Algérie, dernière chance pour le blé algérien
Djamel BELAID 27 octobre 2025
C'est ce 27 octobre qu'une conférence pour la modernisation de l'agriculture s'ouvre à Alger. Elle fait suite aux objectifs tracés par le président Tebboune au nouveau ministre de l'agriculture. La tâche est immense pour ce jeune ministre qui est aujourd'hui sur tous les fronts. Cependant, dès l'été il devra avoir fait ses premières preuves et sera jugé sur le niveau de la prochaine récolte de blé et le prix du mouton de l'Aïd.
Avec l'organisation réussie d'une journée de reboisement le 25 octobre portant sur un million d'arbres, Yassine Mahdi Oualid a marqué de premiers points.
Les décisions prises durant cette conférence de modernisation de l'agriculture seront décisives pour son avenir et celui de la céréaliculture. Il pourrait être associé aux mesures novatrices si celles-ci étaient réellement prises. Cependant, celles-ci ne pourront imprimer leur marque qu'à moyen ou long terme. Or, pour ce jeune ministre, il est indispensable d'engranger au plus vite des succès pour s'inscrire dans la durée d'autant plus que ce ministre médecin ne provient pas du sérail agricole et s'est jusque là principalement illustré dans la promotion des start-up locales.
En Algérie, la durée d'exercice d'un ministre de l'agriculture n'est pas longue. C'est le cas d'Abdelhafid Henni, vétérinaire de métier, qui a été démissionné après une simple déclaration malheureuse à propos du prix des pommes de terre.
Le niveau de la prochaine récolte de céréales sera un de ses examens de passage. En 2024, suite à la sécheresse et à l'incurie des services agricoles, la récolte de céréales n'a été que de 9 millions de quintaux alors que les besoins sont de 90 millions et qu'en moyenne ce sont 30 millions de quintaux qui sont produits localement.
En juin prochain, en cas de manque de pluie, une récolte de céréales de l'ordre de celle récoltée en 2024 n'est pas à exclure. Elle serait alors préjudiciable pour l'avenir de ce jeune ministre. A moins d'innover au niveau de l'implantation des cultures.
Modernisation de l'agriculture, mais attentisme dans la filière céréales
Actuellement, les semis 2025 sont en cours et ils conditionnent, en partie, le niveau de récolte de juin 2026. Décryptage. Depuis plusieurs années au Maghreb l'agriculture de conservation des sols (ACS) tente de se faire une place. Cette nouvelle pratique repose notamment sur l'emploi de semoirs adaptés à un semis direct. Le Maroc est très avancé dans ce domaine et vise l'emblavement d'un million d'hectares en 2030. La Tunisie progresse également grâce à l'aide de la GIZ. Rien n'est prévu en Algérie.
L'avantage de l'ACS réside dans une meilleure résistance du blé à la sécheresse, jusqu'à 4 semaines sans pluie. Des essais marocains montrent qu'en cas de sécheresse alors que les agriculteurs utilisant le semis direct récoltent dix quintaux à l'hectare au lieu de 40 habituellement, leurs voisins optant pour une conduite conventionnelle – labour à l'aide d'une charrue – ne récolte rien du tout.
Ces dix quintaux permettent cependant aux agriculteurs de relancer un cycle de culture l'année suivante. Ce qui est difficilement le cas en agriculture conventionnelle.
En Algérie, au sud de Tiaret, après deux années de sécheresse les exploitations sont exsangues et les agriculteurs se demandent comment rembourser leur prêt de campagne aux banques. L'ACS leur permettrait de se sortir de cette mauvaise passe.
Autres avantages de l'ACS : une meilleure vitesse des chantiers de semis et réduction des coûts de mécanisation.
Le ministre sur tous les fronts
Le drame actuel est que le jeune ministre engagé dans la modernisation du secteur agricole ne semble pas être sensibilisé à l'ACS. Quant aux responsables de la filière locale, leurs déclarations récentes montrent leur faible représentativité. Or, pour poser les bases d'une amélioration de la production, des décisions immédiates devraient être prises pour encourager l'emploi de semoirs pour semis direct.
Or, dans plusieurs wilayas, les autorités ont lancé symboliquement la campagne de semis sans qu'aucun semoir de semis direct ne soit mis en avant et cela malgré la demande du ministre d'aller vers la modernisation du secteur – mais sans préciser d'objectifs concernant les céréales. De ce fait, en ne se faisant pas le porteur de cette nouvelle stratégie, le jeune ministre ne pourra pas revendiquer une alternative en cas de récolte calamiteuse.
Une occasion perdue pour la filière céréales
On s'achemine donc vers une occasion perdue pour les semis de 2025. Ce qui reporte les possibles innovations en matière d'ACS à 2026.
Quelques agriculteurs utilisent le semis direct, mais ils sont trop peu nombreux pour faire tache d'huile. Puis dans un environnement où l'agriculteur est systématiquement indemnisé par l'Etat en cas de sécheresse avec attribution de semences et d'engrais gratuit pourquoi innover ?
Ces dernières semaines, 5 nouvelles banques publiques ont été obligées d'accorder des prêts aux agriculteurs. Si les agences bancaires ne demandent pas des garanties sérieuses aux exploitants situés dans les zones les plus affectées par la sécheresse – Ouest du pays – elles risquent d'avoir du mal à se faire rembourser les fonds alloués aux agriculteurs. A moins que ces banques exigent à ces exploitants d'adopter des techniques d'adaptation à la sécheresse et d'aller vers l'ACS.
Reste l'espoir qu'à l'issue de la conférence sur la modernisation de l'agriculture l'ACS soit considérée comme une priorité. Cela n'est pas acquis. Le nouveau ministre s'est félicité des succès de l'agriculture saharienne, alors que celle-ci repose sur l'extraction à outrance d'eau et donc d'une débauche d'énergie pour actionner les pompes. Elle n'est pas durable, du moins dans sa conception actuelle en absence d'une politique nationale de recharge artificielle des nappes à partir des crues des oueds sahariens.
Par ailleurs, par méconnaissance de l'ACS, certains experts agricoles décrètent que la culture des céréales est en voie de devenir impossible à l'Ouest du pays. Une position qui ne peut renforcer que le camp de ceux qui en Algérie ne jurent que par l'irrigation d'appoint au nord et par le développement prioritaire de la céréaliculture sous pivot d'irrigation au Sahara en la déléguant à des investisseurs privés. Or, quelle serait l'attitude de ces derniers si les subventions publiques venaient à être réduites ? Une question d'autant plus d'actualité que le niveau des nappes d'eau souterraines sont extrémement sollicitées et que leur rabattement est constaté à Adrar et El Ména.
Puis quel sort réservé dans ces plans publics au million de familles paysannes qui constitue la paysannerie au nord du pays ?
« L'examen de passage » du jeune ministre comporte donc le niveau de la prochaine récolte de céréales mais également le prix du mouton de l'Aïd. Actuellement les prix suivent une spirale inflationniste qui met le prix de ce mouton à près de dix fois le Smic. Face à une demande croissante liée à un mode de consommation de prestige et à la sécheresse au niveau des parcours steppique, il y a peu de chance que cette hausse des prix « diabolique » - terme aujourd'hui utilisé à Alger – soit enrayée. Autant dire que pour le jeune ministre la barre est particulièrement haute.