Sécheresse à Oued Lili (Algérie), un besoin urgent de semis direct.
Djamel Belaïd 2 juin 2025
Alors que dans le grand sud sous pivot d’irrigation la moisson de blé bat son plein, plus au nord à Oued Lili (Tiaret), les agriculteurs font triste mine. Leurs parcelles sont sinistrées, en cause la sécheresse et l’incapacité des services agricoles à proposer des alternatives à la céréaliculture pluviale.
En cette fin mai, ils sont une quinzaine à s’être réunis dans une classe d’école avec les représentants de l’Union nationale des pays algériens (syndicat maison). Une scène rapportée par la chaîne Web Midan News[1].
Parmi l’assistance, Tahar un agriculteur de Tagdemt s’adresse à la délégation et les remercie de leur venue. Particulièrement remonté de ne pouvoir rien récolter, il lance : « nous ne sommes pas des fauteurs de trouble. On demande où devons-nous pleurer et où demander nos droits ? » et il donne la réponse : « Chez le président de la république. »
Photo : Tahar, agriculteur à Tagdemt : « nous ne sommes pas des fauteurs de trouble. Il faut nous trouver des solutions »
Il ajoute à propos d’irrigation des cultures : « vous devez nous trouver des solutions, on n’a ni le droit d’approfondir les puits, ni de réaliser des forages. »
Demandes d’autorisation de forage
Un délégué explique : « Entre agriculteurs, il faut être unis pour faire entendre nos revendications et unis pour faire des douas [des invocations à la puissance divine]».
Avant la réunion, la délégation est allée voir la situation sur le terrain. En bordure de champ, le délégué départemental : « nous sommes dans la commune de [on lui souffle] Gartoufa. Nous n’avons jamais vu une telle situation. »
Il précise : « depuis 2017, on a connu 5 années sèches et 2 moyennes. » Il désigne la parcelle où la couleur ocre de la terre domine et où seuls quelques plants de blé chétifs sont disséminés ici et là. Il se saisi d’un plant avec quelques feuilles et une tige d’une trentaine de centimètres terminée par un épi rachitique.
Photo : Un délégué de l’union paysanne témoigne de l’état des cultures.
Manifestement, il s’agit d’une culture extensive. L’itinéraire se réduit le plus souvent à un passage de cover-crop avant le semis et au mieux à un labour.
La bordure de la parcelle laisse cependant apparaître quelques lignes de blé bien plus hautes que les autres. Les pluies ont donc été suffisantes pour assurer un minimum de développement des plants et donc un rendement permettant au moins les charges engagées par l’agriculteur.
Photo : La sécheresse n’explique pas tout. Certaines lignes de blé se sont mieux développées.
La sécheresse, à elle seule, n’explique donc pas l’état sinistré de la parcelle. Les essais pluriannuels réalisés à Settat (Maroc) par Rachid Mrabet[2] confirment la supériorité du semis direct par rapport au labour. Dans les cas de sécheresse, l’agriculteur arrive à produire une petite dizaine de quintaux de blé, voire assez de paille pour permettre de louer à des éleveurs de moutons la parcelle sinistrée qui n’a pu aller jusqu’à épiaison.
En général, dans les environnements semi-arides, les parcelles de blé semées à l’aide de semoirs à dents permettent une levée rapide et homogène, même si par la suite une absence de pluie peut pénaliser la culture. Une telle levée est liée au fait que le passage de la dent du semoir suivie de la roue plombeuse crée un sillon qui sert d’impluvium en collectant la pluie qui se concentre donc au niveau de l’endroit où se situe la semence. Dans le cas d’Oeud Lili et dans les conditions de l’année, il aurait été possible de faire mieux en utilisant le semis direct. Le problème de battance mérite cependant d’être pris en considération. Une croute de battance trop épaisse accumulée au fond du sillon pourrait nuire à la levée. L’exportation systématique des pailles vers l’élevage a abouti à une extrême pauvreté des sols en matière organique et explique cette destructuration du sol.
L’Algérie dispose pourtant des moyens pour faire mieux, à l’image de la disponibilité en semoirs de petite taille pour semis direct. Ceux-ci sont fabriqués localement sous licence SOLA et peuvent être tirés par les tracteurs de moyenne puissance qui sont présents dans les exploitations.
La plupart des agriculteurs ont contracté des prêts auprès des banques. La banque agricole publique BADR a reçu l’ordre présidentiel de permettre le ré-échelonnement des crédits de campagne pour une durée de trois ans suite aux deux dernières sécheresses dans la région.
L’alternative de l’agriculture de conservation
Les parcelles sinistrées concernent également des terrains en pente. Dans cette région vallonnée les collines sont nues. Pas la moindre végétation, telles des haies ou des gabions dans les ravins pouvant retenir l’eau des pluies.
Photo : Des terres soumises à l’érosion, sans haies en bordure de parcelles ni gabions dans les ravins.
Pour ces agriculteurs la solution serait de se tourner vers l’agriculture de conservation et d’arrêter le labour pour le remplacer par le semis direct. De quoi permettre au blé de résister jusqu’à 3 à 4 semaines au manque de pluie.
Les quelques exploitations en Algérie qui ont adopté cette stratégie ont diminué considérablement leurs charges de mécanisation.
Le dossier de l’agriculture de conservation semble s’être perdu dans les rouages de l’administration, puis en Algérie l’heure est à l’agriculture irriguée. L’agriculture en sec semble oubliée au profit de l’agriculture saharienne qui produit au mieux 3 millions de quintaux de blé contre 30 à 40 millions au nord.
Le drame est que personne n’est venu expliquer aux agriculteurs d’Oued Lili les adaptations nécessaires face au réchauffement climatique. Quant au voisin marocain, il vise l’emblavement d’un million d’hectares en semis direct ces prochaines années.
La diversification des revenus dans ces zones marginales pourrait passer par la valorisation du blé dur à travers la production de semoule et de pâtes alimentaires à la ferme. Mais si l’agriculteur ne livre pas sa récolte aux silos de l’office algérien des céréales, il perd le bénéfice du soutien des prix à la production. A Oued Lili, l’agriculture est à ré-inventer. Le réchauffement climatique lui en laissera-t-il le temps ?
[1] https://youtu.be/E5hKAeJaWF8?si=eRUkLlhaYIelQ_2S
[2] Rachid Mrabet 2001 Le semis direct : potentiel et limites pour une agriculture durable en Afrique du Nord. FAO. https://www.researchgate.net/publication/320854011