France-Algérie, quelle sortie de crise ?
Djamel BELAID* 28 Août 2025
Est-il possible d’envisager dans le moyen terme une sortie de crise entre la France et l’Algérie. Sur le plan moral, à 80 ans et malade, Boualem Sansal mérite la grâce du président algérien. Du point de vue économique, avec cette crise les deux pays ont tout à perdre.
Selon une récente analyse de Roger Simon du journal Le Monde, le président français s’est résolu à plus de fermeté suite aux pressions de l’extrême droite. Ses précédentes positions montrent bien qu’il était pour une issue favorable à la crise. Alger pourrait-il un jour répondre à des appels de pied ou carrément prendre l’initiative d’une fin de crise comme avec l’Espagne ?
Macron, un nouveau premier ministre en septembre ?
Manifestement le président E. Macron n’est pas dans une position favorable. Son gouvernement est sous le coup d’une motion de censure qui pourrait cette fois-ci passer, même si des analystes ont indiqué durant un temps que le RN n’est pas intéressé à gouverner avant les élections présidentielles pour cause de mesures impopulaires visant à réduire le déficit budgétaire.
La menace reste donc présente pour le président français qui est plus que jamais fragilisé, aussi il pourrait être sensible à une issue de la crise actuelle avec Alger.
Côté algérien, pas de risque de motion de censure, même si le 20 août dernier un appel de personnalités algériennes en faveur de plus de démocratie n’a pas dû passer inaperçu à El Mouradia.
Plus grave, l’Algérie se trouve confronté à des défis économiques énormes et à une instabilité à pratiquement toutes ses frontières. La direction politique du pays pourrait être sensible à une sortie de crise avec la France.
Des analystes évoquent un courant dur au sein des dirigeants à Alger. Il ne s’agit pas pour nous de nous aventurer dans cette direction que nous laissons aux spécialistes de ce genre de question. On peut cependant penser que pour les tenants d’une ligne dure le cas Boualem Sansal pourra servir d’avertissement à quiconque voudrait s’aventurer à l’imiter.
Aussi il est à espérer plus de clémence d’autant plus que la dégradation de l’image de l’Algérie en France et sur la scène internationale est considérable. Une dégradation qui n’est pas profitable pour ce pays, tant du point de vue géopolitique qu’économique.
Au sud du globe et plus particulièrement dans les pays arabes, l’Algérie est le pays du million et demi martyrs. Mais progressivement, cette image pourrait s’assombrir et se rapprocher de celle de l’Arabie saoudite avec ses 300 exécutions annuelles. L’Algérie risque de se voir accoler à l’avenir par la presse arabe le terme de « massdjounines », emprisonnés.
En Europe et aux USA, la situation est plus complexe. Il y a la dégradation de l’image de l’Algérie pays vis-à-vis des investisseurs potentiels et des touristes ; bien qu’à ce niveau l’essentiel reste encore à faire en matière de politique touristique.
Mais il y a plus grave : le risque de tocade de la part du président Trump à l’encontre de l’Algérie. Suite à la brouille entre Maroc et Algérie, il est toujours à craindre que la partie marocaine tente de s’allier les bonnes grâces US. Dans un passé récent, des hommes politiques américains se sont émus des contrats d’armement passés entre l’Algérie et la Russie.
En novembre 2024, l’hebdomadaire pro-marocain Jeune Afrique titrait « L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État américain ? » et rappelait : « À peine réélu, Donald Trump a annoncé le nom de celui qui sera le chef de sa diplomatie. Ce choix, qui s’est porté sur le sénateur de Floride, n’est pas forcément une bonne nouvelle pour Alger, l’élu républicain ayant déjà par deux fois appelé à sanctionner le pays. »
Par ailleurs les positions de l’Algérie sur la question palestinienne peuvent lui valoir des inimitiés. D’autant plus que, selon les analystes[1], se dessine « l’axe militaire Maroc-Israël ».
Sortie de crise souhaitée pour raisons économiques
Avec des ressources en pétrole et en gaz déclinantes, l’économie algérienne se doit de trouver dans les prochaines années les moyens de répondre aux besoins d’une population de 50 millions d’habitants.
A Alger, le mot d’ordre est « Taghliss Fatourattes el Istirade » ou réduction de la facture des importations et il est connu de tous suite au battage médiatique et sa déclinaison à longueur de journée dans les médias.
A travers ce mot d’ordre il y a certes une volonté nationaliste, mais transparait également une sourde inquiétude du président Abdelmadjid Tebboune. De sa part, et depuis 2017, il y a une prise de conscience de la dépendance aux hydrocarbures dans un contexte d’épuisement des gisements.
En 2022, Abdelmadjid Attar, ancien PDG de Sonatrach a déclaré qu’en 2030, il faudrait choisir entre exporter du gaz naturel ou le réserver à la consommation locale ; mais qu’il n’était pas possible de faire les deux en même temps. Actuellement le moindre douar demande à être raccordé au gaz naturel alors que les habitations, tant en ville qu’en milieu rural, sont de véritables passoires thermiques. Et en été, la demande en énergie ne faiblit pas suite au fonctionnement des climatiseurs.
Le pays importe annuellement pour dix milliards de dollars de biens alimentaires. Si les progrès de l’agriculture sont palpables - l’autosuffisance en blé dur a été atteinte cette année – les besoins en blé tendre, maïs, oléagineux et poudre de lait sont considérables. Le mode de consommation local est calqué sur celui existant en Europe. Or dans un pays semi-aride à dominante aride, il est illusoire espérer développer l’élevage de façon durable, sauf à mettre en péril l’approvisionnement en eau des générations futures. Il est en effet question d’élever 200 00 vaches laitières en plein Sahara et de les nourrir à partir de fourrages irrigués en puissant dans l’eau des nappes souterraines. Il s’agit là de copier le modèle des laiteries saoudienne Al Maraï et qatari Baladna ; or celles-ci importent la luzerne nécessaire aux animaux depuis le Soudan ou les USA. La sagesse serait de développer pour les adultes des alternatives à l’image des « laits végétaux » tel celui d’avoine.
Une solution à l’espagnole ?
Dans le domaine agricole, l’Algérie aurait tout à gagner d’une coopération avec les filières agricoles françaises afin de moderniser l’agriculture pluviale au nord du pays. Plusieurs grosses entreprises françaises sont déjà installées en Algérie telles Danone, Lactalis, Avril, Cristal Union ou Clextral ainsi qu’un grand nombre d’entreprises moins connues.
Par ailleurs, les liens entre les instituts de recherche des deux pays sont anciens. Est-il possible d’envisager le renforcement de ces relations ? A part les importations de blé et de bovins qui sont en chute libre, l’activité des entreprises françaises installées en Algérie se poursuit sans encombre. Plusieurs banques françaises sont installées en Algérie.
En mars dernier Michel Bissac, président de la CCI France-Algérie confiait à La Dépêche que « près de 6000 entreprises françaises travaillent avec l’Algérie (environ 400 sont présentes sur le sol algérien). La plupart sont des PME, par essence plus fragiles que les grands groupes. Si par exemple, vous avez une commande à l’export de 200 000 – 300 000 euros qui est bloquée en douane, il y a un impact immédiat pour ces entreprises. De nombreux patrons m’ont déjà fait part de leur inquiétude. »
Dans le cas de la crise entre l’Algérie et l’Espagne liée à la question du Sahara occidental, une sortie de crise est en cours malgré le maintien de la position espagnole. Les échanges économiques entre les deux pays ont repris.
« Un dégel des relations commerciales qui a fait bondir de 162 % les exportations espagnoles en Algérie sur les cinq premiers mois de 2025, pour une valeur totale estimée à 900 millions d’euros » rappelle Courrier international en citant des sources algériennes dont TSA.
Il est à espérer qu’entre l’Algérie et la France une solution à l’espagnole se dessine.
(*) Ingénieur agronome franco-algérien auteur de « L’agriculture en Algérie ou comment nourrir 45 millions d’habitants en temps de crise. » Editions Harmattan 2021 Paris. 256 pages.
[1] « Après des années d’effacement de la scène régionale, Alger tente de muscler sa diplomatie et réinvestit notamment les dossiers du Sahara occidental et du Sahel. » Le Monde 25 novembre 2021.