Des souvenirs de Premier Mai.
En 2012, j'ai écrit ceci sur Facebook.
Un jour en Mai
Dix ans
Dix ans que mes pieds n'avaient rejoints quelques autres à une manif du Premier Mai. Sensiblement pour les mêmes raisons, le besoin de dignité face au déferlement de la haine et de la peur dans les urnes, malgré la fatigue tenace et un cœur incertain.
Premier étonnement : dès la Gare de l'Est le métro est curieusement bondé.
Second étonnement : le caractère inorganisé de cette affluence, de petits groupes, des couples, des familles et quelques isolés comme moi, sans bannière, sans slogan, venus par besoin. Le contraire des autocars sarkozyiens. Un peu perdus malgré les sourires de connivences qui fleurissent dès les premiers mots entendus.
Troisième étonnement : la gravité générale. La manif de 2002, marquée par la rage et le désir de combat ("Dimanche on vire le facho. En Juin on s'occupe de l'escroc...") était joyeuse. Celle de 2012 est inquiète.
Descendu à Raspail, le chemin vers Denfert est bien familier. Il y quarante et quelques années je l'ai parcouru tous les jours. La place du lion est impénétrable. Prétexte à une errance dans ces confins du quatorzième, vers Port-Royal mas la foule est encore plus dense. La chaleur aura raison de moi et plutôt que de risquer le malaise je poursuis le pèlerinage vers le bas du Boulevard Arago, souvenir personnel.
Le dernier coup d’œil avant le retour. Dans la Gare de l'Est ensoleillée deux bourgeois de province en grand uniforme, tout propres sur eux, le drapeau tricolore du tour operator UMP sagement roulé dans la main droite cherchent leur quai, incongrus et paumés devant le tableau des trains de banlieue.
Quoi qu'il arrive Sarkozy a politiquement perdu. S'il gagne dimanche et remporte les législatives il devra le faire au prix de contorsions et de compromis qui permettront au front national de le soutenir exactement comme la corde soutient le pendu. Et cela n'est drôle pour personne.
La bonne nouvelle quand même c'est le goût du combat vu sur tant de visage aujourd'hui. Malgré tous les efforts des démagogues l’Égalité et la Fraternité des frontons de nos écoles mobilisent encore. Et du coup mon cœur va bien.
En 2015
Ma dernière manifestation : le Premier Mai 2012. J'avais écrit l'inquiétude collective. Rien de tel aujourd'hui, la peur a été personnelle. La trace que les fous ont gravée dans nos esprits surgit là où je ne l'attendais pas. J'ai connu pas mal de manifestations dans ma vie. Je me souviens de la peur, quarante ans déjà, lors de manifestations tendues, politiquement résolues à affronter les forces de l'ordre. Aujourd'hui, au cœur de la foule la crainte m'a parfois envahi à l'idée d'un kamikaze venu se faire sauter au milieu de cette incroyable foule, inhabituelle, familiale, spontanée. La panique serait dévastatrice, meurtrière. Je résiste comme je peux. Est-ce vraiment une manifestation, un rassemblement, un célébration.
Tellement de gens qu'il est impossible de joindre la place de la République ou même le point de rassemblement que je vise. L'errance se transforme en ré-exploration de l'Est parisien. Premier détour jusqu'au canal, puis plus haut encore. Tiens la rue Jean-Pierre Timbaud. Que de souvenirs et pourtant plus rien n'est pareil.
La fillette en trottinette rose qui veut me dépasser au grand dam de ses parents effrayés à l'idée de la perdre.
Les cyclistes qui cherchent désespérément la place de Vélib libre introuvable dans un rayon de trois kilomètres.
Le petit con sans gêne qui crache par terre à peine sorti du cortège.
Le couple de retraités qui s'attarde à comparer les modèles de lambris dans une vitrine.
La vie n'a pas disparu mercredi dernier.
Catherine au téléphone me suggère devant la difficulté à avancer vers le but fixé de rentrer. Après tout un de plus ou de moins... Non. Je dois remplir le vœu de tous ceux qui sont là. J'ai aperçu la République au départ je ne peux pas revenir sans avoir vu la Nation. Pas un parcours urbain, une trajectoire politique.
Et tout ce monde ne sait plus où aller. Flux et reflux à la recherche d'une voie un peu ouverte. Bien le temps de prendre un café. Je repars en exploration. Le tour par l'est du Père-Lachaise, et pour finir descendre la rue des Pyrénées. Je vois les colonnes. Je peux prendre le chemin de la maison.
Quelles leçons ?
Que tremble le politiquement correct de la sacro-sainte union nationale! Les dix-sept ne sont pas morts pour cela.
Quel bonheur que le front national se soit exclu lui-même de la communion populaire et se soit senti obligé de se replier, pathétique, sur ses bastions électoraux, prenant ainsi en otage une région!
Je crains le pire des imbéciles qui nous gouvernent, comme Chirac n'a rien compris en 2002 il y a fort à parier qu’ils tirent argument de cette affluence pour renforcer les mesures sécuritaires qui se sont avérées illusoires et renforcent les mesures discriminantes. Je veux comme les autres proclamer "Je suis Charlie, je suis flic, je suis athée, je suis musulman, je suis juif". Ceci doit également être vrai en Palestine. Laisser Naftali Bennet,un leader de l'extrême-droite israélienne qui souhaite éradiquer les palestiniens non-juifs de leur terre venir faire le beau devant les caméras était-il le meilleur message à envoyer au monde?
Nous avons montré combien le besoin de vivre ensemble est notre cause commune, application toute simple des trois mots au fronton de nos mairie.
Nous sommes libres.
Nous sommes égaux.
Nous sommes frères.
Ensemble.
Dominique
En 2024 je ne sais plus quoi penser malgré une matinée passée avec mes amis du groupe Union Populaire de Tournan-Gretz.