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Billet de blog 22 janv. 2023

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Doléance #21

Aucune technocratie nationale n’a la légitimité requise pour traiter la question des déchets radioactifs.

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Aucune technocratie nationale n’a la légitimité requise pour traiter la question des déchets radioactifs.

1. Les fissions nucléaires produisent des éléments qui avaient disparu en quasi un clin d’œil à l’aune des temps cosmiques. De tous les éléments radioactifs synthétisés lors des explosions de super novae, seuls restent ceux, presque stables, dont la demi vie est supérieure à plusieur centaines de millions d’années – le potassium 40, présent dans tous les organismes vivants ; les isotopes 235 et 238 de l’uranium et leurs descendants ; le thorium 232 et ses descendants. Quelques éléments radioactifs sont produits en quantités infimes par l’interaction entre les rayons cosmiques et les gaz de l'atmosphère – le tritium, le béryllium 10 et le carbone 14.

2. Ce clin d’œil à l’aune des temps cosmiques devient la longue durée à l’échelle des temps géologiques de notre planète. En effet, la chaîne de désintégration des trans-uraniens produits par transmutations atomiques dans l’uranium des centrales se termine par le neptunium 237 dont la demi-vie vaut 2,144 millions d’années.

3. Outre cet élément résiduel tenace que nos technocrates évitent soigneusement de citer, pour ne retenir comme devant être considérée qu'une durée garantie de confinement de 100 000 ans, toute une palette de produits toxiques de demi-vies comprises entre 30 ans et plusieurs dizaines de milliers d’années va se trouver à de très fortes concentrations dans les colis entreposés dans les stockages de déchets radioactifs. Les rayonnements alpha, bêta et gamma émis par ces radio-nucléides ont de très fâcheuses propriétés, dommageables à leur environnement immédiat :

- dévitrification et dislocation des matrices de verre par les inclusions d’helium (rayonnement alpha) ;

- radiolyse de l’eau et de divers composés chimiques par l’action des particule bêta et des rayons gamma. 

4. La question de la mémoire, de la transmission de l'information. Elle est traitée, avec la référence de 100 000 ans, dans le film « Into Eternity » de Michael Madsen. En deux mots : comment informer ou ne pas informer les générations futures de la présence d’un stockage de déchets radioactifs ? Le héros du film est le site de Onkalo que l’industrie atomique finlandaise avait commencé à préparer à l’époque du tournage du film (2010). Aucune des nombreuses réponses et solutions évoquées n’emporte l’adhésion. Trop d’incertitudes pratiques affectent les raisonnements : toute décision sera basée sur un pari, un pari sur ce que seront les sociétés humaines dans 100 000 ans, pas dans 10 ou 20 millions d’années que la demi-vie du neptunium 237 devrait imposer de prendre en considération ! Bref, le sujet est loin d’être épuisé.

5. Signification de la notion de temps géologiques : c’est celle de la dérive des contnents, un phénomènes immuable résultant des forces telluriques. Il déplace les plaques continentales à une vitesse de l’ordre de 10 cm/an, soit en les éloignant les unes des autres, soit en les rapprochant et les faisant se percuter, entraînant la formation des chaînes de montagne et remodelant sans cesse toute la géologie des lieux.

6. Ainsi, lorsque la concentration du neptunium 237 progressivement formé par la désintégration des transuraniens présents dans les déchets radioactifs stockés dans le site de Bure (si le projet aboutit) aura été réduite au millième, après dix périodes, soit 21,4 millions d’années, le lieu se sera déplacé de l’ordre de 2 000 km. Quelles transformations géologiques auront eu lieu, qui auront changé le contexte de toute cette région d’Europe ?

7. L’arrogance des technocraties atomiques, légitimée par des gouvernants pressés de classer une affaire assez empoisonnante.

Dans les décennies 1960 et 1970, l’irruption des mouvements anti-nucléaires a forcé les nucléocraties à modifier leur façon de traiter la question des effluents et déchets radioactifs. Ils avaient pris l’habitude de stocker dans des réservoirs les déchets liquides de haute activité issus de la production de plutonium, de jeter dans la mer ou d’entreposer dans des conditionnements du genre baril les déchets de faible et moyenne activités, et de répandre dans l’environnement ce qu’il aurait été trop coûteux de concentrer et de conditionner, sous la dénomination d’effluents, moins compromettante que celle de déchets ou détritus radioactifs

. On a assisté à une compétition entre acteurs nationaux, chacun prônant sa solution définitive, promise pour les années 1990. Ainsi en Suède, aux USA, en Allemagne et en France.

La pression était forte et les ambitions initiales n’ont pas résisté aux résultats intermédiaires des innombrables études nécessaires à la certification d’un site et des types de confinements retenus. Le projet de plus avancé, celui de Yucca Mountain dans le désert du Nevada, sensé accueillir des assemblages de combustibles nucléaires usés à l’abri de superbes assemblages plus inoxydables que tout ce qu’on pouvait imaginer, a finalement été abandonné sous l’administration Obama, après plus de 30 ans de développement et une vingtaine de milliards de dollars dépensés.

Or l’option de non retraitement des combustibles des centrales civiles adoptée par les Etats-Unis est la plus favorable en terme de robustesse des déchets radioactifs. En effet, le combustible se présente sous forme de céramiques d’oxyde d’uranium et de plutonium, une matière insoluble, résistant à de très hautes températures et à l’action des rayonnements. Et pourtant, des études indépendantes – recevables dans la législation américaine, ont progressivement imposé l’idée qu’il n’était pas possible de garantir l’intégrité du confinement dans ce site, très soigneusement sélectionné par ailleurs !

Onkalo vient de commencer d’être exploité sur la foi d’une géologie stable. Mais la quesion de la mémoire n’est évidemment pas résolue, sinon par une application contorsionnée de la méthode Coué.

8. Une question relevant d’un processus de décision collectif.

La nature des phénomène disqualifie toute solution « nationale ». Que seront les nations actuelles dans 1000 ou 10 000 ans ? A fortiori dans 100 000 ou 10 000 000 d'années ! Quelles institutions oseraient prendre une responsabilité pour un temps où elles auront à coup sûr disparues depuis des millénaires, englouties par les poubelles et dépotoirs de l’histoire ? Eh bien, leur arrogance n’ayant pas de limite, elles l’osent et convainquent des gouvernements d’imposer leurs projets comme raisonnables et, surtout, impératifs.

Tout cela considéré, il apparaît évident que le devenir des déchets radioactifs intéresse l’espèce humaine dans son ensemble. N’insistons pas sur la responsabilité particulière des physiciens, techniciens, administrations et gouvernements qui ont fait entrer et maintenu l’humanité dans l’âge atomique. Elle est évidente mais la personnaliser ou l’institutionnaliser est à ce niveau inopérant. C’est homo sapiens et ses pulsions irrépressibles qui ont conduit les uns et les autres à chercher à percer les secrets de la matière et à tenter d’en tirer des applications à grande échelle. C’est donc à homo sapiens de regarder en face ce que son génie a créé et la situation vertigineuse où il s’est condamné à vivre.

Dans le contexte actuel, on voit bien que le seul lieu où l’on pourrait discuter le devenir des déchets radioactifs est l’enceinte de l’ONU. Bien entendu ce n’est pas à l’AIEA, acharnée à développer l’énergie atomique, que l’on pourrait confier la mission d’organiser le débat ! Il s’agira d’un débat où seront conviées toutes les intelligences. Le processus prendra des dizaines d’années, c’est évident. C’est sans conséquence puisqu’i n’y a aucune urgence en la matière. L’argument de l’urgence quand l’horizon temporel est si éloigné n’a aucune consistance. Il est indéfendable. Seule l’incompétence des dirigeants politiques peut expliquer qu’il ait été entendu.

Ainsi, les campagnes des anti-nucléaires des décennies 1960-1970 ont contraint le petit monde nucléo-politique à contourner la contestation en imposant des procédés moins réprouvables que les bricolages d’antan, quand la course à la bombe imposait ses priorités. Je viens de montrer qu'il ne s’agit que d’expédients. C’est de cela que nous avons aujourd’hui à persuader l’opinion et la caste politique.

Yves Lenoir

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