Ce jour j'ai fait un double voyage dans le temps. Je n'ose même pas estimer depuis combien d'années je n'avais pas mis les pieds dans un cinéma. Le film "Mercenaire" de Sacha Wolff sorti aujourd'hui m'a replongé dans ma jeunesse. Après le plan initial au bord d'un terrain de rugby vient la scène d'exposition, scène à trois filmée en champ/contre-champ. Le pivot autour du personnage central m'a pris par surprise et ramené dans ces lointaines années quand, étudiants en cinéma, nous nous rebellions contre l'académisme et le formalisme dont nos professeurs voulaient de bonne foi nous convaincre. A partir de là je me suis trouvé embarqué dans le film comme on l'est dans certains concerts d'où l'on sort tout étonné de ne pas avoir une seconde pensé à se gratter le nez ou imaginé la bière à boire en sortant de la salle. Engagé à suivre Soane, wallisien de Nouvelle-Calédonie, mon esprit ne s'est pas pour autant fermé. Bizarrement l’âpreté de certaines scènes à Nouméa a fait remonter le souvenir de ces quelques courts films très durs tournés par Satyajit Ray dans la campagne indienne.
Soane joue au rugby. Le rugby va le mener en France, Et voici mon second voyage, encore plus loin, au temps du lycée quand je découvrais la fameuse phrase de Jean Giraudoux: «l’équipe de rugby prévoit, sur quinze joueurs, huit joueurs forts et actifs, deux légers et rusés, quatre grands et rapides et un dernier, modèle de flegme et de sang-froid. C’est la proportion idéale entre les hommes.» Hélas, passé sous le rouleau compresseur du professionnalisme, écrasé par l'argent de la télévision le rugby que nous aimions s'en est allé. Les joueurs se sont standardisés. Les forts sont devenus grands. Les grands et rapides ont pris du poids. Même les légers et rusés vous feraient parfois peur le soir au coin du bois. Filmé au plus près les quelques scène de rugby ne ressemblent pas au beau spectacle des matchs télévisés de fin de semaine. La matière humaine vit, combat et parfois souffre devant nous.
La force alliée à l'argent, quoi d'étonnant que la brutalité courre les terrains. Soane n'y échappera pas. Largué comme un bébé désemparé dans notre monde il sera confronté à toutes les violences qui sous enserrent. Celle de l'argent. Celle du dopage. Celle des hommes contre les femmes. Celle de la bêtise. Dans le monde de la précarité et du salariat mercenaire n'est pas loin de rimer avec esclave.
Et nous comprenons que la fiction pourrait bien être un documentaire flou. Au lieu de focaliser sur un sujet on fait le point sur des personnages. Leurs émotions nous laissent alors voir les tensions, les forces qui nous entourent. Et par la force d'une seule image qui se passe de mot dans les rues de Lourdes la religion rencontre la marchandise.
Quand la violence vous encercle à ce point est-il possible d'y échapper sans y succomber ? La violence qui peut se cacher dans l’agressivité de la sono d'une discothèque ou dans l’alcool du Samedi soir. Sera-t-il possible à l'homme océanien de se frayer un chemin à travers les fissures de la culture et la religion coloniale pour trouver un équilibre vivable ?
A l'un ou l'autre moment de notre vie chacun de nous est, a été, sera un mercenaire. Venez rencontrer un frère.