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Billet de blog 18 février 2021

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ZAD du Triangle de Gonesse - Jour 12

À l’origine de la ZAD, il fallait une poignée de personnes prêtes à prendre des risques. Chaussette fut de ceux-là.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cela faisait plusieurs années que flottait autour du Triangle de Gonesse un parfum de ZAD. Déjà les rassemblements dominicaux avaient été baptisés « Zadimanches ». Mais c’est en ce début d’année que s’est imposée la décision de faire enfin sortir de terre cette ZAD. Après des années de lutte par les moyens légaux, le collectif pour la défense des terres de Gonesse était sous le choc : il voyait se profiler la reprise des travaux à la mi-février sous la conduite de la Société du Grand Paris, dans un contexte de grande confusion politique. À l’évidence, le dossier de la gare du Triangle de Gonesse ne faisait pas partie des grandes préoccupations du gouvernement. Ainsi, alors que l’on attendait sa décision suite à la mission confiée à François Rol-Tanguy après l’abandon d’Europacity, c’est le préfet qui affichait son choix de la bétonisation par voie de presse.

Et c’est dans cette situation d’urgence que Chaussette fit son entrée dans l’histoire. Sur la ZAD, tout le monde porte un surnom, autrement appelé un blaze. Chaussette a la quarantaine, il vient de la région de Saint-Malo, son corps porte les stigmates de tout ce qu’il a enduré. Formant un tandem avec Lutin. Il vit dans un squat du 12e. Lutin avait participé aux rassemblements du Triangle de Gonesse et il insistait pour que son copain vienne rejoindre la lutte. En vain : « Vous n’imaginez tout de même pas installer une ZAD dans cette zone ! »

Chaussette finit par accepter de quitter Paname pour aller se perdre à Gonesse, le dimanche 24 janvier. C’est lors d’un échange qu’il entendit Bernard Loup dire que s’il le fallait il ferait la grève de la faim. A cet endroit j’aimerais que l’écriture cède la place à la vidéo pour faire entendre la voix de Chaussette, tant son corps abimé crève l’écran et tant son style est attachant. « A 75 piges, tu ne peux pas faire ça, Bernard. C’est à nous de trouver la solution ! » Le projet de ZAD avait gagné une excellente recrue, qui rendait plus plausible sa mise en œuvre. Le bon sens de Chaussette s’imposa de suite : « Il faut faire ça un dimanche, parce que c’est le jour de repos pour le préfet. » Et la ZAD commença par une expédition au petit matin du dimanche 7 février.

Le noyau des premiers zadistes est composé de fortes personnalités. J’avais été impressionné dès le premier soir par la force intérieure de Chaussette. Il a le caractère bien trempé de ceux qui ont beaucoup souffert. C’est la nuit dernière, lors de notre tour de garde, qu’il m’a raconté sa vie. C’est un personnage qui semble tout droit sorti d’un mix entre les Misérables de Hugo et ceux de Ladj Ly. Né sous X, il subit le martyre dans une famille d’accueil. Attaché à un lit, il fut victime des pulsions sadiques de ses Thénardier.Son adolescence chaotique l’a fait passer par la case zonzon. Il fut même le plus jeune incarcéré de France, à 15 ans. C’est la rencontre décisive, à 16 ans, d’un homme vivant au milieu des bois, qui l’a sauvé. « Je suis obligé de m’occuper de toi, je ne peux pas te laisser dans cet état. »

À 25 ans, Chaussette replonge au fond du gouffre. Il participe à un de ces paris stupides que se lancent les jeunes écervelés. Il doit donner un grand coup de volant au bord du précipice, un pneu éclate, la voiture se fracasse 30 mètres plus bas. 8 mois de coma, 24 mois d’hôpital et 18 mois de rééducation. Et sa voiture manque de peu de faucher des vies. Mais ce fut juste des dégâts matériels. Mortifié, Chaussette présenta à la famille touchée cette alternative : soit je retourne en prison, soit je vous rembourserai tout. Il part travailler dans le bâtiment, devient chef de chantier, et au bout de 7 ans il peut tout rembourser. Toute sa vie, il est porté par ce que lui a inculqué son « vieux » : « Lève-toi, bats-toi, et tu seras un homme ! »

Une dernière rencontre va parachever la formation humaine de Chaussette. Il a longtemps déversé sa rage sur les autres. C’est Lutin qui lui fera prendre conscience que des paroles malveillantes peuvent profondément blesser.

Chaussette est en train de construire sa cabane au fond de la ZAD, au bord de la quatre-voies. Il l’a déjà bien isolée du bruit cumulé que font les voitures et les avions. Dans le petit village des Gaulois réfractaires, on la reconnaît au drapeau breton qu’il a fièrement hissé sur le toit. Chaussette est un ancien délinquant, c’est aujourd’hui un homme qui met tout son courage au service d’un rêve collectif, la première ZAD de l’Île-de-France.

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