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Billet de blog 3 octobre 2025

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Marche GenZ 212 : « j’en suis persuadé, tu iras plus loin que tes ainés »

Le malaise couvait. Il avait déserté le champ abstrait du sentiment, et on pouvait la palper, cette ombre qui hantait les regards et jugulait les joies. Le malaise a tourné en colère – braise suffocante, subsistant après la consomption de toute forme d’espoir. La colère est là, et pour des millions de compatriotes, le futur est un chien, un chien qui mord, un chien qu’on ne sait plus semer.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il s’appelle Mohammed Amine. Il est étudiant à la faculté des sciences. Il fait des ptis jobs ; vendeur de glaces en été, de fournitures scolaires en septembre - « kayet3awene m3a zmane » comme on dit chez nous.

Comme beaucoup de jeunes, il essaie de s’en sortir.

Mohammed Amine est dans la fleur de l’âge, et cette enivrante sensation, que l’on éprouve quand en courant, on a de l’air plein les poumons, il ne la connaîtra plus. Il a été amputé d’une jambe. Les médecins se battent pour sauver la deuxième… à l’hôpital militaire de Rabat ! Un aveu accablant ! Au mieux, Mohammed Amine boitera jusqu’à la fin de ses jours, au pire, il sera cloué à une chaise roulante. A jamais, cette question le tourmentera – et je l’espère, nous aussi ; « faut-il donner autant pour se faire entendre ? ».

Retour en arrière… Le malaise couvait. Il avait déserté le champ « abstrait » du sentiment, et on pouvait la palper, cette ombre qui hantait les regards et jugulait les joies. Le malaise a tourné en colère – braise suffocante, subsistant dans le cœur de l’Homme, après la consomption de toute forme d’espoir.

La colère est là, et pour des millions de compatriotes, le futur est un chien, un chien qui mord, un chien qu’on ne sait plus semer.

La violence. Voilà un sujet qui mérite qu’on s’attarde dessus. Je ne parlerai pas de ce qu’on a vu ces derniers jours ; condamnables des deux côtés, des images insoutenables, effrayantes, affligeantes. Je parlerai des autres formes de violence, et que par accoutumance, nous avons appris à « processer » ; ce silence, cette forme assourdissante de violence - au moment des faits, et bien avant, à l’éclosion de tous ces scandales, qui pendant des mois, ont ébranlé l’opinion publique ; ces tentatives de briser ce même silence, où des gens riches, « respectables » et bien sapés, sont venus nous expliquer - par exemple - que le conflit d’intérêt n’a rien de scandaleux ; ce monde parallèle, fait de richesses et de paillettes, flanqué par ces-dits « influenceurs », à la vitesse du « swipe », sur des rétines éblouies et malavisées, des rétines « rouillées » par la misère et l’asepsie du futur ; la dépense publique, et en bord de mer, aggloméré autour de quelques métropoles, l’argent se déverse, à des Lieues du « Maroc profond » ; toutes ces inégalités sociales, dans une société où la consommation est une course, et au bout de laquelle, beaucoup doivent rester à la traîne ; toutes ces chaînes de « merde », qui à coup d’un flux « alvin », ont réussi à élever l’inconséquence au rang de « religion » ; cet autre silence, qui siffle dans la tête d’un Homme, quand personne ne porte ses angoisses. L’état est violent, mais entre nous - gens de ce pays - tels des virus saisonniers, nous nous passons des quantités de violence.

La violence ne justifie pas la violence, et réflexion faite, rien ne justifie la violence, mais il faut comprendre, il faut faire ce qu’il faut pour comprendre, et « comprendre » n’est pas « justifier ».

La rue. Pourquoi la rue ? Je fais partie de la génération « Y », et de mon vivant, j’aurais assisté à l’étouffement de toutes formes d’expression ou de représentation populaire : compromission ou corruption de partis aux racines populaires (conservateurs ou progressistes), mise en sourdine de la presse libre, subornation des syndicats et autres acteurs de la société civile...

Et nous en sommes, à cette saison houleuse de notre histoire, où aucune des institutions élues ou nommées, ne portent la voix de ces millions de « broyés » (« Taba9a Lmass7o9a » comme on l’appelle chez nous). Pourquoi la rue ? la rue, c’est tout ce qui reste, à ceux qui s’autorisent le péché de l’espoir.

GenZ. « Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années », citation de Corneille, que je rétorque à tous ceux qui les traitent de « jeunes » … seulement de « jeunes ». Ils sont beaux, comme on l’est souvent, quand on a des rêves plein les yeux. Ils sont « sharp », comme on l’est toujours, au péril de nos espoirs.

En les écoutant sur Discord, j’ai appris à les aimer, et comme tout le monde, j’ai mes préférés : ceux qui se prennent en selfie dans une estafette ; « don Escobar » avec sa clope au « bec » ; le garçon qui protège une manifestante, avec la frêle largeur de ses épaules. Des nations se seraient saignées pour pareille génération, mais nous, nous les avions condamnés aux abysses de la Méditerranée, ou encore, à l’immonde d’une abréviation lapidaire ; NEET pour Not in Education, Employment, or Training – trois millions disent-ils, surement plus…

Mais ils sont là, fiers et insoumis, et malgré toutes les formes d’abrutissement (chimiques, académiques ou autres), ils sont là, dans la rue, cédant au rêve insensé d’un Maroc meilleur.

Couscous, Zellije, Melhoun… pas seulement à son patrimoine, la grandeur d’une nation se mesure à la faculté d’une génération d’ainés à se sacrifier pour une plus jeune, et j’en suis à exhorter, toute cette "vétusté" politicarde, toutes ces épaves d’un ancien temps - de façade ou de l’ombre - bannis par le présent et refoulés par le passé, et qui, soumis au rapide des images, restent groggys, taiseux, impuissants, éblouis par la lumière de l’histoire, lisant des communiqués qu’ils n’ont pas écrit, dans des tournures ligneuses et « byzantines »… En attendant ce jour, je lui dis ;

Marche GENZ212 ! j’en suis persuadé, tu iras plus loin que tes aînés.

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