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Billet de blog 12 octobre 2025

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Blé entre France-Algérie, séparer le bon grain de l'ivraie

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Blé entre France-Algérie, séparer le bon grain de l'ivraie

Djamel BELAID 12 octobre 2025

Yacine El Oualid, le jeune ministre de l'agriculture récemment nommé à ce poste annonce sur les réseaux sociaux avoir reçu le dirigeant de la société italienne Bonifiche Ferraressi. Celle-ci doit cultiver 36 000 hectares de blé dur dans le désert à plus de 1500 km d'Alger. Face à une chute des revenus pétroliers l'Algérie souhaite intensifier la production locale de blé, une filière où il faudrait séparer le bon grain de l'ivraie.

Il est à craindre que les experts italiens soient étonnés lorsqu'ils vont parcourir le pays et voir comment, en Algérie, le blé est cultivé et stocké.

Fetilisation, séparer le bon grain de l'ivraie

Il y quelques années, une ménagère avait témoigné dans la presse que quand elle utilisait le blé dur que son mari agriculteur ramenait du moulin, elle n'arrivait pas à savoir s'il s'agissait de semoule ou de farine. En cause, un fort taux de grains de blé dur mitadinés. Un phénomène en partie lié au choix de la variété et à un apport insuffisant d'engrais azoté.

Actuellement, du fait du risque d'utilisation terroriste des engrais azotés comme explosifs, la distribution de ce type d'engrais est étroitement encadrée. Par ailleurs, il s'agit d'éviter qu'un partie de ces engrais vendus à prix subventionnés ne soient revendus au marché noir.

Stockage, séparer le bon grain de l'ivraie

A l'arrivée des cargaisons de blé dur dans les silos de l'Etat (pompeusement dénommés « coopératives » suite à la nationalisation en 1962 des coopératives) elles sont toutes mélangées. Certes, il existe ça et là des analyses du taux de mitadinage, mais ces résultats ne sont pas pris en compte. Résultats, les professionnels de la fabrication des pâtes et couscous se plaignent qu'il faut parfois deux quintaux de blé dur pour obtenir un quintal de semoule.

Un vaste programme de construction de silos et de 350 centres de stockage à plat est en cours. Cependant, il n'a pas été prévu d'édifier des cloisons mobiles pour séparer, au moins en deux types lots, les blés durs en fonction de leur taux de mitadinage.

Il y a plusieurs années, à Sétif, la minoterie privée Smid Tell a été à l'origine d'un partenariat avec des céréaliers et des universitaires. Les taux de mitadinage ont alors chuté et le taux de protéines a augmenté. Mais faute de bonifications à la livraison les initiateurs du projet ont émis des doutes quant à la suite de leur projet.

Monopole, séparer le bon grain de l'ivraie

Face à la médiocre qualité du blé dur local, à l'époque où les minoteries privées avaient le droit de s'approvisionner à l'étranger, il avait fallu que le ministre de l'agriculture intervienne pour que ces importateurs utilisent la production locale. Suite à une bonne récolte, les silos étaient pleins d'une récolte locale qui ne trouvait pas preneur.

Le directeur des minoteries Benamor avait indiqué à l'époque que les lots de blé local n'étaient pas triés et que des impuretés de toute sorte risquaient d'endommager les meules des moulins. Depuis, ce directeur est en prison suite à des « surfacturations » lors de l'importations de blé et le président algérien a demandé que le monopole de l'importation soit confié au seul office des céréales (OAIC).

Management, séparer le bon grain de l'ivraie

Récemment sous le slogan « We are hiring » (nous recrutons), le jeune ministre a annoncé vouloir recruter de nouvelles compétences au niveau des services agricoles.

Depuis les années 1970, l'université forme chaque année plusieurs centaines d'ingénieurs agricoles et de techniciens. Malgré de nets progrès, une partie des exploitations céréalières restent en marge du progrès agronomique. Découragés par des sécheresses récurrentes, certains céréaliers donnent aujourd'hui la priorité à l'élevage du mouton de l'Aïd au détriment des céréales. Le mouton est en effet bien plus rémunérateurs que le grain. Et le président Abdelmadjid Tebboune qui avait indiqué en 2024 qu'il n'était pas question d'importer des moutons a été obligé de changer de position pour la fête de l'Aïd 2025. En cause, les prix du mouton ont atteint dix fois la valeur du SMIC.

En 2006, suite à un partenariat de plusieurs années entre des experts australiens et la station ICARDA d'Alep (Syrie), il est apparu que l'agriculture de conservation des sols avec remplacement de la charrue par le semis direct était la solution idéale en zone semi-aride. Cependant, les cadres ayant participé à ce partenariat n'ont jamais eu « le mot à dire ». Et malgré la fabrication locale d'un modèle de semoir en partenariat avec la société SOLA, le projet est allé aux oubliettes.

Coopération, séparer le bon grain de l'ivraie

En matière de coopération, depuis des années, les délégations étrangères se succèdent dans le bureau du ministre algérien de l'agriculture. Actuellement, la stratégie algérienne évolue vers des partenariats à l'image des usines « clés en main » du président Boumédienne. Des investissements Qataris devraient permettre de produire 50% des besoins locaux en lait, d'autres d'origine turque et italienne devraient permettre de produire du blé dur.

Au milieu des années 1970, des équipes de l'INA-PG (France) ont travaillé sur une meilleure adéquation entre céréaliculture et élevage. Durant les années 2010, l'ONG française FERT a travaillé sur l'agriculture de conservation.

Si l'OAIC achète de plus en plus de blé russe, rien n'est envisagé en matière de transfert de savoir-faire vers les agriculteurs algériens.

Du fait de sa proximité la filière céréales française a une carte à jouer à condition de se défaire de cette vision qui consiste à considérer l'Algérie comme un marché où se défaire de ses excédents. Seul un partage de savoir-faire comme stipulé par l'Accord d'association entre l'Algérie et l'UE pourrait permettre une relance de la coopération céréalière entre les deux pays. Des visites d'une semaine de délégations d'agriculteurs et de techniciens algériens chez leurs homologues français seraient à envisager tant les réserves de productivité sont grandes sur la rice sud de la mer Méditerranée.

Ministres, séparer le bon grain de l'ivraie

Malgré des progrès, la filière céréales algérienne reste à la traîne par rapport aux possibilités locales.

Les pouvoirs publics ont la volonté d'assurer les besoins d'une population en augmentation. Mais, ils doivent faire avec l'appétit parfois démesuré du secteur privé qui préfère le secteur « informel ». Lors d'un récent entretien avec la presse, le président Tebboune a parlé de personnes riches en F3. Une apellation qui fait référence au nombre de pièces dans un appartement remplies de billlets de banque.

L'appui technique aux céréaliers est actuellement défectueux. Le poids des organisations professionnelles agricoles est faible. Et si chaque Algérien peut voir que l'obligation de résultats est appliquée par le président algérien, elle n'est pas appliquée aux échelons subalternes. Faudra-t-il des contrats renouvelables tous les 5 ans aux effectifs pléthorique de l'administration agricole ?

L'Algérie souhaite moderniser son agriculture et pour cela la mission a été confiée à l'ex-ministre des start-up. Côté français, à l'heure actuelle semble se dessiner le départ de l'ancien ministre français de l'intérieur,

Les filières françaises et algériennes sauront-elles se saisir de nouvelles occasions ?

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