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Billet de blog 31 mai 2016

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En route vers la criminalisation de l’Islam

Il n’est plus un jour sans qu’une affaire liée à l’islam ou à un musulman n’apparaisse dans les médias et les réseaux sociaux. Tout se passe comme si on attendait chaque matin, avec son café et son croissant, la petite anecdote ou le fait musulman du jour.

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Il n’est plus un jour sans qu’une affaire liée à l’islam ou à un musulman n’apparaisse dans les médias et les réseaux sociaux. Tout se passe comme si on attendait chaque matin, avec son café et son croissant, la petite anecdote ou le fait musulman du jour. On ne compte plus ces titres racoleurs devenus quotidiens des rédactions radios, télévisées ou de journal sur le fait divers du jour en lien avec la religion ou la pratique musulmane. Nul doute que cela fait débat et cela fait vendre et au fond, dans une période où tous les principes éthiques sont bafoués, où les promesses électorales qui ont permis au candidat Hollande de devenir président de la République sont tout simplement balayées d’un revers de main, n’est-il pas normal que la majorité des journalistes du moment trahissent les principes déontologiques auxquels ils ont prêté serment.

Rien d’exceptionnel donc à voir fricoter dans un même environnement des journalistes, des hommes politiques et des chefs d’entreprise, eux-mêmes patrons des grands groupes médias, dont la finalité est de faire du fric. Le monde pouvoir-argent-média est devenu endogame et sa descendance n’est autre qu’un discours analogue, reprenant à l’unisson les mêmes termes et les mêmes acceptions, comme dans un allant-de-soi familial. Ces repas de famille verbaux n’ont d’autre objectif que de construire une pensée similaire qui exclue les cousins récalcitrants osant exprimer une pensée différente ou plus nuancée.

Concernant les sujets traitant de l’islam de/en France, sujet ô combien brulant, du fait des enjeux électoraux, et complexe par ses facteurs multi-causaux (historique, sociaux, juridiques, politiques,…), nous constatons une simplification des analyses à outrance de la part des journalistes et des dits « experts » au point qu’il nous apparait avoir affaire à des articles de média people. Le besoin de vulgarisation ne peut faire l’économie d’une analyse rigoureuse d’autant plus face à une population française en perte d’identité et inquiète face à son avenir économique et social dans une monde globalisé. Par ailleurs, en parlant des citoyens musulmans, la première précaution à prendre serait d’admettre qu’ils sont français et qu’ils rencontrent les mêmes difficultés et doutes que leurs concitoyens, si ce n’est plus de par leur condition. Ils ne sont pas des citoyens de seconde zone et n’entendent pas l’être. Il serait également utile d’expliquer que les citoyennes/yens de confession musulmane ne constituent pas un bloc monolithe qui pense et agit de la même manière et qu’il y a autant de musulmans que de manière de pratiquer sa foi selon sa propre histoire, ses connaissances, sa lecture et ses intimes accommodements.

Ainsi, avant d’ouvrir notre journal au petit matin, il ne fait plus de doute que nous aurons droit chez nos hommes politiques, à un petit jeu de dupes qui consiste à discréditer toute une population par ignorance, par calcul électoraliste ou par stratégie de diversion pour faire oublier qu’ils sont incapables de régler les vrais problèmes économiques et sociaux des français. Tout sujet est devenu prétexte à accuser les (supposés) musulmans, car bien entendu un faciès maghrébin est inévitablement un musulman, sur n’importe quel sujet de la vie quotidienne qui fait du « buzz » avec des démonstrations de causes à effets dignes d’une acrobatie du Cirque du Soleil. Par exemple, faire une étroite relation entre l’Islam et l’épisode du bus à Knysna  lors de la Coupe du Monde 2010 relève d’une performance olympique. Nous attendons dans les prochaines semaines le lien entre pratique musulmane et le réchauffement climatique, les musulmans et l’augmentation des accidents de la route, et Mohamed et le monstre du Lockness (d’ailleurs n’était-ce pas le même ?).

Tout ceci prêterait à rire si ces postures n’avaient pas de conséquences sur la population de confession musulmane et dans la population française en général. Toute forme de pratique religieuse liée à l’Islam, quand bien même elle existe depuis plusieurs générations et qu’elle est tout à fait compatible avec la laïcité, est devenue suspecte. Certains concitoyens, qui n’accordaient aucun intérêt particulier à une pratique religieuse conforme à la citoyenneté, se trouvent aujourd’hui dérangés voire opposés. Tous les « piliers » de la foi musulmane ont fait l’objet de critiques ou d’affronts alors qu’ils ne sont même pas évoqués dans les autres pays européens et occidentaux, sauf dans une frange de leur population xénophobe trouvant, grâce au pays des Lumières, une résonnance à leur haine.

L’épisode des prières des rues à Paris, lors de la prière collective du Vendredi faute de places dans une seule mosquée a agité la France et fait perdre le Nord à certains journalistes et commentateurs reprenant à leur compte le terme détestable « d’occupation » du Front national. Le jeûne du Ramadhan, pratique partagée par d’autres religions et faisant partie de l’intime conviction du musulman a aussi trouvé ses opposants en la personne, pour le moins controversée par ses affaires et ses amis, de Jean-François Copé avec sa fameuse et probablement fausse affaire du « pain au chocolat ». La zakat, aumône du croyant, dont la vertu est d’aider exclusivement les nécessiteux, a suscité des réactions délirantes en supposant des financements à des groupes djihadistes. Le Pèlerinage à la Mecque, que chaque croyant doit visiter au moins une fois dans sa vie s’il a les moyens, a fait naître lui aussi des accusations d’importation de maladies venues des quatre coins du monde. Curieusement on ne retrouve pas les mêmes craintes pour les autres grands pèlerinages. S’il est normal que les autorités sanitaires fassent leur travail de prévention et de curation, les personnes accusées sont suffisamment concernées pour éviter de s’exposer à de telles pathologies.  

Et que dire de l’obsession autour du voile islamique qui agite depuis des décennies les plus grands fantasmes de certains intellectuels et journalistes, de la viande Halal qui va envahir les assiettes de nos chérubins dans les cantines et qui risque de les faire parler arabe (quelle horreur !), des mosquées financées par un consortium de pays hostiles à la France et qui pullulent d’idées anti-français (alors que ce sont probablement les lieux les plus surveillés de France)…

Toutes ces accusations réelles ou latentes seraient encore « acceptables » si elles n’étaient pas partagées par une majorité de nos concitoyens et surtout si elles n’étaient pas reprises aux plus hauts degrés de l’Etat. Comment un Premier Ministre ou un ex-Président de la république peuvent-ils faire autant d’amalgames lorsqu’il s’agit d’évoquer des faits divers dont certains individus sont musulmans ? Et même lorsqu’ils garantissent ne pas faire d’amalgames, on retrouve toujours dans le même paragraphe les termes islam-violence-laïcité comme une évidence qui brouille les consciences.

Sans être paranoïaque, on a l’impression que tout est fait pour faire des musulmans des citoyens de seconde zone en les assignant à des origines étrangères ou à un hypothétique soutien à un régime islamique. Quoi qu’ils fassent du point de vue religieux et même si leur pratique s’inscrit dans le cadre républicain, on leur reproche de ne pas ou peu partager les valeurs et principes de la République. Le bouclier de la laïcité qui doit permettre le libre exercice des cultes dans l’espace public est devenu une arme pour effacer toute trace de visibilité religieuse. Chaque acte est examiné, observé. Pas dans la bienveillance et l’ouverture mais dans la suspicion et la crainte au point où même des actions caritatives deviennent interdites ou que des jeunes prétendus musulmans sont arrêtés pour leur barbes menaçantes alors qu’il s’agissait seulement pour eux d’être à la mode Hipster.

Cette dangereuse pente de la méfiance permanente nous fait penser aux sombres réactions des années 30 où le juif était considéré comme un ennemi de l’intérieur. Comparaison n’est pas raison mais il est curieux de voir des processus similaires se mettre à l’œuvre insidieusement au sein des différents corpus de la société. La légifération liée au culte musulman répondant à une logique d’exception, porte en elle des sous-entendus dangereux et stigmatisants.  A l’heure où tous les partis de gouvernement courent derrière l’extrême droite pour proposer leurs solutions radicales face à « la montée de l’islamisme » comme rempart à la visibilité musulmane, il ne serait pas étonnant de voir dans un avenir proche des propositions remettant en cause les libertés publiques et par voie de conséquence la mise au banc des citoyens français de confession musulmane. Malheureusement, l’histoire nous a prouvé que les hommes oublient vite.

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