Djamel BELAID

Ingénieur agronome

Abonné·e de Mediapart

37 Billets

0 Édition

Billet de blog 17 juin 2025

Djamel BELAID

Ingénieur agronome

Abonné·e de Mediapart

Algérie : L'urée de Sonatrach, atout méconnu du secteur agricole

En Algérie, le manque de fourrage est patent et les éleveurs de moutons se plaignent. Les consommateurs disent ne plus pouvoir acheter de la viande face à l'envolée des prix. Pourtant, le secteur de l'élevage recèle des potentialités. C'est le cas de l'urée, un produit sous-utilisé produit par la Sonatrach et largement exporté.

Djamel BELAID

Ingénieur agronome

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Algérie : L'urée de Sonatrach, atout méconnu du secteur agricole

Djamel BELAID 10 décembre 2022
Un article qui date de 2022 mais qui n'a pas perdu de son actualité.

En Algérie, le manque de fourrage est patent. Partout les éleveurs de moutons se plaignent de la situation. De
leur côté les consommateurs disent ne plus pouvoir acheter de la viande face à l'envolée des prix. Pourtant, le
secteur de l'élevage recèle des potentialités rapidement mobilisables pour améliorer l'offre en viande. C'est le
cas de l'urée, un produit sous-utilisé produit par la Sonatrach et largement exporté.


Un pays qui veut manger de la viande
Depuis une cinquantaine d'années, la hausse du niveau de vie a favorisé une transition alimentaire vers plus
de produits animaux : lait, viande, fromages, oeufs. La consommation de viande de mouton augmente
notamment durant le mois de ramadan et bien sûr avec la fête de l'Aïd El Kébir, où aujourd'hui chaque
famille désire avoir son mouton.
La tension sur la viande est telle que les services d'Etat s'orientent vers l'importation de viande en provenance
des pays du Sahel. L'augmentation du prix mondial du soja et du maïs importé ainsi que la grippe aviaire qui
décime certains élevages avicoles réduit la disponibilité en viande blanche et oeufs.
Les efforts des services agricoles ont permis une augmentation de la production de fourrages. C'est le cas de
l'extraordinaire production de maïs ensilage balles enrubannées. Mais cela ne suffit pas à combler le déficit
abyssal actuel.

Steppe et jachères, un élevage extensif
En Algérie, l'élevage ovin reste extensif, notamment en zone steppique. Les animaux consomment la flore
spontanée de parcours dégradés par une surploitation du milieu.
Les rations animales sont complétées par l'apport d'aliments concentrés, d'orge et de son de blé. La protection
sanitaire des troupeaux s'est améliorée. Cependant, on n'observe pas de sélection des brebis selon leur
aptitude à produire plus de lait ou des agneaux selon leur vitesse de croissance. Or, de simples pesées des
animaux permettraient ces opérations de sélection.
Malgré une bonne connaissance du milieu, les éleveurs ne possèdent pas les notions de base permettant la
confection de rations alimentaires équilibrées. Cette situation conduit à une sur-utilisation de l'orge en grains.
Une nécessaire complémentation des rations d'orge en azote
Les grains d'orge sont riches en énergie mais très pauvres en azote. Or, sans matières azotées, la croissance
des animaux est réduite. Les quantités d'orge sont alors mal valorisées. Un palliatif consiste en
l'incorporation d'urée à la ration des moutons. Cette même urée utilisée comme engrais. L'explication de cet
étrange usage réside dans la capacité de la microflore colonisant la panse des moutons d'utiliser les sources
d'azote non protéiques. Le tout est de respecter le dosage des apports afin d'éviter les excès et les risques
d'intoxication.


Steppe et jachères, des potentialités fourragères inexploitées
Une des pratiques courantes dans les pays d'élevage est d'épandre sur les pâtures des engrais azotés. C'est le
cas de la Nouvelle-Zélande, un pays d'élevage par excellence.
Un avantage de la technique est d'obtenir un résultat immédiat et de ne pas nécessiter de matériel particulier.
La seule précaution est de fractionner les apports afin d'éviter un trop fort lessivage de l'azote du sol par les
pluies.
En Algérie personne ne pense mettre des engrais sur la flore spontanée des jachères pâturées. L'explication
réside dans un manque de vulgarisation. Le prix des engrais et le fait que ces jachères soient louées peut
également l'absence de cette pratique. Pourtant l'enjeu n'est pas négligeable, puisqu'il concerne une large
partie des 3 000 000 d'hectares de terres à céréales laissés chaque année en jachère.
De tels épandages d'urée méritent d'être testés dans les zones steppiques les plus productives.
Certes, l'idéal serait d'épandre de l'urée sur des fourrages plus productifs que la simple flore spontanée. Mais
cette option implique un degré d'intensification supérieur et qui pourrait être envisagé dans une seconde
étape.


Des exportations croissantes d'urée et de co-produits
Depuis plusieurs années la Sonatrach et ses partenaires produisent des engrais azotés dont de l'urée. Cette
production s'effectue à de fortes pressions et températures ce qui nécessite beaucoup d'énergie. Afin de
rentabiliser les lourds investissements liés à cette production, la Sonatrach s'est lancée dans une politique
d'exportation tout azimut. D'autant plus que la flambée actuelle du prix des engrais azotés sur le marché
international peut permettre un rapide retour sur investissement.
L'urée n'est pas le seul produit exporté alors qu'il pourrait intéresser l'élevage. C'est le cas également de la
mélasse issue des industries locales de raffinage de sucre roux. En 2017, ce sont 22 000 tonnes de ce produit
qui ont été exportées.
Quand les co-produits des industries agro-alimentaires ne sont pas exportés, ils sont sous-utilisés. C'est le cas
des grignons d'olives issus de la trituration des olives. Une fois séchés et tamisés, ils peuvent servir comme
aliments du bétail d'autant plus que la pression à froid fait qu'ils restent riches en huile.
Pour la "modernisation des esprits" en agriculture
L'exemple de l'urée est là pour illustrer les potentialités de l'élevage. Nombreux sont les acteurs du secteur
agricole qui pourraient témoigner d'autres exemples où des mesures simples pourraient avoir des résultats
immédiats ou à court terme.
On assiste donc à des exportations d'urée alors que le secteur agricole est demandeur. Cette situation se
traduit par des importations d'animaux en provenance des pays du Sahel ou d'Europe. On exporte pour
importer pourrait-on résumer.
Récemment, lors de la rencontre gouvernement-walis, se tournant vers le ministre de l'agriculture, le
président Abdelmadjid Tebboune a demandé une "modernisation des esprits" dans le secteur agricole.
Espérons qu'il soit entendu...

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.