Consommation de légumes secs en Algérie, la révolution inachevée
Djamel BELAID 29 août 2025
Traditionnellement à Alger la couverture des besoins en protéines de la population passe par une offre en produits animaux. La récente relance de la culture des légumes secs montre une évolution des politiques publiques en la matière. La demande accrue des consommateurs semble avoir également favorisé cette évolution.
La reprise en main du monopole de l’importation
En 2022, les pouvoirs publics ont décidé de confier l’intégralité de l’importation des légumes secs – pois chiche, lentille - à lOffice algérien international des céréales (OAIC) au motif de commandes anarchiques de la part des importateurs privés.
Cette décision a surpris les importateurs privés et il s’en est suivie une pénurie de légumes secs sur le marché local. Plus grave, les prix se sont envolés alors que les légumes secs sont particulièrement recherchés en période hivernale.
-confiscation d’un volume de légumes secs dans un entrepôt
Les Coopératives de céréales et de légumes secs de l’OAIC ont immédiatement réalisé de nouvelles importations et lancé la vente de légumes secs au détail en ouvrant des points de vente. Problème, le réseau des CCLS n’est pas équipé pour la vente au détail et ne dispose pas par exemple d’ensacheuses-peseuses. Aussi, on a pu voir des employés des CCLS remplir manuellement des sacs plastique de deux kilos de pois chiche et lentilles. Rapidement des files de consommateurs se sont formées devant ces points de vente aménagés dans des locaux attenant aux CCLS. Des locaux qui ont été équipés à la hâte de comptoirs et d’étagères où on a pu voir des rangées de sachets remplis de pois chiche, lentille et haricots blancs.
Progressivement, les opérations d’ensachage ont été modernisées. C’est le cas de la CCLS d’Annaba où une ligne d’ensachage a été installée. Un packaging étudié a progressivement permis d’approvisionner les consommateurs se présentant aux points de vente des CCLS de même que les commerçants ont pu prendre livraison de palettes chargées de cartons contenant les sachets remplis de divers légumes secs. En quelques semaines, a été monté ex nihilo un réseau de distribution.
Des responsables du ministère du Commerce ont ré-affirmé que l’Etat ne souhaitait en aucune sorte se substituer aux petits commerçants ou aux grossistes.
A plusieurs reprises, des responsables du ministère du Commerce et du ministère de l’Agriculture ont rappelé que le monopole d’importation sur les légumes secs reproduisait le même schéma que celui concernant les céréales.
L’année précédente, celles-ci ont en effet fait l’objet d’une reprise du monopole d’importation par l’OAIC. Une mesure qui n’a pas provoqué de ruptures d’approvisionnement des minoteries privées. Celles-ci sont aujourd’hui livrées par l’OAIC sans que des problèmes ne soient relevés.
Un programme de relance de la production de légumes secs
Parallèlement à la reprise du monopole d’importation par l’OAIC, un programme de relance de la production de légumes secs (LS) a été lancé à l’initiative du président Abdelmadjid Tebboune.
-quantités, surfaces
Les surfaces consacrées à la culture des LS sont de l’ordre de la dizaine de milliers d’hectares ce qui n’a rien de semblable avec celles consacrées aux céréales qui sont de l’ordre de centaines de milliers d’hectares. L’objectif d’arriver à une autosuffisance en LS est donc réalisable d’autant plus que la culture est mécanisée. La récolte se fait avec le même matériel que celui utilisé dans le cas des céréales.
Les fermes d’Etat ont été chargées de la production de semences de LS afin d’approvisionner l’ensemble du secteur agricole.
Après deux années, le programme de relance de la culture des LS a permis des résultats appréciables d’autant plus que les prix à la production pratiqués par les CCLS est particulièrement rémunérateurs.
Le prix d’achat à l’agriculteur est passé de 2 600 à 4 000 dinars par quintal pour la lentille et pour le pois chiche le prix est passé de 3 000 à 5 000 dinars par quintal.
En juin dernier le site Maghreb-Emergent indiquait que « Plus de 100 000 hectares ont été semés au cours de la campagne agricole 2024-2025, un chiffre qui dépasse les ambitions initiales du ministère. »
Qualité des produits locaux
Ces dernières années, les pois chiches produits localement ont parfois été boudés par les consommateurs au motif qu’ils étaient de petite taille. Un phénomène lié à la sécheresse. L’absence de tri au niveau des organismes de collecte, les CCLS, n’a pas permis de séparer le bon grain de l’ivraie. Les pois chiches de petite taille trouvent comme seul débouché la farine destinée à la confection de « karantita », l’équivalent de la socca niçoise.
Ces dernières années, des CCLS s'étaient retrouvées avec des stocks de pois chiches invendus correspondant à deux années de culture et ont indiqué aux agriculteurs qu’il était impossible d’acheter leur production. En parallèle les importateurs avaient continué leurs achats à l’étranger. C’est notamment cette situation qui avait amené les pouvoirs publics à parler d’anarchie. A préciser que dans le cas des importations de céréales, le président Tebboune avait eu l’occasion d’accuser des importateurs privés de pratiques illégales.
Vers des excédents de légumes secs
Si le programme de relance se poursuit, il devrait déboucher sur une autosuffisance du pays en légumes secs. Ainsi devrait être couvert les besoins locaux en un produit stratégique dont les pouvoirs publics sous-estiment en partie l’importance. En effet, parfois appelés « la viande du pauvre », les légumes secs sont particulièrement riches en protéines. Il suffit d’avoir à l’esprit le plat national, le couscous aux pois chiches. En associant les acides aminés essentiels de la céréale et ceux de la légumineuse, il fournit les 8 acides aminés essentiels à l’organisme. A ce titre, les légumes secs peuvent compenser la faible consommation des ménages à faible revenu suite à l’envolée des prix de la viande.
Les prix de la « viande rouge » d’ovins et de bovins ont tendance à augmenter et ont obligé ces derniers temps les pouvoirs publics à recourir à des importations en provenance d’Espagne, Roumanie ou Brésil.
Algérie, des décideurs qui méconnaissent la Foodtech
Ces dernières années, de nouvelles technologies permettent de séparer les protéines de l’amidon contenu dans les graines de légumes secs[1]. Les processus sont nombreux et font appel à la voie sèche ou humide. Les concentrats ou isolats de protéines ont alors plusieurs utilisations. Dans certains cas, l’extrusion permet même de confectionner des aiguillettes semblables à celles de poulet ou des nuggets végétales.
Il est également possible, plus simplement, de produire de la farine de pois chiche ou de lentilles décortiquées afin de l’intégrer dans le pain ou les pâtes alimentaires et ainsi assurer une complémentation protéique à coût modique pour les consommateurs.
[1] Nous recommandons particulièrement les travaux de Michel Lopez de l’Institut mutualisé pour les protéines végétales (IMPROVE). Voir à ce propos la vidéo Conférence RFL2 « Innovations technologiques dans la transformation des protéines végétales » . Cette conférence plénière s’inscrit dans le cadre des 2èmes Rencontres Francophones Légumineuses (RFL2), tenues à Toulouse les 17 & 18 octobre 2018. https://youtu.be/z-x2MszyUCM?si=0cf6o4lMJU0Qx6xx