DjamFALP

Abonné·e de Mediapart

1 Billets

0 Édition

Billet de blog 16 juin 2020

DjamFALP

Abonné·e de Mediapart

Refusons le retour de l'invisibilité du populaire dans les métropoles!

Les espaces populaires des aires métropolitaines paient le prix fort de la pandémie liée au coronavirus. Ces territoires, ces villes ont des noms et les nommer est un acte de résistance pour ne pas les oublier. Nous sommes convaincus que le maintien de leur visibilité est un défi pour contribuer à des métropoles solidaires.

DjamFALP

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Par Antonio Aniesa et Djamel Sandid

Nous travaillons aux relations internationales d’une collectivité locale de banlieue parisienne : la municipalité de Nanterre et l’Établissement Public Territorial "Plaine Commune". Nous  participons, à ce titre, à l’animation de  deux réseaux transnationaux de pouvoirs locaux : le Forum d’Autorités Locales de Périphérie (FAL-P)[1] pour des métropoles solidaires et la Commission Inclusion Sociale, Démocratie Participative et Droits Humains (CISDPDH)[2]. Leurs initiatives nous ont mis en contact et amené à travailler avec des pouvoirs locaux d’aires métropolitaines de plusieurs pays[3]. C’est depuis cette expérience que nous témoignons.

Les espaces populaires des  aires métropolitaines[4] paient le prix fort de la pandémie liée au coronavirus.  Ces territoires, ces villes ont des noms et les nommer est un acte de résistance pour ne pas les oublier dans les prochains jours. Nous sommes convaincus que le maintien de leur visibilité est un défi pour contribuer à des métropoles solidaires nécessaire pour construire  un monde d’après plus juste. Le monde d’aujourd’hui c’est celui de la question du Chanoine de Salford « Pourquoi y a-t-il plus de personnes qui meurent du coronavirus à Salford que partout ailleurs en dehors de Londres ? » [5]

Les banlieues populaires frappées par le COVID

Certaines de ces villes nous les connaissons.  Ce sont des banlieues populaires que nous avons rencontrées dans les initiatives du FALP et de la  CISDPDH.  Leganes, Getafe, Fuenlabrada, Alcorcon, Rivas Vaciamadrid (Madrid) ; Viladecans, Badalone, Gava, San Boi de Llobragat (Barcelone) ; Iztapalapa, Ecatepec de los Morellos (Mexico) ; El Bosque, La recoleta (Santiago du Chili) ; Osasco, Guarulhos, Santo Andre ( São Paulo) ; Malvinas de Argentina, Moron, Quilmes (Buenos Aires) ; Villa El Salvador, Ate (Lima) ; Salford (Manchester) ; Sesto San Giovanni (Milan) ; L’Ariana (Tunis)

Ces villes – nous osons la comparaison -  sont les Saint-Denis, les Stains, les Aubervilliers, les  Bondy, les Montreuil, les Bobigny, les Clichy-sous-Bois, les Seine Saint Denis de leur aire métropolitaine. Si nous mentionnons ces pouvoirs locaux  de la région parisienne c’est parce qu’ils  se sont, aussi, inscrits, à un moment donné, dans l’activité des réseaux évoqués pour faire émerger « un autre regard sur les métropoles » mais aussi du fait de l’attention médiatique portée sur les villes populaires de la Seine Saint Denis notamment la page du quotidien «  Le Monde » du 14  mai dernier « Une surmortalité très élevée en Seine-Saint-Denis »[6] (il serait pertinent de regarder les différences à l’intérieur  même du 93)[7].

L’engagement dans ces réseaux exprime une  volonté de « visibilité » et de « reconnaissance »,  un besoin d’être entendu et de faire connaitre des pratiques, des histoires, des passés, des présents et des aspirations pour des avenirs plus justes. Une volonté de contribuer à des aires métropolitaines solidaires dans lesquelles leurs territoires, leurs habitants comptent. Etre écouté pour ce qu’on est participe déjà à l’estime de soi expliquait un ancien maire de Guarulhos (Brésil). En utilisant l’espace du FALP, ces villes de banlieues ont produit une  visibilité  « décentrée »  et revendicative sur les  aires métropolitaines

Nous n’allons pas faire un tableau des taux d’infections, des taux de mortalité pour les comparer. Leur réalité de territoire meurtri s’impose dans la presse et dans les études. A cette liste, il faut en ajouter bien d’autres dans les mêmes aires métropolitaines mais également dans d’autres : le borough de Newham, qui accueilli les JO de Londres en 2012, le Bronx à New York. Nous devons également évoquer les quartiers « intra-muros » « Puente Vallecas », « Fuencarral- El Pardo », « La Latina », « Carabanchel » à Madrid ; « Roquetes », « Nou barri » à Barcelone ; « Brasilandia », « Grajau », « Sapopemba », « Cidades Tirandentes » à Sao Paulo (tous situés aux marges du SP de l’intramuros).

Inégalités sociales et spatiales en cause ?

Si à priori le coronavirus s’attaque à tous les corps qu’ils soient riches ou populaires, et nous savons que parfois il est arrivé dans certaines métropoles par les quartiers aisés, avec ceux qu’ils ont les moyens de voyager (Santiago du Chili, Monterey au Mexique), il s’est surtout propagé dans les territoires populaires. Il est entré par la porte des inégalités sociales et spatiales de la métropolisation.

Le terrain était favorable.  Des populations à la santé plus fragile. Il serait pertinent de regarder les déterminants de santé dans ces territoires. Nous y retrouverions certainement des moyennes élevées d’hypertensions, de diabète, d’obésité, de vies fatiguées et une espérance de vie moindre. Il y a malheureusement concordance entre le taux de mortalité du COVID et la moindre espérance de vie dans les villes du nord de la ligne du RER B exprimée par la carte de 2012 d’Emmanuel Vigneron. Ce n’est pas un hasard si le FALP, dès sa première rencontre en 2006 à Nanterre, avait mis dans ses débats les inégalités de santé et de bien –être dans les aires métropolitaines  et de son côté la CISDPDH, en septembre, débattait de la prise d’initiative des collectivités locales pour favoriser l’accès aux soins pour tous avec le réseau EFPC[8].

C’est dans ces villes, dans ces quartiers qu’habitent, que vivent, ceux qu’on a appelés les « premiers de corvées » et qui font fonctionner l’urbain. Des femmes et des hommes qui sont soignants, éboueurs, caissières, logisticiens, postiers, électriciens, égoutiers, salariés des transports en commun… Ceux pour qui le télétravail n’est pas possible. Ceux dont l’arrêt d’activité signifierait l’arrêt du quotidien de la  « métropole ». Ce n’est ni la métropole « compétitive », ni les quartiers d’affaires qui ont été au front.  Ces travailleurs essentiels ont du se déplacer pour travailler. L’article du Monde indique que plus de 50 % des « travailleurs clés » de la Seine-Saint-Denis se rendaient dans un autre département de la région parisienne et on connait la réalité de la ligne 13 du Métro notamment. A contrario, à Paris ce sont 76% de ces travailleurs clés qui ont pu rester dans la capitale pour exercer leur activité. Pour ceux qui en doutaient la mobilité subie existe et pour certains le droit à la mobilité devient une injonction à la mobilité.

Il y a avait dans ces lieux des confinements bien plus difficiles que dans d’autres territoires en terme d’espace à partager dans les foyers (mais aussi de possibilité de connexion). Etre 4, 5 personnes et plus dans 40, 50, 60 m2 c’est plus dangereux que dans 100, 150 m2 surtout si l’un d’entre eux doit aller travailler tous les jours. 

Le désespoir, la faim se sont malheureusement invités. Au sud de l’aire métropolitaine de Santiago des émeutes de la faim ont éclaté à El Bosque et des habitants de « Puente Alto » et de « La Pintada » ont manifesté pour dire « Si ce n’est pas le virus qui nous tue c’est la faim ».  De La Recoleta à Saint-Denis, de Salford à Clichy, de Grigny à Getafe….sont remontées les prises d’initiatives d’habitants, d’associations, de municipalités pour répondre aux urgences et faire de la solidarité concrète. Des prises d’initiatives autonomes et une capacité d’auto-organisation bien loin des caricatures d’assistés et autres stigmatisations en classe dangereuse. Malheureusement celles-ci ont continué et dans quelques endroits avec les débordements policiers qui vont avec et dans d’autres, comme au Chili, avec la répression d’état.

L’enjeu de la visibilité des banlieues populaires !

Peut-être que nos propos paraissent répéter ce que tout le monde sait ! Mais nous travaillons depuis trop longtemps pour rendre « visible » l’invisible dans la métropolisation pour savoir que l’oubli du populaire peut revenir très vite dans la mythologie de la CAME[9] (Compétitivité, Attractivité, Métropolisation, Excellence).  Cela serait intolérable et inexcusable.  Pour nous c’est un enjeu et cela doit être celui de tous ceux qui veulent agir pour des aires métropolitaines plus solidaires.  Que les invisibles d’avant ne redeviennent pas les invisibles du monde d’après. Comme l’a écrit  Patricia Simon «Le Covid fait la distinction entre les classes sociales »[10] faisant écho aux paroles du chanoine de Salford David Wyatt «  Cette pandémie a mis en évidence la fracture de notre société et ses conséquences »[11] et ces fractures Maria Lazo, Usama Bilal et Manuel Franco  les situent  « Leganes, Iztapalapa et le Bronx : coronavirus et inégalités dans la ville global »[12].

Est-on si sûr aujourd’hui de la métropole des opportunités ? Elle semble plus injuste et plus subie pour certains de ses résidents que pour d’autres.

Sans beaucoup de respect pour la souffrance du 93, certains ont utilisé les données publiées par « Le Monde » pour expliquer que la « densité » métropolitaine n’est pas à remettre en cause sachant que celle-ci est plus importante dans Paris intramuros qu’en Seine Saint Denis et pourtant il y a plus de décès dans le département de banlieue. Et de là à justifier la métropolisation, il n’y a qu’un pas que d’autres se privent pas de faire.

Nous ne savons pas s’il y a une densité « métropolitaine » idéale mais ce que nous constatons est que dans la quasi-totalité des aires métropolitaines la densité populaire, la densité servante, la densité qui fait vivre la métropole au quotidien a payé un lourd tribut. Nous ne vivons pas la même pandémie dans les aires métropolitaines selon qu’on soit confiné dans une densité populaire ou dans une densité aux revenus plus aisés et lorsqu’on peut  « télétravailler ». Est-ce que cela absout la « densité » ? Nous n’en sommes pas certains. Le débat doit être mené mais en aucun cas cela n’absout les « inégalités ».  Ce combat lui ne peut plus être repoussé, ne peut plus être invisible.  Il n’y aura pas d’aires métropolitaines justes, solidaires, écologiquement responsables, à la démocratie renouvelée si de nouveau, au nom de la métropole attractive, nous éteignons la lumière sur ces territoires et si l’on continue à renforcer la distanciation sociale, spatiale et démocratique que subissent ces territoires dans les métropolisations actuelles.

Le fait de pouvoir porter une voix, de pouvoir se raconter et exprimer ses expériences,  de porter la représentativité d’un espace démocratique de mobilisation permet à des communes de rendre visible leur territoire populaire dans les processus actuels de la métropolisation. Etre reconnu est nécessaire si on veut participer au débat afin de bouger des lignes des logiques inégales de la métropolisation actuelle et ainsi remettre le  « droit à la ville », le droit à la proximité, le droit à la centralité, le polycentrisme. Notre expérience des débats sur la métropolisation nous a conforté sur le fait que c’est quasiment toujours par le « bas », le « décentrement », le « pas de côté » que surgissent les questions de justice sociale et spatiale.

[1] Le FAL-P favorise l’échange d’expériences entre pouvoirs locaux de banlieues afin de faire entendre leurs expériences pour  contribuer à des métropoles solidaires

[2] La CISDPDH, favorise l’échange d’expériences sur  les thématiques d’inclusion sociale, de droit à la ville et de droit humains.

[3] Les deux réseaux agissent au sein de Cités et Gouvernement Locaux Unis (CGLU)

[4] Le réseau FALP utilise la notion d’aire métropolitaine pour ne pas créer la confusion avec le castillan pour lequel « Métropole » signifie la ville centre

[5]  https://www.manchestereveningnews.co.uk/news/greater-manchester-news/this-pandemic-exposed-divide-society-18207730

[6]  https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/05/17/coronavirus-une-surmortalite-tres-elevee-en-seine-saint-denis_6039910_3224.html

[7] D’autres collectivités locales françaises ont participé à l’activité de ces réseaux : Gennevilliers, CD du Val de Marne, Grigny,

[8] European Forum for Primary Care

[9] https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01724699v2

[10] https://www.lamarea.com/2020/05/11/pobreza-covid-19/

[11] https://www.manchestereveningnews.co.uk/news/greater-manchester-news/this-pandemic-exposed-divide-society-18207730

[12] [12]https://elpais.com/ciencia/2020-05-16/leganes-iztapalapa-y-el-bronx-coronavirus-y-desigualdad-en-la-ciudad-global.html

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.