moissonneuses-batteuses ne possèdent pas de broyeur intégré. On n'observe pas ce nuage caractéristique de brins de paille broyée à l'arrière des engins de récolte lors de la moisson.  Ils sont immédiatement suivis de tracteurs tirant des botteleuses afin de récolter la paille. Une paille conditionnée sous forme de bottes et qui peuvent constituer d'immenses pyramides et qui servira à nourrir les moutons en hiver.

Haro sur les chaumes de céréales
Une fois passées les botteleuses, les champs sont la proie des moutons avides de trouver de la nourriture alors qu'en juillet l'herbe des jachères n'est plus qu'un lointain souvenir.  
Les brebis les plus jeunes se précipitent vers les chaumes, ces restes de tiges de blé,  tandis que  les plus âgées vont à la recherche des épis de blé que les moissonneuses-batteuses auront parfois épargnées.
Lorsqu'au printemps les pluies ne sont pas au rendez-vous et que les parcelles de blé sont sinistrées du fait de la sécheresse, selon sa hauteur, le blé en herbe est fauché ou laissé en pâture aux hordes de moutons. C'est notamment le cas des régions à l'Ouest de l'Algérie voisines du Maroc où sévissent des sécheresses récurrentes.
D'un champ à un autre, la hauteur des chaumes est souvent inégale.  Elle est souvent plus haute lorsque l'agriculteur fait appel à un prestataire privé. Le chauffeur de la moissonneuse souhaite travailler au plus vite pour finir et aller chez un autre agriculteur, aussi il a tendance à relever la barre de coupe. L'engin avance ainsi plus vite puisqu'il enfourne moins de paille.  Mais cela ne fait pas l'affaire de l'agriculteur qui mise sur la récolte du plus grand nombre de bottes. Aussi, comme le jeu d'un chat et d'une souris, le chauffeur baisse la barre de coupe dès qu'il voit s'éloigner le propriétaire de la parcelle.

Au sud, des agneaux sous les pivots
Pour réduire les importations de blé qui se montent à 9 millions de tonnes, les services agricoles privilégient « l'agriculture saharienne »  et attribuent concessions foncières et généreuses subventions aux « investisseurs ». C'est notamment le cas à Ménea.  D'un air bravache, l'un de ces investisseurs affirme pouvoir approvisionner toute le pays en viande. Sous ses rampes pivots il ne cultive pas de blé mais des fourrages ce qui lui permet d'élever 2 000 brebis et agneaux ainsi que plusieurs centaines de dromadaires.
A l'occasion d'un reportage de la presse locale, il a souhaité bénéficier de 20 rampes pivots supplémentaires et de forages. Son but : passer à un troupeau de 20 000 agneaux et ainsi approvisionner le nord du pays en viande. Pour cela il demande aux autorités une autorisation de transport de ses futurs animaux et indique que la récente création d'autoroutes rend possible cet élevage loin des centres de consommation situés au nord. 
Il indique que s'il bénéficiait d'une autorisation de transport il pourrait engraisser les animaux maigres importés depuis les pays du Sahel « où je connais beaucoup de monde là bas » affirme-t-il.

Issues de meunerie, un business fructueuxA cette situation, s'ajoutent les détournements frauduleux de blé importé que pratiquent certaines minoteries privées.  Elles approvisionnent des réseaux qui détournent ce blé vers l'élevage ovin. Des études universitaires réalisées dans la région de Djelfa ont permis de répertorier les rations données aux moutons engraissés pour la fête de l'Aïd. A l'orge, il apparaît qu'est régulièrement associé du blé tendre ou du blé dur. 
Du fait de la pénurie de fourrages et d'aliments concentrés, les issues de meuneries telles le son de blé constituent un aliment de choix pour les éleveurs. Pour les minoteries, elles constituent une source de revenus important d'autant plus que les prix de vente sont, en partie, libres.  Sur les 9 millions de tonnes de blé consommées, à raison d'un taux moyen d'extraction de farine de l'ordre de 75% les quantités de son de blé sont énormes. La priorité accordée à l'élevage rend moins intéressant la production de farine semi-complète ou complète. Par ailleurs, certaines minoteries abaissent frauduleusement le taux d'extraction ce qui permet d'augmenter la fraction d'issues de meunerie.
Pour les autorités le défi est donc énorme d'autant plus que l'élévation du niveau de vie a entraîné une augmentation de la demande de viande sans parler du sentiment de « promotion sociale » que constitue la consommation de viande. Le défi est d'autant plus grave qu'une fraction des agriculteurs privilégient l'élevage ovin plus rémunérateur que la culture des céréales. A ce titre, ils délèguent à l'Etat le rôle d'approvisionner le pays en céréales.
Plus que jamais, l'expérience des agriculteurs français et du secteur agro-alimentaire pourrait être profitable aux deux pays. Reste à dépasser « la brouille » actuelle.

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