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Billet de blog 20 octobre 2025

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DEPART DE RETAILLEAU, POUR ALGER, JOUER LA CARTE NUNEZ ?

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DEPART DE RETAILLEAU, POUR ALGER, JOUER LA CARTE NUNEZ ?

Djamel BELAID 19 octobre 2025

Après le départ de Retailleau, Alger a une bonne occasion de recoller les morceaux et sauver la face en saisissant la perche tendue par le président Macron. L'économie des deux pays traverse une période difficile et le rétablissement des relations sur de nouvelles bases présente des intérêts réciproques. Problème, à 18 voix près Nuñiez n'était déjà plus ministre, aussi Alger intérêt à ne pas tergiverser.

Economie, un besoin de tourner la page

A priori, pour les deux pays, il y a un réel besoin de tourner la page. Côté français, le RN et même Edouard Philippe demandent le départ du président français. Combien est loin l'époque où seul LFI le proposer.

A l'occasion des commémorations des évènements du 17 octobre 1961, le président de Macron a fait un premier geste. Il est actuellement fragilisé et pour certains il a besoin de succès.

Du point de vu économique, la France a besoin de redresser sa balance commerciale et de réduire ces déficits. Le passage du triple A à A+ est un désaveu de la politique suivie jusqu'à présent. Le brutal virage vers le Maroc a tétanisé Alger. Ces derniers mois plus aucune cargaison de blé, de lait en poudre ou de jeunes bovins n'a été déchargée dans les ports algériens. Le problème devient préoccupant pour les céréaliers suite à la bonne récolte 2025, les silos débordent et les achats marocains ne suffiront pas à éponger les excédents.

Côté algérien, une partie de l'opinion publique est chauffée à blanc contre la France. Une étude sociologique serait certainement riche en enseignements pour préciser la position des différentes fractions de cette opinion et également celle de la diaspora algérienne en France. Celle-ci se trouve aujourd'hui prise entre deux feux.

La campagne lancée par les milieux français d'extrême droite et reprise par certains hommes politiques de droite a contribué à écorner l'image de l'Algérie en France et à l'international. Certains médias français ont abondamment jeté de l'huile sur le feu.

En s'appropriant le cas de l'emprisonnement injustifié de l'écrivain Boualem Sansal, les milieux d'extrême droite français ont trouvé un redoutable angle d'attaque. Cet écrivain âgé et atteint de cancer n'a pas sa place en prison.

Sur le plan économique et notamment agricole des liens anciens existent entre les deux pays. Des entreprises françaises sont installées en Algérie et des partenariats particulièrement adaptés ont souvent apporté une plus value à la partie algérienne. C'est le cas du projet Alban développé par Bretagne international en 2014 dans le secteur de l'élevage ou du programme européen PASA de 2024 relatif à la production d'huile d'olive notamment animé par des experts français. Ces projets ont permis de mettre sur pied des équipes d'appui technique aux agriculteurs locaux. Un modèle qu'il serait intéressant de dupliquer pour en faire bénéficier la production de céréales et l'élevage ovin. Le mouton de l'Aïd atteint un prix correspondant à 20 fois le Smic.

Ce type de projets inclusifs sont très différents de ceux récemment conclus avec des sociétés du Qatar, d'Italie ou de Turquie. Ils consistent à leur attribuer un bout de désert et à y prélever toute l'eau souterraine qu'ils souhaitent pour produire ex nihilo du lait et des céréales. On peut se demander où se situe ce transfert de savoir-faire si nécessaire à la paysannerie algérienne.

Alger, solder le contentieux avec Paris

Alger se trouve aujourd'hui débarrassé de l'encombrant ex-ministre de l'Intérieur. Pour sa part, Laurent Nuñez se démarque nettement de son prédécesseur. Il a ainsi déclaré dimanche 19 octobre sur les ondes de France-Inter : "Je n'utiliserai pas le ministère de l'Intérieur comme une tribune politique ". Pour Alger cela tranche avec les déclarations du précédent locataire de la place Beauvau et il serait intéressant de se saisir de ce momentum. Le gouvernement Lecornu II reste fragile et dans l'éventualité d'un gouvernement RN dans les mois ou années prochaines avec à sa tête Marie Le Pen – un nom qui résonne dans toutes les têtes en Algérie - Alger serait bien inspirée de solder l'actuel contentieux avec Paris. Un contentieux où se mèlent affaire Sansal ; OQTF, révision d'accords anciens, factures hospitalières et visas.

Certes, la pilule serait amère. Sur France-Inter Laurent Nuñiez a indiqué que 40% des détenus dans les centres de détention administratives sont d'origine algérienne et qu'Alger se doit de se saisir de la question.

Par ailleurs, Alger peut-il se permettre de laisser Paris en tête à tête avec le Maroc ? Celui-ci a largement profité de la « bouderie » de l'Algérie. Dans le domaine agricole 8 accords de coopération ont été récemment signés avec le Maroc et des projets français concernent également Dakhla au Sahara occidental.

Nuñiez, originaire d'Algérie

Laurent Nuñez a déclaré ce 19 octobre qu'il faut « reprendre langue [avec Alger], il faut que cela bouge. Je vais m'y atteler » en rappelant qu'une partie des dossiers concernaient également le MAE.

A part la mairie de Bourges, le nouveau ministre a déclaré ne pas avoir d'autre agenda politique. Il a fait l'ENA et se déclare prêt au dialogue.

A l'occasion d'un article d'Amel Sayad le magazine Gala dressait le 13 octobre dernier portrait sous le titre : « Laurent Nuñez : famille, études, passions… Que sait-on du nouveau ministre de l’Intérieur ? » L'article évoque notamment sa famille  : « Né à Bourges en 1964, fils de parents andalous rapatriés d’Algérie, il grandit dans un milieu modeste, entre rigueur et attachement au service public. Sa mère est institutrice, son père, architecte autodidacte et élu local. Très proche de ses racines familiales, le nouveau ministre rend souvent visite à ses parents, accompagné de ses deux filles. Ancien élève de l’ENA, promotion Cyrano de Bergerac ».

En décembre 2022, le JDD indiquait : « Les Nunez ont quitté l'Andalousie à la fin du XIXe pour s'installer en Algérie, dans la région d'Oran. Les parents de Laurent Nunez se sont connus sur le sol algérien français et sont arrivés en métropole en 1962. » Ils se sont installés à Bourges. Le nouveau ministre confiait au JDD : "Mes parents ont atterri dans un immeuble des quartiers nord. Ils n'ont jamais quitté la ville. J'ai grandi là…" Selon le portrait tracé par ce journal du dimanche : Laurent Nunez, sa sœur jumelle et son frère cadet ont eu une "enfance modeste et heureuse", élevés par "des parents tolérants", une mère institutrice et un père devenu architecte. "A la maison, je n'ai jamais entendu de discours pied-noir militant", confie-t-il.

Laurent Nuñiez a donc des racines en Algérie. Son homologue à Alger serait bien inspiré à l'occasion d'une éventuelle visite en Algérie du premier policier de France de prévoir une étape dans la ville où ont vécu ses parents avant 1962.

L'occasion pour Alger de s'essayer soft power dont sait si bien user le Maroc à l'inverse de l'Algérie...

Sous le titre, Avec l'Algérie, "il faudra qu'il y ait un bouger dans les discussions" France-Inter a résumé les principaux éléments du ministre concernant les relations avec l'Algérie et fait remarquer que sur la politique migratoire, un autre cheval de bataille de ses prédécesseurs à la place Beauvau, Laurent Nuñez assume de suivre la même voie. En effet, il déclare : "L'objectif c'est de continuer à augmenter les reconduites coercitives, qui ne cessent d'augmenter dans notre pays. Et je vais veiller à ce qu'on continue à faire augmenter significativement ces éloignements forcés." Alger est prévenu.

Alger, récupérer ses OQTF

Une déclaration qui concerne la délicate question des déplacements vers l'Algérie. Le sujet a cristalisé les tensions ces derniers mois entre Paris et Alger. Confiant, le ministre indique : "Il faudra qu'il y ait un bouger dans les discussions [avec l'Algérie]. Moi je suis ministre de l'Intérieur, ma préoccupation c'est la sécurité de nos concitoyens. Je comprends que la tension qu'il y a actuellement avec l'Algérie fait qu'on n'a plus de relations sécuritaires avec eux, plus d'échanges sécuritaires. Je peux vous dire que pour un ministre de l'Intérieur, c'est un problème, c'est un gros problème ! Il faut qu'à un moment, on reprenne le dialogue avec les Algériens sur les questions de sécurité et d'échanges d'informations. On parle d'antiterrorisme, on parle de narcotrafic, moi je veillerai à ce qu'à un moment on reprenne langue à un niveau technique, à un niveau sécuritaire, ça me paraît important."
Concernant la renégociation de l'accord de 1968 entre les deux pays, il indique : "Je ne me prononce pas sur cet accord, à ce stade, à date, il y a cet accord, il fonctionne. Il n'est pas complètement parfait, ça je vous le concède, mais pour l'instant ce n'est pas à l'ordre du jour."

Ces annonces tranchent avec le discours militant du précédent ministre. Aussi, une opportunité de solder un contentieux s'offre pour Alger. Outre l'amélioration de l'image du pays, le programme économique lancé par le président Tebboune n'en sortira que plus renforcé à condition que le patronat français comprenne et accepte que l'Algérie de l'après hydrocarbures privilégie dorénavant les partenariats gagnant-gagnant.

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