Algérie, synagogue démolie et film Meursault tourné au Maroc
Djamel BELAID
Il y a des jours sans. C'est le cas ces derniers temps. La presse algérienne a annoncé qu'une ancienne synagogue de la région d'Alger a été démolie par les autorités. En même temps François Ozon déclarait sur France-Inter que son film l'Etranger d'Albert Camus avait été tourné au Maroc.
Osons un décryptage. Il semble que vis à vis de l'opinion française et internationale, les autorités algériennes ne ratent aucune occasion pour « tendre un bâton pour se faire se battre ». Au delà de l'aspect moral, certains éditorialistes français ne vont pas rater l'occasion de faire passer « le régime » algérien pour rétrograde. On peut déjà imaginer la future chronique de Kamel Daoud dans l'hebdomadaire Le Point.
Mais comment de telles décisions et d'autres peuvent-elles être prises à Alger ? Wallah, c'est une énigme.
Démolition de la synagogue de Bab El Oued
Il suffit de taper sur un moteur de recherche « Algérie synagogue démolie » pour constater le nombre de références consacrées à ce sujet.
Sur la dixième page de références du moteur de recherches, une d'entre-elle indique « Algeria: Historic synagogue demolished » et provient du site Jewish Rhode Island. C'est dire le retentissement de cette démolition et le nombre de réactions de la presse française et internationale. Des réactions sincères et d'autres pouvant être instrumentalisées ; ne soyons pas naïfs...
Le JDD, sous le titre Algérie : l'une des dernières synagogues du pays démolie : « La synagogue « Chaloum Lebhar », en plein cœur du quartier Bab El Oued, à Alger, a été démolie par les autorités locales en raison d'un risque d'effondrement. Le bâtiment a désormais laissé place à un terrain vague, au grand dam de Frédéric Belaïche.
I24NEWS sous le titre, Algérie : Destruction D'une Synagogue Historique De La ... »XXXX
La démolition de la synagogue "Shaloum Lebahr" s'inscrit dans un contexte plus large de disparition progressive du patrimoine juif en Algérie ...
Valeurs actuelles sous le titre, « Un dernier symbole de la mémoire juive d'Algérie . « Située au cœur du quartier Bab El Oued à Alger, la synagogue Chaloum Lebhar a été démolie par les autorités locales, qui ont évoqué un danger d' effondrement. »
Marianne sous le titre, On a détruit le dernier symbole de la mémoire juive d'Algérie »
La destruction d'une synagogue à Alger, officiellement parce qu'elle menaçait de s'effondrer, illustre l'état de la mémoire sur la présence …
Sahel Intelligence, sous le titre Algérie : La synagogue de Bab El-Oued, victime du déni d'Etat.« Sous prétexte de sécurité, les autorités algériennes ont procédé à la destruction de la synagogue historique Chaloum Lebhar ».
The Times of Israël sous le titre, Algérie : Une synagogue vieille de 130 ans démolie pour des raisons de sécurité. « Les précédentes tentatives de démolition de Chaloum Lebhar avaient été empêchées par la communauté juive locale, qui ne compte aujourd'hui que quelques dizaines de Juifs ».
Les autorités locales auraient usé du prétexte d'un « risque d'effondrement » pour acter la destruction de cet édifice religieux. Triste argument qui donne encore une fois un bâton pour se faire battre. Question, s'il y avait un tel risque, n'est ce pas que le bâtiment était laissé à l'abandon ? Triste réalité. Le bon sens aurait voulu que ce âatiment soit entretenu et en premier lieu par les autorités locales en accord avec les autorités religieuses concernées.
Où est cette Algérie de juillet 2014 quand le journal Le Monde titrait « L'Algérie envisage de rouvrir des synagogues » en détaillant : « Le nouveau ministre des affaires religieuses, veut rouvrir les lieux de culte juif, fermés pendant la guerre civile des années 1990. »
Le vivre ensemble et le soft power
Cette démolition sera certainement utilisée en Israël et par tous les inconditionnels d'Israël sur les plateaux de télévision en France et dans les colonnes des hebdomadaires à grand en France et ailleurs pour montrer du doigt l'Algérie.
Toute destruction de monuments historiques , quelque qu'en soit le motif est condamnable. De même que l'est « Dans la bande de Gaza, les bombes israéliennes [qui] détruisent le patrimoine et effacent la mémoire. Le Monde rappelait en février 2024 que selon un rapport d’ONG « plus de 200 sites culturels et historiques – mosquées, cimetières grecs, vestiges égyptiens, marchés ottomans, immeubles Bauhaus – ont été partiellement ou totalement détruits » à Gaza par l'armée israélienne.
Mais au delà de l'image dégradée de l'Algérie, c'est le fait d'effacer une partie de l'histoire du pays. Nombreuses sont les familles qui ont toujours vécu en bonne harmonie avec leurs voisins juifs algériens. Personne n'a le droit de tenter d'effacer cette histoire ni en Algérie, ni en Afghanistan ou en Syrie. Il est espérer que cette synagogue soit un jour reconstruite à l'identique au même emplacement.
Au delà de ce geste très critiquable, ses auteurs permettent, nous ne le répèterons jamais assez, que certains égratignent l'image de l'Algérie. Un aspect dont les décideurs algériens ne pèsent pas assez le poids et qui est appelé Soft Power.
En novembre 2018, Médiapart révélait que « Depuis trois ans et l'avènement du prince héritier Mohammed ben Salmane, plusieurs agences parisiennes soignent l'image du royaume wahhabite ».
De son côté le site Areion24.news indiquait en juin 2023 que « Le groupe Publicis est rémunéré à hauteur de 35 000 euros par mois pour soigner l'image de l'Arabie saoudite, mise à mal par la guerre au Yémen ».
Il n'est pas demandé aux décideurs algériens de mettre la main à la poche main simplement de réfléchir aux conséquences de certaines décisions sur l'image de marque du pays. Si MBS dépense de telles sommes, c'est que « le jeu en vaut la chandelle ».
Le tournage de L'Etranger au Maroc
Encore une fois, il suffit de taper « film l'Etranger tourné au Maroc » sur un moteur de recherche pour trouver des dizaines de références pour un évènemment qui n'est passé inaperçu en France.
On a envie de crier « Wach ? Wach bikoume ? » qu'avez vous ?
AlloCiné « Tournage marocain. Bien que le roman d'Albert Camus se passe en Algérie, François Ozon a quant à lui tourné son film au Maroc, plus précisément à Tanger, au printemps 2025. Les secrets de tournage du film L'Étranger.
La presse marocaine se délecte. Le Desk.ma « Tournage: L'Étranger » de Camus renaît au Maroc sous la direction de François Ozon. »
Le360.ma « La très attendue adaptation du chef-d'œuvre d'Albert Camus par François Ozon se dévoile dans une audacieuse bande-annonce en noir et blanc. »
Tanger-experience.com « Tournage de l'Étranger de François Ozon à Tanger. C'est au Maroc, et plus précisément à Tanger, qu'a eu lieu le tournage du film «L'Étranger», adaptation du célèbre roman d'Albert Camus ».
L'opinion « C'est sous le soleil du Maroc que François Ozon réinvente L'Étranger d'Albert Camus. Le Royaume, déjà prisé par de nombreuses productions... »
La première question que chacun se pose et va se poser le monde du cinéma en France : « Pourquoi ce film n'a-t-il pas été tourné en Algérie ?
Est ce un refus algérien ou une décision des producteurs ? Certes, en Algérie la phrase de Camus est connue « entre ma mère et la justice, je choisis ma mère » mais est-ce la seule chose à retenir de ce prix Nobel de littérature né en Algérie ?
Suite au film, il est certains que des touristes souhaiteront en Algérie revenir sur les traces de l'écrivain en Algérie. Il serait bon ces traces ne soient pas effacées. « Ne faites pas comme la synagogue a-t-on envie de leur crier ».
Après celle d'Albert Camus, il serait utile de se préoccuper de celle de Laurent Nuniez....
Comme cela a été le cas de la maison natale d'un célèbre couturier. Le 11 juillet 2022, le site 24H Algérie annonçait que « La résidence du célèbre couturier français Yves Saint Laurent (YSL) est ouverte au public à Oran depuis le 1 juillet 2022. »
Soft power contre déshumanisation
Les autorités algériennes ne semblent pas se rendre compte que l'opinion publique internationale va retenir qu'une synagogue vieille de 130 ans a été démolie par les autorités algériennes.
Bravo pour l'image du pays.
Si on fait le compte : écrivain emprisonné, journaliste français arrêté, synagogue démolie. Que va penser le citoyen de base à l'étranger ? Il y a de fortes chances qu'il range inconsciemment l'Algérie à côté des Talibans and C° qui ont détruit des ruines en Afghanistan ou à Palmyre en Syrie.
Pourtant l'Algérie n'a rien à voir avec ces barbus. En témoigne la constance des autorités qui, à Sétif protègent la statue féminine - quelque peu dénudée de la fontaine de Aïn El Fouara – contre les actes de vandalisme d'illuminés.
Les autorités ne semblent rien connaître du soft power et du processus de déshumanisation employés par certains pays quand ils souhaitent en attaquer un autre et à sa population. Cela commence toujours par une déshumanisation et des prétextes. Le cas de Gaza est l'exemple par excellence. Un autre exemple concerne le Vénézuela et la Colombie qui ont toujours réaffirmé leur soutien à la Palestine. Mais, l'argument évoqués les républicains américains concerne la lutte contre le trafic de drogue.
« Not in my name »
Si on peut apprécier les efforts constants du président Abdelmadjid Tebboune pour sortir le pays de la dépendance des hydrocarbures, ces dernières décisions – certains diront minimes – n'en restent pas moins extrêmement symboliques et désastreuses. Et à ce titre, la seule attitude est : « Not in my name ».
Auparavant à Alger, la rue expliquait les décisions parfois hasardeuses prises par les autorités par : « encore une idée d'anciens moudjahidines ». Rappelons que ces derniers n'avaient pu, pour la plupart, suivre des études universitaires. Et à ce titre, il peut être reproché à certains des erreurs. Mais aujourd'hui, ils sont à la retraite vu leur âge canonique. Les places de direction qu'ils ont pu occuper après l'indépendance le sont aujourd'hui par des diplômés de l'université, des écoles de commerce et de l'ENA d'Alger.
Cette attitude des décideurs algériens fait-elle suite à des pressions islamistes à l'image de la prohibition rampante de l'alcool en Algérie. Ou fait-elle suite à un nationalisme de bas étage ou tout simplement à de la bêtise et à un manque de jugeote ? A Alger, le petit peuple a l'habitude de dire « Rabi yestor »...