Blé en Algérie, qu'attendre de la prochaine conférence sur l'agriculture ?
Djamel BELAID 17 octobre 2025
Le ministre de l'agriculture a promis une énieme conférence sur l'agriculture. Déjà au niveau du ministère de l'agriculture, des ateliers sont organisés autour de plusieurs thèmes. Qu'attendre de cette conférence alors que le mot d'ordre actuellement entendu à Alger est « modernisation de l'agriculture » ? Décryptage et propositions.
Fin septembre, le ministre a affirmé que la modernisation était le "principal défi" du secteur agricole. Ces dernières années, plusieurs forums, assises et conférences sur l'agriculture se sont tenues en Algérie.
Ces rassemblements sont plus l'occasion d'arrêter des décisions prises au plus haut niveau qu'une véritable analyse du contexte local.
Assises nationales de l'agriculture et mandat du président Bouteflika
Parfois il s'agit d'un simulacre à l'image des « Assises nationales de l'agriculture » du 23 avril 2018 qui visaient à préparer les participants à une future nouvelle candidature du président Abdelaziz Bouteflika.
Il avait adressé un message sibyllin aux participants en affirmant : « j’aspire à consolider l’intégration de l’économie nationale dont l’agriculture fait partie et a grandement besoin. » Puis se projetant pour les mois et années à venir il ajoutait : « Je veillerai, dans ce sens, à ce que l’Etat soutienne, par toutes ses capacités, l’activité agricole afin de la propulser vers plus de progrès. »
Cependant, au delà de l'aide généreuse de l'Etat, les avancées restent en deça des nécessités de l'heure. Plus grave, la détérioration du milieu se poursuit : érosion, désertification, exploitation à outrance des nappes d'eau souterraine. A ce titre, même si le président Abdelmadjid Tebboune milite en faveur d'une réduction des importations, il n'y a pas de choc de rupture pour aller vers une agriculture durable et moins dépendante des importations.
Un forum blé dur pour acter « l'agriculture saharienne »
A la mi-avril 2023, s'est ouver à Alger un « forum sur la sécurité alimentaire en blé dur ». Le premier ministre, Aïmen Benabderrahmane était présent pour ce forum placé sous « le haut patronage du Président algérien Abdelmadjid Tebboune » notait alors l'agence de presse APS. Particularité ce forum a été organisé par le Conseil du renouveau économique algérien, l'équivalent du Medef français.
Etaient également présent Abdelaziz Khellaf, directeur de cabinet à la présidence de la république, et des membres du gouvernement. L'APS indiquait que « plusieurs thématiques dont les mécanismes à mettre en place en Algérie pour atteindre l’autosuffisance en blé dur, ainsi que la mondialisation et la sécurité alimentaire » en ajoutant que lors de ce forum le but était d’examiner « le développement d’une culture saharienne du blé dur qui soit performante et durable. » Ainsi, deux ateliers ont été organisé sur « la sécurité alimentaire et de l’agriculture en zones sahariennes. »
Si les assises nationales de l'agriculture visaient à contribuer à introniser le candidat Bouteflika, le forum sur le blé dur n'a eu comme principal objectif que d'acter le choix d'aller vers une « agriculture saharienne ». Un type d'agriculture qui repose sur l'exploitation à outrance des nappes d'eau souterraine du sud en accordant à des investisseurs privés de généreuses subventions.
Une conférence nationale en octobre
Le 24 septembre une dépêche de l'APS annonçait que le ministre de l'Agriculture du Développement rural Yacine El-Mahdi Oualid qu'une conférence nationale sur l'agriculture était prévue fin octobre prochain. Celle-ci devrait offrir « l'occasion de définir une nouvelle vision pour l'avenir de l'agriculture en Algérie, tout en évaluant l'efficacité des programmes adoptés jusqu'à présent ».
Lors d'une réunion avec les cadres du ministère le ministre a expliqué que cette conférence : » permettra de revoir les mécanismes adoptés depuis plusieurs années dans le secteur agricole et d'analyser leur efficacité, en s'appuyant sur les chiffres et les statistiques réels enregistrés au niveau local. »
Le contexte agricole de la conférence
La demande en produits agricoles augmente aussi, il nous semble qu'il est illusoire de penser satisfaire les besoins locaux en lait et en viande sur le même rythme que cela se fait en Europe ou aux USA. En Algérie, un nouveau paradigme est nécessaire avec retour à la diète méditerranéenne de nos aînés.
On assiste à une agriculture à deux vitesses avec des exploitations modernes et d'autres avec des pratiques traditionnelles avec la persistance du semis de blé manuel. A cette division se rajoute l'agriculture du nord et celle du sud ou « agriculture saharienne » dont les entrepreneurs privés bénéficient d'investissements colossaux.
Au nord du pays, les services agricoles estiment que 40% des terres céréalières sont en jachère. Actuellement, l'appui technique aux exploitations céréalières est défaillant et uniquement assuré par les grainetiers.
L'élevage bien plus rémunérateur se fait aujourd'hui aux dépends de la production des céréales.
Le contexte économique de la conférence
Pour illustrer ce contexte, il est intéressant de se pencher l'entretien qu'a accordé le 14 octobre dernier l'économiste Belkacem Boukherouf au média en ligne Maghreb Emergent. A cet occasion il a expliqué que : « Les budgets des ministères régaliens, la masse salariale (33 % du budget de l’État) et les transferts sociaux (28 %) restent inchangés. Quand 61 % du budget national est absorbé par les salaires et les transferts sociaux, cela ne laisse aucune marge pour l’investissement productif. » Plus grave il a ajouté que « Le pays fonctionne en pilotage automatique, sans réformes structurelles ni innovations budgétaires. »
Et lorsque qu'il lui est demandé quelles réformes seraient nécessaires pour sortir de cette impasse, il répond : « Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut du courage politique et une véritable rupture avec la logique de reconduction. Trois axes s’imposent : Réformer la fonction publique et la masse salariale. Réaffecter les ressources humaines vers des secteurs productifs, et mettre fin aux emplois budgétivores sans impact économique. » Ainsi propose-t-il de « Repenser l’allocation chômage. Elle ne doit pas devenir un revenu permanent. Il faut la conditionner à la formation et à la recherche active d’emploi, tout en renforçant les contrôles pour éliminer les abus. »
Contexte politique de la conférence
Lors d'un récent entretien avec la presse locale, le président Tebboune a parlé de sa lassitude pour les organismes traditionnels : « SAP, Coopératives, ... ». Il est à préciser que le terme de « coopératives » concerne essentiellement les CCLS. Ces simples dépôts régionaux de l'office des céréales (OAIC) au nom dévoyé n'ont rien de structures coopératives.
Que voulait signifier le président ? Souhaite-t-il un meilleur fonctionnement de ces structures ? Jusqu'à présent, il a été un défendeur du monopole de l'OAIC sur le commerce des céréales. Aussi, il semblerait étonnant qu'il demande une orientation libérale les concernant.
Le défi climatique
Au contexte économique, il s'agit d'ajouter celui lié au réchauffement climatique. On observe un déficit récurrent en pluie à l'ouest du pays. Sur 7 années, 5 ont été sèches et 2 moyennes affirmait cet été dans la presse locale un responsable de l'Union des paysans algériens (Unpa). Quant à Mustapha Benoui, ex-cadre du ministère de l'agriculture, à propos des agriculteurs de cette région, il a récemment affirmé sur la chaîne 3 de la radio algérienne : « nous risquons de les perdre ». Le plus alarmant est que la seule réponse de l'administration consiste à poursuivre la perfusion sous forme de dons de semences, d'engrais et de report des remboursements de prêts bancaires.
Face aux agressions contre le milieu l'introduire de mesures de « conditionnalité » permettraient d'orienter les agriculteurs vers une agriculture durable, mais cette optique n'est pas envisagée. Comme dans le cas de la politique agricole communautaire (PAC) de l'UE, l'octroi de subventions pourrait être conditionné à des mesures de protection de l'environnement : plantations de haies, abandon du labour sur les sols en pente et sur les terres des bassins versants réduction de l'emploi du labour au profit du semis direct. Pour chaque région et types d'exploitations pourrait correspondre des mesures spécifiques.
Le défi agronomique
Il s'agit de revoir l'itinéraire technique officiel copié sur le modèle ayant cours dans les zones tempérées d'Europe en l'adaptant aux zones semi-arides. Cette option implique par exemple l'emploi de techniques liées à l'agriculture de conservation des sols avec semis direct et emploi de Press Wheel.
Promouvoir l'agriculture de conservation en arrêtant des objectifs chiffrés en nombre d'hectares pour chaque wilaya (département) et en recrutant pour des contrats reconductibles de 2 ans des équipes de vulgarisateurs.
Dans le cas des semis tardifs de céréales ou de légumes secs, promouvoir l'emploi de couverts végétaux d'interculture par le choix d'espèces adaptées.
Envisager une coopération technique avec l'étranger : Italie, Espagne, France... sous forme de visites de courte durée (une semaine) d'agriculteurs et techniciens Algériens à l'étranger.
Améliorer la productivité des jachères pâturées notamment par apport d'engrais azoté et de re-semis à l'aide d'outils à dents sur lesquels sont montés des trémies à grains.
Le défi organisationnel
Le manque de subsidiarité caractérise l'organisation de l'agriculture algérienne. Certes, des progrès ont été réalisés avec l'apparition de conseils de filières et des chambres d'agriculture. Mais ces organismes sont peu associés à la définition des plans de développement nationaux ou locaux.
Accorder plus d'autonomie aux CCLS pour des projets de diversification et de rentabilité.
Accorder à des minoteries la possibilité de conclure des contrats de collecte de céréales pour des quota définis avec l'OAIC en échange d'un appui technique des exploitations.
Introduire le principe de contrats à durée déterminée (CDD) dans les services agricoles.
Le financement des activités agricoles
Le président Tebboune a demandé aux agriculteurs et investisseurs qui reçoivent des subventions, de diriger la totalité de leur production de céréales vers les CCLS. Il introduit ainsi la notion de conditionnalité,
Il devrait être demandé aux bénéficiaires de subventions de recourir aux techniques permettant de sauvegarder le milieu naturel et de lutter contre la sécheresse (plantation de haies, maintien au sol des résidus de récolte, équipement des semoirs en Press wheel, semis direct, localisation des engrais au semis...). Des objectifs précis en % de la superficie des exploitations concernées devraient être définis.
Agir sur la demande
La politique agricole actuelle vise à l'augmentation de l'offre et jamais d'agir sur une demande devenue exponentielle. Aussi-, s'agit-il de développer l'usage de la farine et semoule semi-complète et complète.
Enrichir les pâtes alimentaires de protéines végétales issues de pois chiche et de lentilles décortiquées. A terme, envisager de subventionner seulement le pain destiné aux ménages à faible revenu.
La conférence saura-t-elle proposer un nouveau type d'agriculture répondant aux défis de l'heure?