En un an, à l'extrême ouest et à l'extrême sud-est de l'Union Européenne, se sont tenus deux referendums qui posaient implicitement, en Grèce, ou explicitement, au Royaume-Uni, la question de l'appartenance à l'Union Européenne. Tous les deux convoqués par des politiciens retords pleins d'arrière-pensées. Ils sont comme le miroir l'un de l'autre.
En Grèce, Alexis Tsipras pris à la gorge par les puissances convoque un referendum afin de se sortir de l'étau. Il a fait le choix d'abréger la crise, de sortir par le bas, d'accepter la défaite et de tenter de passer par un trou de souris pour reconstruire le pays au prix de l'austérité consentie et des souffrance du peuple grec. Il a déjà décidé de limoger de fait les opposants internes symbolisés par Yanis Varoufakis. Je sais qu'il est facile de juger de loin et a posteriori même si la raison et l'Histoire montrent que ce genre de défaite, surtout consentie, ne mène jamais vers la victoire. Le politicien gagne les élections de Septembre et reste au gouvernement, probable seule solution de stabilité en Grèce à l'époque susceptible d'atténuer provisoirement les peines de la population en gagnant du temps et d'attendre une hypothétique réduction de la dette . Il convoque un referendum qu'il veut perdre pour oublier le problème de la relation avec l'Union Européenne et le problème intrinsèque de la démocratie et la souveraineté dans l'Union.
Au Royaume-Uni David Cameron promet un referendum pour garantir sa victoire aux élections générales de 2015. Promesse sans doute inutile car aucune analyse politique sérieuse ne permettait de dire que les travaillistes de Milliband aient eu la moindre chance de gagner. Les sondages ne sont pas des analyses. La décision du referendum répond à une tendance eurofuge de fond en Angleterre, au Parti Conservateur, et chez Cameron lui-même. Il convoque donc un referendum pour le gagner et oublier la profonde dissonance cognitive que représente l'appartenance à l'Union. Cette opération peut rester dans les annales comme le prototype de l'acte manqué politique le plus parfaitement réussi. Le résultat est d'autant plus frappant que les événements immédiatement précédents la consultation, l'assassinat de Jo Cox en particulier, ont fait monter la tension émotionnelle et probablement fait évoluer l'opinion dans le sens du "Remain".
Dans les deux cas l'attente du politicien initiateur de l'opération est déçue par le peuple qui vote de manière significative. Les résultats politiques sont d'autant plus frappants que celui qui a menti sur l'issue souhaitée du vote est resté au gouvernement et que celui qui voulait gagner le vote doit partir dans la confusion et le ridicule.
Le pays qui n'aurait jamais du entrer dans l'Union y reste et celui qui serait justifié pour y jouer un rôle stabilisateur s'il avait la volonté de jouer le jeu va en sortir. Les déséquilibres économiques structurels sortent accrus du cycle. Les mouvements provoqués sur les marchés britanniques relèvent de l'irrationalité financière habituelle et non des conséquences mécaniques du Brexit qui n'a pour l'instant donné lieu à aucune action réelle. Voilà qui ajoute à la sombre ironie de la situation. Les apprentis sorciers néo-libéraux se brulent à leur propre feu, déclenchent une prévisible panique financière et vont se voir contraints de renoncer à leur sacro-sainte austérité pour relancer une machine qu'ils ont fait caler. Georges Osborne contraint d'appeler Keynes à la rescousse. Humour britannique ?
Les dégâts politiques ne sont pas en reste. Des deux côtés, grec et britannique, les défaites morales s'accumulent. Le principe démocratique bafoué par les calculs de dirigeants politiques cyniques en prend un coup. Ils utilisent l'arme d'une consultation montée en épingle comme le summum de la démocratie. Résultat : le referendum devient, ce qu'il a plus ou moins toujours été, une arme de destruction massive de la démocratie, la porte ouverte aux déferlements de sentiments simplistes et inavouables. La confusion s'installe autour de l'idée européenne confondue chez beaucoup avec l'image de l'Union Européenne. Au nom de la défense de la solidarité on mobilise les énergies pour la défense du status quo pourtant mortifère. Par exemple la campagne "Another Europe is Possible" porte quasi malgré elle comme sous-texte "Cette Union est démocratisable" ce qui est profondément trompeur. Il faut le répéter autant que nécessaire. La clé de voute de l'Union Européenne est l'Euro qui verrouille les états dans leur impuissance économique, les contraint à emprunter au prix fort sur les marchés financiers par ailleurs maîtres du reste du jeu économique. Les seuls espaces démocratiques existant, les états-nations, se trouvent réduits à la sujétion, soumis à des organes exécutifs sans contrôle et même non-statutaires comme l'Eurogroupe.
A près d'un an et 2400 kilomètres de distance les deux referendums se font écho pour ébranler la démocratie et l'idée même de la solidarité entre les peuples d'Europe déjà travestie par une caste politique devenue autiste dans sa tour d'ivoire bruxelloise. Combien de temps pourrons-nous continuer à vivre sur ces mensonges ?