Algérie, un ex-ministre des start-up en charge de l'agriculture
Djamel BELAID 24 septembre 2025
Avec la nomination de Yacine El Mahdi Oualid comme ministre de l'agriculture, l'Algérie tente un joli coup. Il ne s'agit pas moins que de l'ex ministre des start-up. Après les subventions publiques à foison, cap semble être donné à « l'agriculture intelligente ».
Remplacement de Youcef Cherfa
Yacine El Mahdi Oualid remplace Youcef Cherfa. Celui-ci originaire de l'Est algérien est diplômé en planification et
a commencé sa carrière comme secrétaire général de la wilaya de Batna puis de Souk Ahras avant d'accéder à la fonction de wali (préfet) puis de devenir ministre. A 70 ans, il a accepté en novembre 2023 de prendre la charge du secteur agricole après que le précédent ministre Abdelhafidh Henni ait été évincé suite à un mot malheureux. Alors qu'il sortait d'une séance de questions réponses éprouvante à l'Assemblée Nationale, un journaliste lui a tendu un micro dans les couloirs en lui disant que dans son quartier le kilo de pomme de terre n'était pas aussi abordable comme il venait de le déclarer au perchoir. Ce docteur vétérinaire avait alors lancé au journaliste : « vous n'avez qu'à changer de quartier » ce qui avait provoqué l'ire du président Abdelmadjid Tebboune. La passation de consigne avait alors été marquée par l'absence du ministre déchu remplacé à l'occasion de cette cérémonie par le ministre de la pêche.
Au poste du ministère de l'agriculture, en bon routier de l'administration Youcef Cherfa a été un fidèle exécutant de la politique agricole définie par le président algérien. Il est vrai qu'auparavant, au poste de ministre du Travail, de l'emploi il a réussi en février 2022 la mise en place de l'allocation chômage pour les jeunes sans emploi.
Celui-ci a longtemps exercé les fonctions de préfets dans différentes wilayas et a eu donc à s'initier aux questions agricoles. A plusieurs reprises à l'occasion d'interventions publiques le président algérien a affirmé qu'il s'intéressait particulièrement au secteur agricole.
Youcef Cherfa a en particulier contribué à faire avancer différents dossiers dont le développement de « cultures stratégiques », « l'assainissement du foncier agricole » et surtout le développement de « l'agriculture saharienne »,
Quelle marque laissera t-il au niveau de son passage au ministère de l'agriculture ? Sans conteste c'est la mise en scène de la logistique nécessaire à la récolte des céréales au Sud qui aura marqué le plus les esprits. La télévision algérienne a largement montré en juin 2024 et juin 2025 des convois constitués d'une centaine de camions et d'engins de récolte montés sur des portes-char sillonner dans le désert au sud pour collecter les grains depuis des centaines de concessions agricoles équipées de rampes pivot d'irrigation vers les centres de collecte puis vers les centres de consommation du Nord. Cela, parfois sur des distantes de 1 500 km. Pour l'occasion la flotte de camions de l'office des céréales (OAIC) avaient été renouvellées. Les précédentes années, une technicienne avait évoqué dans la presse des camions chargés de maïs arrivant « sur les jantes » au niveau des silos de Bougtob après avoir parcouru des centaines de km sur des routes parfois défoncées,
Autre initiative semble-t-il là encore personnelle. Il a mis fin à l'élevage informel dans le secteur avicole en faisant attribuer la carte de Fellah aux éleveurs sur simple déclaration au niveau de l'APC (mairie) puis après contrôle de terrain par les services agricoles locaux.
Travailleur infatigable et exécutant fidèle, il lui a cependant manqué la prise d'initiatives pour faire avancer un secteur agricole qui recèle encore de grandes réserves de productivité.
Yacine El Mahdi Oualid, plus jeune ministre
A 30 ans, Yacine El Mahdi Oualid devient donc le plus jeune ministre de l'agriculture.
Au delà différence de génération avec Youcef Cherfa, c'est la différence d'approche entre les deux qui est à noter. Le premier agissant grâce aux généreux budgets mis à disposition des services agricoles, tandis que le second promet une « agriculture intelligente ». Est-ce lié à sa formation de médecin ?
Il a fait ses armes dans le domaine de l’entrepreneuriat et du digital, notamment en « créant le premier hébergeur privé algérien SSH » selon la presse locale.
L'opinion publique algérienne a parfois marqué son étonnement suite à cette nomination. On a pu découvrir sur les réseaux sociaux la surprise de techniciens agricoles. Mais, c'est oublier, comme pour le président Tebboune, le tropisme pour l'agriculture de ce jeune médecin. Pas n'importe quelle agriculture : la FoodTech. Il est le premier responsable algérien à avoir prononcé ce terme lorsqu'il était en charge des start-up et mieux, le premier à s'être entretenu sur ce sujet avec Sid Ahmed Ferroukhi, alors ministre agricole, ingénieur agronome de formation et aujourd'hui décédé.
Il a récidivé en 2024 au siège de l’accélérateur public «Algeria Venture» où, accompagné de Youcef Cherfa il a assisté au lancement du Concours national de technologie agricole, «AgriTech Challenge 2024».
Déjà en mai 2022, lors de la cérémonie de remise des prix de la 4ème édition du concours Foodtech startup challenge, il a appelé les start-up « à jouer un rôle actif » dans la sécurité alimentaire du pays. Signe de son profond intérêt pour l'agriculture et l'alimentation il a ajouté : « L’Algérie, à l’instar de tous les pays du monde, fait face à beaucoup de défis en matière de sécurité alimentaire, dans un contexte géopolitique particulier, d’où la nécessité d’améliorer nos capacités de production agricole, notamment par l’implication des startups ». Avec un sens pratique affirmé il a assuré que le marché algérien de l’innovation dans les domaines de l’agriculture et de l’agroalimentaire est « très attractif ».
FoodTech en Algérie, avec des entreprises françaises
En Algérie le secteur de l'agro-alimentaire est particulièrement développé. Mais à part la société Bellat spécialisée dans la charcuterie Hallal à base de viande de poulet qui a élaboré une martadelle « végétarienne », les innovations visant à remplacer partiellement les préparations à base de produits animales par d'autres produits végétaux est quasi inexistante. Or, il s'agit là d'un secteur qui pèse énormément dans le déficit budgétaire de la balance commerciale algérienne. Les boissons végétales pour adultes anciennement dénommées « laits végétaux » sont pratiquement méconnues. Celles produites en France par Alpro pourraient intéresser les consommateurs algériens. Il en est de même des substituts de viande à base de protéines de pois extrudées qui permettent aujourd'hui de confectionner des Nuggets et autres aiguillettes végétales.
Le marché algérien est totalement vierge. Or, l'aridité croissante du pays milite pour des produits à base de protéines végétales moins gourmandes en eau que celles issues de l'élevage.
Jeunes pousses locales et porteurs de capitaux
Foodtech, numérisation, modernisation, les chantiers du jeune ministre sont innombrables.
Lors d'une première réunion avec les cadres du ministère l'agence APS indique il a réaffirmé que «le grand défi du secteur de l'agriculture est désormais celui du rendement et de l'utilisation optimale des ressources, d'autant plus que les objectifs du secteur dans ce domaine ne sauraient se réaliser sans la modernisation, sans le suivi des modèles réussis dans les pays du monde et sans l'investissement dans le facteur humain».
Youcef Cherfa a accompli sa tâche en nouant des liens avec le monde agricole. Dans le cas du jeune ministre, il entame sa mission en bénéficiant d'un écosystème particulier, celui des jeunes entrepreneurs, certes souvent désargentés. A défaut d'entreprises mûres et immédiatement opérationnelles pour répondre à l'attente des consommateurs, cet écosystème est un atout. Reste à intéresser les porteurs de capitaux locaux afin de nouer des liens avec les jeunes pousses les plus prometteuses. Reste également dans le domaine de la transformation à courtiser les entreprises étrangères telles Roquette, Alpro, Clextral, Bel engagées dans la substitution des protéines animales par celles d'origine végétale.
Quant au domaine de la production agricole, nul doute que son ouverture d'esprit permettra une écoute attentive auprès des partenaires étrangers intéressés à investir le marché algérien. Le ministre a récemment déclaré souhaiter la modernisation des « mécanismes de financement de l'agriculture et des équipements et en améliorant l'accompagnement des investisseurs, aussi bien nationaux qu'étrangers».