France-Algérie, Retailleau parti, vite renouer les liens
Djamel BELAID 18 octobre 2025
Le départ du gouvernement français de Bruno Retailleau offre une opportunité pour le rétablissement de relations apaisées entre France et Algérie. Il est temps de donner la priorité à l'économie. Sur le plan agricole et notamment en matière de céréales, dans les deux pays la situation est tendue. Les silos français débordent de blé et côté algérien c'est l'inverse malgré des efforts.
La sécheresse menace les champs de blé sans que les pouvoirs publics ne trouvent de parade si ce n'est l'illusion de l'irrigation. C'est oublier que pour une partie du pays, comme chez le voisin marocain comme le crie un paysan : « il n'y a plus d'eau, ni dans le ciel ni dans le sol ».
Guetter les gestes d'ouverture
Il s'agit donc de guetter les gestes de bonne volonté des deux côtés de la Méditerranée. A l'occasion de la commémoration des évènnements du 17 octobre 1961, le président Emmanuel Macron a fait un premier pas en déclarant «La France n’oublie pas ce jour sombre». Une déclaration que Le Figaro souligne de la sorte « Emmanuel Macron tente de renouer le dialogue avec Alger par un geste de mémoire ».
Quid des gestes de bonne volonté du côté algérien ? Une partie de l'opinion publique est chauffée à blanc suite au ressentiment contre l'ex-colonnisateur et aux outrances de l'extrême droite française. Confortée par de confortables mesures sociales, cette opinion reste déconnectée des enjeux économiques de l'heure. Les surenchères de certains et le manque actuel de pédagogie gouvernemental nécessiteront d'importants efforts pour expliquer un éventuel changement de camp gouvernemental.
On guettera les prochaines mesures concernant Boualem Sensal. Ses propos concernant l'intégrité du territoire algérien ont choqué de nombreuses personnes en Algérie. Pour le comprendre, l'opinion publique française et la classe politique devraient se rappeler la fermeté avec laquelle l'Etat français a toujours combattu les velléités indépendantistes corses, bretonnes ou néo-calédoniennes pour comprendre le traumatisme algérien suite aux propos de l'écrivain. Propos qui, cependant, ne justifient pas l'emprisonnement actuel.
Par ailleurs, il s'agit d'avoir en tête le retournement soudain de la position française concernant le Sahara occidental qui tranche avec le prudent équilibre qui avait prévalu jusqu'à présent.
Des défis géopolitiques
A cela, il s'agit d'évoquer les défis géopolitiques. Sur pratiquement toutes ses frontières, le pays est entouré de voisins d'où peuvent surgir des menaces.
Au delà du Maroc qui multiplie les contrats d'armement et les alliances avec différents pays, d'autres pays posent problèmes.
Sans nommer les EAU, le président Tebboune s'est récemment exprimé sur les menées de certains pays dans le Sahel.
Il a fait allusion à un État du Golfe « intervenant pour saboter le pays pour des raisons suspectes » puis il a ajouté : « Les pays du Golfe sont des frères, sauf un dont nous ne mentionnons pas le nom. Nous n’avons pas de problèmes avec nos frères saoudiens, koweïtiens ou irakiens. Nous avons des relations intensives avec le Qatar, de même avec les Omaniens. Les problèmes sont avec ceux qui viennent pour saboter chez nous pour des raisons suspectes, vouloir intervenir dans des affaires dans lesquelles de grandes puissances n’interviennent pas. »
Des défis économiques
Côté algérien, les défis économiques sont énormes. Dans les 3 ans à venir, la population devrait atteindre les 50 millions d'habitants. Chaque année, ce sont plus de 300 000 jeunes qui arrivent sur le marché de l'emploi.
Or la manne des hydrocarbures se réduit. Le président algérien a récemment déclaré que les entreprises (aciéries, cimenteries, usines d'engrais, briqueteries) devraient à l'avenir payer le gaz naturel à un prix plus élevé que celui que payent les particuliers. Un signe ne trompe pas, la fébrilité avec laquelle les autorités algériennes ont lancé des programmes pour développer le secteur minier (fer et phosphate naturel) ce qui exige de coûteux investissement pour la construction ou la rénovation de lignes de chemins de fer.
Le 14 octobre dernier l'économiste Belkacem Boukherouf a déclaré au média en ligne Maghreb Emergent de Kahdi Ihcène connu pour sa liberté de ton que : « Les budgets des ministères régaliens, la masse salariale (33 % du budget de l’État) et les transferts sociaux (28 %) restent inchangés. Quand 61 % du budget national est absorbé par les salaires et les transferts sociaux, cela ne laisse aucune marge pour l’investissement productif. » Plus grave il a ajouté que « Le pays fonctionne en pilotage automatique, sans réformes structurelles ni innovations budgétaires. »
Et lorsque qu'il lui est demandé quelles réformes seraient nécessaires pour sortir de cette impasse, l'économiste répond : « Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut du courage politique et une véritable rupture avec la logique de reconduction. Trois axes s’imposent : Réformer la fonction publique et la masse salariale. Réaffecter les ressources humaines vers des secteurs productifs, et mettre fin aux emplois budgétivores sans impact économique. »
Certains opérateurs privés restent cantonnés dans le gain facile. A plusieurs reprises le président Tebboune s'est étonné qu'un « producteur de sucre, qui est en fait un simple raffineur de sucre » ait utilisé les facilités qui lui étaient offertes pour importer 250 camions. « Des camions qui seront revendus 2 à 3 fois leur prix d'achat » a accusé le président. Il a également évoqué le cas d'opérateurs économique privés de la sphère informelle qui se targuent de posséder « un F2 ou un F3 ». Une dénomination utilisée pour indiquer le nombre de pièces remplies de billets de banques.
Quant à la France, elle n'est pas mieux lotie à l'image de son passage de triple A à A+. Deux économies en difficulté.
Des opportunités économiques
Ces dernières années, sous la mandature du président Tebboune, nul ne peut contester le virage opéré par l'économie algérienne pour se défaire de la dépendance aux hydrocarbures.
La récente Foire africaine qui s'est tenue à Alger auraient permis la signature de contrats totalisant 47 milliards de dollars entre des entreprises algériennes et africaines. Michel Bissac le président de la chambre de commerce rappelait récemment que 6 000 entreprises françaises commercent avec l'Algérie et que 400 en y sont implantées.
Vers un renouveau agricole algérien
Malgré des progrès le secteur agricole ne produit qu'une petite partie des céréales consommées (blé tendre, maïs et orge) dont les besoins augmentent du fait de l'accroissement de la population mais aussi du développement de l'élevage. Un nouveau ministre de 32 ans a été nommé pour la « modernisation de l'agriculture ». Il a notamment pour mission de répondre au retard alarmant en matière de production de céréales et d'oléagineux dans un contexte de réchauffement climatique.
Jusqu'à présent, la seule réponse des services agricoles est de fournir des semences et des engrais tout en prônant l'irrigation. Quant aux banques publiques, il leur a été ordonné l'ordre d'accorder des prêts. Or, selon les agriculteurs du sud de la wilaya de Tiaret, sur les 7 dernières années 5 ont été sèches et 2 moyennes. Il y a deux ans, les agriculteurs ont bénéficié de reports supplémentaires pour rembourser leur prêt, mais à nouveau l'an dernier ils n'ont rien récolté.
Face à cette situation, les services agricoles restent incapables de proposer des solutions alternatives telle la modernisation du dry-farming comme c'est le cas chez le voisin marocain qui vise atteindre un million d'hectares consacrés à ces nouvelles techniques. La notion d'agriculture de conservation des sols est inconnue des décideurs algérien alors que le pays est soumis à l'érosion et au réchauffement.
Manifestement, en matière de céréales, l'Algérie a besoin d'une aide étrangère. L'Italie a été appelée à l'aide pour un projet de 36 000 hectares en plein désert à Timimoun. Plus au nord, l'expertise Italienne, turque ou française seraient les bienvenues. Il existe de nombreux liens entre France et Algérie en matière agricole. Si la filière céréales française souhaite revenir sur le marché algérien, outre la qualité du grain elle se doit d'apporter un transfert de savoir-faire. Que les opérateurs français se rassurent, avec 9 millions de tonnes de blé consommées annuellement, les besoins de la rive sud de la méditerranée resteront toujours important.
Cependant, il faut en finir avec le syndrome d'Isigny* et aller vers des partenariats gagnant-gagnant.
(*) Les dirigeants de la coopérative laitière d'Isigny ont récemment dénoncé la fermeture du marché algérien qu'ils ont qualifié d'illégale au vu de l'Accord d'association UE-Algérie.