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Billet de blog 2 mai 2018

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Entrevue avec Jean-François Lesage, réalisateur de «La Rivière Cachée»

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©Jean-François LESAGE © Jean-François LESAGE

Jean François Lesage, réalisateur québécois, a vécu en Chine pendant six ans. Il a eu l’occasion de tourner là-bas son premier documentaire en 2004 Une nuit en chine. Après avoir présenté Un amour d’été (2015) dans le cadre du festival international du documentaire en Cévennes – DOC-Cévennes, il revient, cette année, présenter, pour la première fois en France, son quatrième long métrage documentaire, La rivière cachée. 
Présenté dans le cadre d'un Focus sur les Rencontres Internationales du Documentaire de Montréal, où il a remporté en novembre dernier le Prix spécial du jury, il était également en Première internationale à Visions du Réel, à Nyon en Suisse, la semaine dernière. Nous avons souhaité en connaitre plus sur lui et son cinéma.

Bande-annonce de La Rivière Cachée © Films du 3 mars

Après des études de droits, vous avez été journaliste à la télévision de Radio-Canada, comment en êtes-vous arrivé au cinéma ?

Je voulais être journaliste ou correspondant étranger et je suis allé en Chine pour une formation dans un projet de coopération internationale. Un soir dans un bar, une chinoise a eu un long fou rire, elle se roulait même par terre. J’ai réalisé que je voulais filmer ce genre de scène, mais je ne voyais pas comment je pourrais l’intégrer dans un reportage journalistique. Ça a été le début d’une réflexion qui m’a amené vers le documentaire de création. J’ai tourné un premier film ensuite en Chine où j’ai interviewé les gens la nuit sur leurs histoires d’amour.

Comment se sont passées les rencontres avec les personnes qui se confient dans votre film ?

Habituellement j’aime bien travailler avec des gens qui fréquentent naturellement un lieu. Donc je choisis un lieu et puis je tourne pendant 40 nuits avec ces gens, c’était le cas d’Un amour d’été (2015). Cette fois-ci j’ai choisi un lieu qui n’était pas très fréquenté, j’ai dû procéder différemment. Après avoir essuyé quelques refus, car je ne suis pas de cette région, je me suis rabattu sur la famille et les amis de ma preneuse de son qui étaient du coin. Je leur ai demandé de venir sur le bord de la rivière, puis je suis allé dans les bars des petites villes, j’ai dessiné des plans de la rivière pour donner des rendez-vous aux locaux et aux touristes. J’ai finalement réussi à regrouper des gens autour de cette rivière.

 La difficulté d’aimer est un thème récurrent dans vos films, un thème important pour les personnes. Que cherchez-vous à faire passer ? Pourquoi ce thème vous fascine-t-il ?

Les déboires amoureux m’intéressent énormément et surtout le travail de réalisation pour les montrer, pour expliquer cette quête là. La Rivière Cachée s’ouvre sur des questionnements un petit peu plus existentiels, pas seulement sur le couple. Mais cette question est présente dans tous mes films, Un amour d’été, c’était plutôt la peine d’amour, Conte du Mile End (2013) l’infidélité. Et puis quand on se retrouve avec des amis on parle souvent des histoires d’amours, des problèmes dans les relations, ça me passionne.

Après avoir filmé des lieux urbains, vous tournez vos derniers films dans un parc, une forêt. Qu’apporte pour vous la nature dans le film ? Pourquoi cette rivière en particulier ?

Pour Conte du Mile End et Un amour d’été, c’est vrai que ce sont des décors urbains car on sent la ville autour du parc du Mont Royal. Pour mon dernier film, la rivière est vraiment à 10 heures de Montréal dans une forêt profonde. J’ai fait un séjour en Gaspésie et j’ai découvert des rivières émeraudes, translucides. Je savais qu’il y en avait dans les Cévennes, mais je ne pensais pas qu’on avait comme ça au Québec. J’ai aussi découvert ce lieu dans le genre de lumière avec laquelle j’aime tourner. Cela fait partie de mon travail, j’ai tourné beaucoup la nuit, là je voulais tourner des éclairages crépusculaires. Quelque chose m’attire dans la nature. En Chine dans la peinture ancestrale c’est toujours un homme face à une montagne, près d’une rivière, cela me plait beaucoup. Chez les romantiques allemands aussi on trouve cette contemplation du mystère de la nature. Mais ce que j’essaye d’aborder dans le film c’est aussi le côté angoissant de tout ça.

Votre dernier film se déroule entièrement autour d’une rivière en extérieur. Cela a-t-il provoqué des difficultés particulières ?

Oui c’était un tournage très compliqué car il y avait un long sentier boueux. Et si on veut tourner au crépuscule c’est aussi l’heure des maringouins (des moustiques ndlr), on se fait dévorer pendant ces confidences qui peuvent durer 4 heures. Puis avant dans mes autres films j’éprouvais du plaisir quand je voyais une scène qui va être dans le film, mais maintenant face à un moment extraordinaire, je suis stressé, il faut maintenir le focus, ne pas bouger le pied, je deviens exigeant. C’est dur du début à la fin, même le montage.

Vous regrettez de ne plus avoir cette joie, cette facilité, ou est-ce plutôt une motivation ?

Oui cela me motive autrement, j’ai l’impression d’aller plus loin, d’avancer un peu plus à chaque film. C’est plus dur mais il y quand même des joies, surtout quand le film est fini. Je trouve maintenant que le montage devient difficile aussi. Je crois que l’itinéraire du film s’inscrit peu à peu, mais il est de plus en plus dur à découvrir à travers le montage. Je pense qu’il n’y en a qu’un, qu’il n’y a pas plusieurs films dans mon matériel.

Combien de temps a duré le tournage de La rivière cachée ?

40 jours. Un amour d’été a duré un mois, c’est souvent la même durée, sauf le premier film Une nuit en chine c’était sur un an, mais le nombre de rushes reste à peu près le même.

Comment s’est passé la production du film ? Cela a-t-il été plus facile après que votre film précédent, Un amour d’été ait remporté le Grand prix de la compétition nationale des Rencontres internationales du documentaire de Montréal en 2015 ?

C’est drôle car souvent il y a cette idée qu’après un certain court-métrage toutes les portes s’ouvrent à toi. J’ai fait un documentaire, un moyen métrage après cela, un long métrage co-réalisé avec mon frère, trois autres longs métrages… Et à chaque fois, même avec les prix, il faut lutter pour financer le projet. C’est agréable aussi de venir dans un festival non compétitif comme DOC-Cévennes pour avoir l’esprit libre et ne pas se fixer sur les prix. Mais d’un film à l’autre on a quand même un peu plus de reconnaissance, et de moins de difficultés pour la diffusion.

Dans Une nuit en Chine les personnes chantent, Un amour d’été est accompagné par la musique de Gold Zebra. Dans votre dernier film, on trouve la musique très sombre d’ Henryk Gorecki. Quelle place la musique occupe-t-elle ?

Dans Un amour d’été, on a regardé avec Gold Zebra les scènes du film pour composer. Jonathan Lamy a aussi écrit des poèmes pour le film. Les matières interagissaient, s’influençaient entre elles. Pour La rivière cachée c’était différemment et je recherchais un morceau qui épousait trois choses: la beauté, l’angoisse et le mystère. J’ai trouvé ça dans les morceaux de Gorecki. Je trouvais intéressant de travailler avec une musique déjà écrite, d’un très grand compositeur. C’est important de respecter les morceaux, il fallait garder l’intégrité de certains mouvements.

La musique est à la fois quelque chose qui transmet tout de suite une émotion mais c’est très délicat de mettre de la musique sur des scènes au cinéma, il y a tout un équilibre à trouver. C’est très compliqué à une époque où on est bombardé d’images de faire des images qui ont de l’âme. Mettre de la musique qui a de l’âme sur des images qui en sont dépourvues, cela ne marcherait pas.

Avez-vous d’autres projets ? Vous avez tourné en Chine et au Québec y a-t-il d’autres pays, d’autres habitants que vous aimeriez filmer ?

Pour l’instant mon prochain projet est encore à Montréal. C’est un film d’hiver, en noir et blanc avec des chutes de neige, cela s’appelle Prière pour une mitaine perdue. Mais j’aimerais bien retourner en Chine, parce que je parle chinois et j’ai maintenant un regard qui a un sens de la photo, je serais curieux de retourner là où j’ai fait mon premier film.

 Quelles différences il y a à tourner en Chine et au Québec ?

À Pékin les gens vivent beaucoup dans la rue, il y a pleins d’activités et une forte population. Les moments de grâce que je recherche arrivent fréquemment, les gens se laissent filmer. À Montréal le défi est de retrouver autant de moments comme cela, mais j’y parviens. C’est souvent dans les fins de tournage, le regard est plus réceptif on capte beaucoup de choses.

 Pourquoi vous êtes-vous tourné vers le documentaire plutôt que la fiction ?

Ce que j’aime dans le documentaire c’est la parole qui n’est pas écrite, on est très surpris par la façon dont les gens vont exprimer des choses qui à première vue pourraient paraitre banales. Le documentaire a cette force, on trouve des gens qui parlent en même temps, qui posent bruyamment leur verre sur une table, une sorte de mise en scène qui serait difficile à imaginer en fiction. Si j’avais écrit les textes de La rivière cachée avec tous les niveaux de langages différents, ce côté lyrique, je serais un vrai génie. C’est cela que j’aime dans le réel mais comme en fiction j’essaye de créer une atmosphère. On se permet d’ajouter de la musique, de la coloration, on injecte de la vie dans la vie.

 Un amour d’été avait déjà été sélectionné à Doc-Cévennes en 2017 (Festival International du documentaire en Cévennes) qu’est-ce que cela vous fait de revenir dans ce festival ?

Cela me fait énormément plaisir, c’est super que des gens qui ont vu Un amour d’été voient La rivière cachée qui est nouveau projet un peu dans la continuité. Et surtout j’adore Doc-Cévennes, il y a un esprit, une générosité, une programmation engagée. Cet accueil et cette expérience avec le public, on ne la retrouve pas partout, c’est très précieux. J’ai hâte de l’échange avec le public car l’année dernière à Doc-Cévennes cela avait été très riche. C’est l’étape du processus où je suis dans la joie, le plaisir de partager et non plus dans la difficulté.

Interview réalisée par Margaux Bigotte

Deux séances publiques pour découvrir le film et rencontrer le réalisateur :

- Jeudi 3 mai à 19h45 au Cinéma Nestor Burma de Montpellier (Celleneuve). http://www.montpellier.fr/3445-cinema-nestor-burma.htm


- Samedi 12 mai à 10h00 au Festival de Lasalle (Cévennes gardoises). http://www.doc-cevennes.org/festival-de-lasalle

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