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Billet de blog 16 mars 2021

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La saison du covid – Complotisme

En ce temps de pouvoir "global", il est devenu difficile de distinguer le vrai du faux. Le(s) pouvoir(s) nous imposent, à travers les médias dits mainstream, des vérités, prétendues La Vérité, qui tentent de formater nos pensées ; dès lors, elles n'en sont plus.

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La saison du covid

ses mots

Il faudrait créer un répertoire de tous les mots apparus depuis un an que nous sommes soumis au temps du virus, qui contamine plus l’organisation sociale, politique, économique de la planète que nos corps pris individuellement, menacés d’une maladie pouvant entraîner leur mort pour les plus fragiles. C’est le « corps social » qui, dans cette histoire d’épidémie (dont le mot clef est pandémie, connotant et accentuant son caractère d’universalité), est en souffrance – souffre, et est suspendu à la cessation de la souffrance pour retrouver, quoi qu’il lui en coûte, le temps perdu, ou entrer dans un temps encore plus désirable (celui du monde d’après).

Ce sont les mots qui traduisent ce que nous pensons, sentons (on pense avec ses sensations émotions et inversement) ; dans cette saison singulière, ceux qui détiennent le quasi-monopole de la pensée (plutôt de ce qui en tient lieu) et de ses mots les revisitent, en réinventent les significations, en inventent de nouveaux, les recombinent et leur font dire quelque chose de sidérant. Cela n’est pas nouveau : tout régime totalitaire use de cette stratégie, qu’Orwell a bien déployée dans 1984 – la novlangue, ou l’art de faire dire aux mots le contraire de ce à quoi ils renvoyaient « avant » d’être remaniés pour et par le pouvoir. Ces mots, dont le sens est perverti, façonnent une réalité inventée, mentie, revisitée par lui pour nous forcer, nous, qui sommes démunis devant cet éclatement, ce brouillage de sens, à nous adapter à cette nouvelle réalité, une fiction écrasante.

Le premier mot, dont ce pouvoir use et abuse, comme il le fait pour d’autres dont j’essaierai de dresser la liste et le sens, est complotisme.

Complotisme, une esquisse

Complot

 Définitions du Larousse du XXe siècle (1929)

Résolution concertée en commun et secrètement contre quelqu’un. Brigue, cabale. Par extension, projet quelconque mené en commun et secrètement. Exemple : faire le complot d’aller déjeuner sur l’herbe.

Droit pénal : le complot est la résolution « concertée et arrêtée entre deux ou plusieurs personnes » de commettre un crime contre la sûreté de l’État. […] il est puni plus ou moins sévèrement de la déportation ou de la détention, suivant qu’il a été ou non suivi d’actes préparatoires. La loi va même jusqu’à frapper d’emprisonnement la « proposition faite et non agréée de former un complot ».

Conspiration

Complot contre la chose ou les choses publiques. Par extension, cabale, intrigue contre un particulier. Figuré, entente, accord secret. Conspiration du silence : entente pour ne pas parler de quelque chose ou pour empêcher qu’on en parle. Synonyme, brigue, cabale, etc.

Les formes en eurs, euses, ismes, istes sont absentes de ce dictionnaire.

Petit Larousse 2016

Comploteur, euse : personne qui complote, qui fomente des complots.

Complotisme et complotiste n’existent pas encore dans la liste des mots compilés dans ce dictionnaire.

Ils font leur apparition en 2017.

Google

Complotisme (Larousse) se dit des propos, des thèses d’un complotiste, synonyme : conspirationniste.

Wiktionnaire

Néologisme, conspirationnisme, soupçon qu’une théorie du complot est à l’œuvre.

Désir sous-tendu par une sourde méfiance à l’égard du « discours des institutions » qui montre que les médias « mainstream », sur certains sujets, peuvent aussi flirter avec le complotisme (Claude Allègre, « Les leçons (prudentes) d’une imposture » – l’antiréchauffement climatique, rue89.com, 2/11/2010).

Le mot complotisme avec son acolyte complotiste font leur entrée en scène en 2017, introduction liée à l’expansion d’Internet (réseaux sociaux).

Un « phénomène de société », la panoplie langagière se faisant la traductrice d’un changement de modèle social, économique, culturel, politique, technologique – ce qui pourrait à son tour être traduit par un autre mot nouveau : disruption – une forme de révolution ? Un nouveau mot lié à la méfiance, à la perte de la notion de vérité, vérités et mensonges imbriqués dans les discours officiels (des pouvoirs), au désir d’aller investiguer, là où ils ne sont pas, sur les pourquoi ? auxquels répondent les nouvelles technologies du numérique, développées précisément par ces pouvoirs, qui maintenant les vilipendent (les censurent) parce qu’elles peuvent se retourner contre eux ?

Complotisme (te) : mot verrou, valise, poubelle, fourre-tout, mode d’explication jeté à longueur d’ondes et de pages dans les fameux médias mainstream pour discréditer, évacuer toute parole, tout acte qui prend à rebrousse-poil le récit du pouvoir ; qui ose les penser, les dénoncer. Mot censure.

Mot troué des deux côtés : le pouvoir, toujours unique, qui accuse l’autre d’être complotiste, est lui-même complotiste puisqu’il lui prête l’intention de le détruire (par exemple, les gilets jaunes sont manipulés par les fascistes, les antisémites, les populistes à gauche et à droite et autres forces obscures pour abattre la république), en même temps qu’il veut le détruire (éradiquer sa puissance d’agir et de penser).

La théorie du complot : chaque camp fomenteur de complot prétend que l’autre construit une théorie visant à décrédibiliser sa théorie. La guerre des complotistes se situe sur un plan verbal, plus nocif et efficace qu’il ne le paraît.

Comment s’est élaboré cet instrument d’éradication de l’analyse ? Alors qu’un concept (une clef [Gilles Deleuze]) ouvre à la compréhension d’un fait, d’un phénomène, d’un discours, d’une attitude, d’un acte, d’une pensée, ce mot, inventé tout récemment au nom de la Vérité, se clôt sur cette tautologie : quand j’accuse quelqu’un d’être complotiste je suis complotiste – c’est un mot-miroir.

Sa justification, son air politiquement correct, s’appuie, pour les dénonciateurs de la théorie du complot, qui l’ont promue, sur les « Protocoles des sages de Sion », faux fabriqué sous le tsar Nicolas II en 1903, présenté comme le compte rendu d’une réunion secrète des chefs de la communauté juive annonçant un plan détaillé pour mettre le monde sous leur domination ; ce faux va circuler dans le monde entier. Après la révolution bolchévique les anciens partisans de Nicolas II font largement circuler et traduire ce texte, à visée antisémite (France Culture, 2/9/2020) ; ce « plan de conquête du monde établi par les Juifs et les francs-maçons » (Umberto Eco, Le Cimetière de Prague, 2010) a servi à Hitler pour « connaître les juifs, comprendre les buts qu’ils poursuivent ainsi que leurs stratégies et leurs tactiques. C’est aussi expliquer la marche du monde par ses causes cachées, à savoir les complots fomentés par les Juifs depuis les débuts de l’histoire » (Le Figaro, 4/10/2020, entretien avec Pierre-André Taguieff, au sujet de son livre, Hitler, les Protocoles des sages de Sion et Mein Kampf : antisémitisme apocalyptique et conspirationnisme », PUF, 2020).

Les « Protocoles », faux qui a servi à propager la haine antisémite, avec ses conséquences meurtrières, servent donc de modèle de référence aux anticomplotistes pour dénoncer les complotistes, définis comme des adeptes du mensonge, des fanatiques, voire des fous dangereux plongés dans l’irrationnel qui se positionnent contre la transparence, la pureté d’intention, la science brevetée bonne, les actes commis en raison de nos gouvernants dans tous les domaines de la vie. Les complotistes inventent les complots, « voient le mal partout » ; par exemple, dénoncer des décisions politico-économiques comme le fruit d’ententes entre agents économiques et politiques qui jouent sur l’échiquier planétaire à l’écart de la pleine lumière, affirmer qu’il y a derrière les discours des pouvoirs des intentions qui ne se formulent pas publiquement, relève de ce mal. On voit que le modèle est distordu puisqu’il englobe dans ce terme tout essai d’établir des liens raisonnables et raisonnés entre des institutions réelles pour comprendre et éclairer, justement, la façon dont fonctionne notre monde réel. Il n’y a ici rien de caché, pas de fausse organisation secrète inventée par un mauvais génie pour prendre le pouvoir sur nos vies. Tout, ou presque tout, existe en vérité, est accessible à la curiosité de celui, de celle, qui cherche à penser : dévoiler est un art pratiqué par les lanceurs d’alerte, par exemple, mais pas qu’eux.

Faire la différence entre la recherche d’un savoir pour comprendre comment le système dans lequel nous essayons de vivre (capitaliste, néolibéral, totalitaire ou glissant vers une dictature, ou des dictatures masquées par des pseudo-démocraties ?) fonctionne sur le plan mondial, avec ses interconnexions matérielles (technologiques, économiques, sociales, politiques, idéologiques, etc.), et des fantasmagories élaborées par des groupes d’individus qui ont intérêt, pour accéder au pouvoir, à désigner d’autres groupes fantasmés d’individus se préparant à poser leurs mains monstrueuses autour du cou de l’histoire pour le leur confisquer.

Comment nous sommes manipulés par les mots – la langue du pouvoir

S’il y a exigence de démocratie, elle surgit du besoin de savoir, de prendre des décisions concernant la marche du monde. S’il y a méfiance, défiance, recours à des explications hors de l’emprise du langage officiel, c’est que les médias orthodoxes excluent de leurs micros, chaînes, journaux écrits, en ligne les paroles s’échappant de leur sphère d’influence lexicale. S’il y a dénonciation des partis pris des médias, c’est qu’ils ne disent rien des résistances – ou pas assez souvent –, des luttes. C’est, par exemple, qu’ils taisent les manifestations ou en donnent des images tronquées, comme ils donnent des images déformées des manifestants (les gilets jaunes ? des fascistes, des racistes, des populistes – mots calomnies, anathèmes jetés contre l’hérétique). Les mêmes médias, traqueurs impitoyables de fake news, nous fournissent en mensonges, nourritures du complotisme, en accusant quiconque pense-dit-fait « de travers », individu ou collectif, de monter des complots  – se rappeler la manifestation à la gare d’Austerlitz, le 1er mai 2019, quand le ministre de l’Intérieur, immédiatement relayé par les médias, a accusé des manifestants fuyant la police d’attaquer les urgences de La Pitié-Salpêtrière ; les « violences contre la police » ; le « Il n’y a pas de violence policière » assené par Macron ; tout récemment, le montage frauduleux de la réputée revue The Lancet contre l’hydroxychloroquine qui a conduit à en interdire la prescription ; l’arrivée consécutive du Remdesivir, médicament miracle acheté pour 1 milliard d’euros par l’Europe, inutile pour soigner le covid avec effets secondaires importants  sur les reins ; l’accusation proférée ou suggérée de charlatan, voire de fasciste, d’antisémite et autres injures ou plaisanteries de mauvais goût envers Didier Raoult, le premier, à ma connaissance, à avoir pointé l’inefficacité du Remdesivir, expliqué que le virus covid, comme tous les virus, mute, qui préfère le placebo au nocebo, parce qu’il y a des placebos qui guérissent et des nocebos qui rendent malades (écouter son audition lors de la commission parlementaire sur le covid, en juin 2020, où il fait cette remarque). Pourquoi tant de hargne contre lui ? On a le droit de se poser la question.

Cette soupe populaire nous est servie quotidiennement dans le discours médiatique, les journalistes du service dit public semblant – étant ? – trop souvent l’instrument d’un pouvoir qui échappe à la cité, relevant, donc, d’une propagande d’État au service d’une partie privilégiée de la population pour assoupir, anesthésier toute pensée, parole, action contestataire, divergente, questionnante. Il existe pour ce faire ces mots infamants et diffamants qui reviennent en boucle et ferment la bouche : complotiste, islamo-gauchiste, fasciste, antisémite, populiste

Les pouvoirs seraient-ils en vérité transparents, sans liens entre eux, innocents, ligués pour le bien de la cité ? Comment alors expliquer leurs mensonges, leurs mesures répressives, l’importance accrue des lois menaçant les libertés prises en urgence au moment où nous sommes muselés confinés ?

N’est-il pas légitime de se demander s’ils n’instrumentalisent pas la situation sanitaire que nous subissons ? S’ils n’ont pas fabriqué le virus de quelque façon, en ravageant la planète, ne profitent-ils pas de sa présence pour faire taire les oppositions ?

Répressions tous azimuts

Le covid comme révélateur

La planète Terre, aujourd’hui, est parcourue de failles dans lesquelles s’engouffrent les révoltes – elles circulent partout ; l’état d’urgence pour cause de  covid tombe à pic : immobiliser les corps, hébéter les critiques, tétaniser par la peur les liens sociaux, stopper les contaminations rebelles, l’autorité de l’Etat se voit enfin justifiée.

À nous museler, réprimer, à manipuler les peurs, en particulier celle de la mort, à faire taire les pensées, à interdire l’expression des conflits, on les renvoie au domaine de l’irrationnel, sur lequel fleurissent les délires paranoïdes, lesquels nourrissent la droite extrême.

La répression policière, la loi « sécurité globale » (s’interroger sur le sens de cette association), les mesures sanitaires impactant le corps social-corps intime, prises sans nous demander notre avis, la censure des pensées hérétiques, la psychose collective de la peur, la « sidération », tout cela marche d’un seul pas. Cette répression des corps, des revendications, de l’étranger (au propre et au figuré) est la seule réplique du pouvoir « global », elle a pour conséquence la destruction des liens à l’Autre/aux autres, le sentiment d’impuissance, invasif, conduisant à la dépression grave, intime et sociale (Serge Hefez lui-même, France Culture, matin du 25/11/2020).

Comment nous ressaisir des mots confisqués ?

À bâillonner l’expression, l’action, à les diffamer, le pouvoir ne leur donne d’autre issue que de s’exprimer dans des lieux « hors la loi » où elles risquent d’être instrumentalisées pour le pire – ces lieux virtuels où circulent pêle-mêle le pire et le meilleur.

À vouloir être respectable, acceptée dans le giron de la pensée unique, propre, lavée de tout soupçon de duplicité et de mensonges, la gauche institutionnelle, mais pas seulement, pour ne pas être accusée de faire le jeu des « complotistes » et autres paranoïaques, ne joue pas son rôle et cède sa place à la droite, institutionnelle elle aussi, mais pas que, plus effrontée et plus rapide, qui reprend à son compte une méfiance légitime dont elle fait ses choux gras pour monter en influence. La gauche est réduite à un mot vide de sens puisqu’elle pratique une politique de droite ou n’ose plus penser hors des clous.

Socialisme ou barbarie ?

Rendre son sens à ce mot perverti : qu’il passe à l’acte, redevienne le mouvement des dominés, dépossédés, exploités, persécutés par le système qui règne dans le monde capitaliste, aujourd’hui néolibéral, tout-numérique, économico-politico-financier – lui ose cette alliance ! – en train de mettre notre planète bleue à feu et à sang pour quelques poignées de dollars. Que l’extrême droite, qui, elle, n’a rien perdu de sa virulence, puisse se retrouver porte-parole, dans le monde réel et virtuel, des contestations citoyennes est tragique et n’annonce pas des lendemains enchantés.

Du pouvoir autoritaire classique au pouvoir numérique-totalitaire, celui qui s’impose jusque dans notre intimité mentale, psychique, corporelle pour nous faire taire, soumettre, adhérer, immobiliser, enfermer, la pire des peines qui soient pour le régime du vivant, nous y sommes prêts – nous y sommes presque.

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