Revenu d'existence vs Salaire à vie : définitions, différences, et portées économiques et politiques.
Le revenu inconditionnel d'existence, une idée qui n'est plus simplement dans l'air du temps : une grande partie de la classe politique semble le défendre. Il est aussi mis en oeuvre à titre plus ou moins expérimental dans des pays à l'instar de la Suisse, de la Finlande, du Canada.
L'engouement autour du revenu inconditionnel d'existence s'explique par les principales avancées sociales qu'il entraine. En effet, il conduit à la dissociation entre d'une part le salaire, défini comme la rémunération versée à un salarié par son employeur, et d'autre part, l'emploi, qui désigne dans un sens économique une activité rémunérée. Le revenu d'existence, aussi appelé revenu de base, serait ainsi versé sans conditions, d'âge, de revenu, de statut salarial. Il permet de reproduire ses conditions de vie à partir d'un revenu versé régulièrement sans exercer d'emploi.
En outre, il habilite la distinction entre emploi et activité. Le premier est actuellement le seul statut reconnu comme créateur de richesse nationale. Toute activité, allant de la femme au foyer à l'engagement pour la Cité, en passant par l'activité étudiante et l'investissement associatif n'a pas de valeur économique. En d'autres termes, il n'est pas comptabilisé dans la richesse nationale. Dans ce cadre, la production de richesse est exclusivement réduite et subordonnée à l'exercice d'un emploi. A l'inverse, l'activité prétend a une acception plus large : tout travail (au sens large) est facteur de production. Le revenu de base suggère alors la prise en compte des activités non produites dans la sphère marchande dans la mesure de la richesse. Le revenu de base rémunèrait indirectement ces activités. Il permet donc d'une part l'émancipation des individus vis à vis du travail salarial, et d'autre part la possibilité de satisfaire, comme l'illustre la pyramide de Maslow, leurs "besoins de réalisation".
Cependant, l'engouement que suscite le revenu universel est un fourvoiement intellectuel dont l'origine renvoie à une confusion théorique dans le domaine de l'économie. En effet, la production de richesse est une condition sine qua non à la pérennisation d'une société. Les questions qu'il faut se poser sont donc : Qui produit les richesses ? Dans quelle mode de prodution ? Quel est le rapport social qui en découle ? Comment sont répartis le revenu de la richesse produite ?
D'abord, le revenu d'existence n'inverse pas le rapport social au sein du système productif. En effet, l'individu n'est pas propriétaire des outils destinés à créer de la richesse. Il est par conséquent réduit à demander un emploi et contraint à vendre sa force de travail. Le rapport social dans la production se caractérise donc toujours par une asymétrie entre d'un côté le détenteur des moyens de production et de l'autre, le salarié. L'individu ne contrôle ni ce qui est produit, ni la répartition du revenu de la richesse produite, c'est à dire le profit réalisé.
Croyant pouvoir extraire le salarié de la nécessité de travailler, le revenu d'existence omet un processus historique du capitalisme : la genèse de ce dernier montre qu'il a en permanence organisé la dépendance à l'argent. Banques, assurances privées, firmes multinationales, politiques, ont contraint de façon croissante les individus à se soumettre à la nécessité de travailler. Si le revenu d'existence permet aux individus de se désinsérer progressivement du modèle, il n'empêche pas, entre autre, la stabilité d'un système inégalitaire et un coût croissant de la vie, qui par conséquent serait facteur d'un retour à l'obligation d'exercer un emploi pour subvenir à ses besoins premiers.
La reproduction d'une société et sa pérennisation passe nécessairement par la production de richesse. L'idée est alors de permettre au salarié d'avoir une prise directe sur son activité de production. Autrement dit, il doit avoir le contrôle à la fois des moyens de production et des profits émanant de l'utilisation collective de ces moyens. La richesse produite par chacun est mutualisée au sein de caisses de mutualisation. Elle est ensuite répartie de façon équitable : à la fois selon la qualification sociale et professionnelle, et entre un salaire minimum et maximum. Ce système repose ainsi sur la cotisation sociale. En partie institutionnalisé par le Conseil National de la Résistance, il s'agit aujourd'hui de l'étendre à l'ensemble des activités collectives de production.
Le salaire d'existence, ou le salaire à vie, confère ainsi, à l'inverse du revenu d'existence, un statut politique au producteur. C'est ce que l'économiste B. Friot appelle la propriété d'usage : l'ensemble du système productif appartient à la communauté de citoyen. Cette dernière décide de l'activité du système de production et de l'utilisation des profits.
Aujourd'hui en France, sur les 2000 milliards de richesses crées, 700 milliards vont aux détenteurs du capital et 1300 sont répartis aux salariés. Sur ces 700 milliards, 400 milliards ne sont pas réinvestis dans l'entreprise. Autrement dit, alors que la richesse produite découle de la force de travail du citoyen, celui-ci est spolié d'une part par le fait que sa rémunération est bien moins inférieure à la richesse qu'il produit, et d'autre part, parce qu'une partie de cette richesse "se volatilise" du système de production pour alimenter les profits personnels. Ce qui justifie l'existence de ce phénomène et fonde sa pérennité fait écho au concept de propriété lucrative : des individus détiennent des moyens de production à dessein de les rentabiliser et d'en dégager un maximum de profit. La création de richesse passe alors nécessairement par la mobilisation d'agents et leur acceptation à vendre leur force de travail.
En conclusion, le revenu d'existence est une mesure de politique publique qui ne transforme pas le système dans la mesure où il ne modifie pas les structures productives et les rapports de production qui y sont rattachés. Ce n'est qu'un outil destiné à panser le système actuel en s'y greffant sans en rejeter véritablement les fondements. Il s'agit d'aller plus loin : les citoyens doivent détenir collectivement les outils de production d'une part, et contrôler l'investissement d'autre part. Cette mesure change radicalement le rapport de production dans la mesure où le principe de souveraineté démocratique est étendu à la sphère économique. C'est la propriété d'usage des moyens de production. Le député européen Y. Jadot mobilise ainsi le concept de démocratie énergétique pour illustrer une communauté de citoyens qui possèdent les moyens de produire l'énergie, et qui la redistribuent équitablement entre eux.
Le revenu d'existence reconnait l'individu comme un être de besoin alors que le salaire à vie donne un statut politique au producteur en exprimant la reconnaissance d'un travail.