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Billet de blog 27 mai 2024

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Note de lecture "Le nettoyage ethnique de la Palestine"

Ma note de lecture du livre d'Ilan Pappé : "Le nettoyage ethnique de la Palestine".

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Le nettoyage ethnique de la Palestine

ISBN 978 2 35872 280 3

Editions La Fabrique

Ilan Pappé - auteur

Paul Chemla - traducteur

Résumé

Ce livre expose, à partir de documents d’archive officiels et de témoignages, l’histoire de la prise de contrôle de la plus grande partie du territoire de la Palestine mandataire entre 1947 et 1949. A contrario de l’historiographie officielle il montre un plan de conquête organisé de longue date impliquant une violence terroriste destinée à expulser les populations arabes. La non-reconnaissance de ces crimes obère toutes les tentatives de pacification.

Illustration 1
Couve Nettoyage tehnique © Ilan Pappé

Remarques liminaires.

Le style et la méthode.

Direct, sans emphase, sans proclamation fracassante le texte nous invite à une lecture aisée aussi peu polémique que possible. Il est évidemment impossible de distinguer ce qui revient à l’auteur de ce qui vient du traducteur dans le résultat.

La neutralité du ton n’empêche pas cette lecture d’être parfois difficile vu l’horreur des événements rapportés.

Ilan Pappé fait partie des « nouveaux historiens israéliens » émergés dans les années 1980-1990. Ils partagent une vue critique sur l’historiographie habituelle de la création de l’état d’Israël. Ils ont donc mis en pratique une approche par les témoignages et les archives. Ce groupe hétérogène ne constitue par un courant de pensée ou une école mais se caractérise par une approche plus concrète de l’Histoire. Certains des plus critiques de la pensée dominante comme Ilan Pappé ou Avi Shlaim ont préféré s’exiler (au Royaume-Uni) pour travailler.

L’ouvrage est alimenté par les citations d’archives de personnalités (David Ben Gourion), de l’armée israélienne, de la Haganah et d’autres sources ainsi que par des témoignages directs ou indirects. Les sources sont clairement référencées ainsi que la bibliographie. Les cartes heureusement ajoutées en fin sont indispensables à la compréhension de la dimension territoriale des opérations.1

Une chronologie synthétique de l’occupation sioniste de la Palestine (1878 à la fin 1949) se trouve page 323.

Une approche chronologique et thématique.

Après une préface introductive l’auteur déroule la chronologie des opérations à partir de la fin de 1947 et l’évolution des plans de la direction des forces juives en chapitres correspondants aux phases. Cette préface démarre avec l’évocation des la réunion initiale du processus.

Le Livre.

I-Le nettoyage ethnique-Définition et conséquences.

La référence contemporaine du nettoyage ethnique se trouve dans la guerre en ex-Yougoslavie qui a permis à la communauté internationale de préciser les définitions et de différencier épuration ethnique et génocide. Tout au long de l’ouvrage les événements des Balkans servent de comparaison.

II-Vers un état exclusivement juif.

Depuis l’Occident la mise place du « Foyer national juif » apparaît comme une sorte de revanche des Croisades. Sous le mandat britannique la vision de départ équitable glisse à l’avantage de la partie juive dont les préparatifs y compris militaires sont favorisés. Si le début de gouvernement de la partie arabe, le « Haut Comité Arabe » reste embryonnaire la partie juive s’organise avec à sa 

tête David Ben Gourion. Tout en s’opposant aux britanniques afin de gagner en autonomie elle organise ses forces militaires et prépare des plans d’expulsion systématique des populations arabes, par la violence terroriste si besoin.

III-Partition et destruction-La résolution 181.

La population du territoire du mandat britannique comptait 90 % d’autochtones arabes en 1918 devenus les 2/3 en 1947 au moment du début des opérations de nettoyage ethnique. La résolution de partage du territoire adoptée par les Nations Unies prévoyait une répartition du territoire de 55 % pour la partie juive minoritaire concentrée en Galilée et au Néguev contre 45 % à la partie arabe La direction sioniste quoi qu’il en soit contrôler au moins 75 % du territoire.

La décision des Nations Unies avive les tensions et rend l’affrontement inévitable.

IV-Finalisation du plan directeur.

La direction sioniste organise à la fois l’espace de la conquête et l’économie de ses forces. Il lui importe de neutraliser la seule armée arabe d’importance, la Légion Arabe jordanienne, par la négociation et la concession territoriale. Initialement les forces juives comptent 50000 hommes contre 7000 du côté arabe. A la fin de l’été 1948 la partie sioniste comptera 80000 combattants bien armés par des fournitures tchèques favorisées par l’Union Soviétique. Les forces arabes précédemment armées par le Royaume-Uni ne reçoivent plus d’équipement.

Au début des opérations la partie arabe se refuse à opérer des représailles aux provocations.

En Décembre 1947 la partie juive décide de lancer la campagne d’intimidation et de menaces.

V-La marche à suivre du nettoyage ethnique.

Le plan final opérationnel de conquête d’une majeur partie du territoire, bien au-delà des 55 % du partage officiel des Nations Unies est nommé plan Daleth. Il découpe le territoires en zones affectées à des unités précises et inclut la déportation par la force et l’intimidation par les meurtres. L’offensive n’est pas généralisée mais se déploie zone par zone. La désarabisation des villes palestinienne conquises s’accompagne de la destruction des villages environnants. La faiblesse et la dispersion des réactions arabes se conjuguent avec la mollesse britannique et la trahison des Nations Unies pour ne pas laisser d’autre issue qu’une « vraie guerre ». Le massacre connu du village de Deir Yassin a lieu dans cette période.

VI-Drôle de guerre et vraie guerre. (mai 1948).

Alors qu’approche le jour de l’officialisation du plan de partage et la proclamation de l’état d’Israël qui suivra va se livrer la seule réelle bataille frontale de cette guerre autour de Jérusalem. Elle est motivée par la volonté du roi de Jordanie de conserver sous son contrôle une partie de la ville sainte. Elle permet le maintien du status quo mais n’a pas de suites. Par ailleurs les combats localisés continuent. Les expulsions et massacrent s’accentuent.

VII-L’escalade des opérations de nettoyage (Juin-Septembre 1948).

Les opérations se poursuivent malgré les pourparlers menés par l’envoyé des Nations Unies, le comte suédois Folke Bernadotte (qui sera plus tard assassiné par des extrémistes juifs). Une première trêve en Juin n’empêche pas les destructions de villages arabes et la transformation du paysage de continuer. La discussion d’une seconde trêve en Juillet n’aboutit pas.

VIII-Achever le travail (Octobre 1948-début 1949).

Malgré quelques exemples de résistance héroïque de villages palestiniens aidés de volontaires arabes étrangers le nettoyage se poursuit. La partie israélienne ayant déjà globalement gagné il s’agit maintenant de « nettoyer » les îlots restants de population arabe et de mettre en place une politique de non-rapatriement des exilés.

IX-L’occupation et son odieux visage.

La conquête accomplie restent les camps massifs d’internement pour les populations qui n’ont pas été déportées. La gestion chaotique de ces camps inclut la possibilité « d’élimination » des prisonniers. Les exactions sont attestées par des rapports de la Croix Rouge et des autorités israéliennes.

Puis arrive la ghettoïsation des palestiniens dans certaines endroits (Haïfa), le partage du butin (les terres confisquées), la profanation des sites sacrés musulmans et chrétiens. La Catastrophe, « Nakba » s’est accomplie.

X-Le mémoricide de la Nakba.

Vient maintenant le temps de la réinvention de la Palestine et de la réécriture de l’Histoire, d’effacer le nettoyage ethnique. Une première étape capitale a consisté à hébraïser la géographie du territoire et à transformer les paysages pour les intégrer dans un nouveau récit. Il arrive ainsi que des villages arabes détruits soient transformés en parcs de loisirs mettant en évidence la capacité de mise en valeur des nouveaux occupants alors que ces terres ont une autre et longue histoire.

XI-La négation de la Nakba et le « processus de paix ».

En 1950 les Nations Unies sont contraintes de traiter la question des exilés palestiniens qui se retrouvent parqués dans des camps de fortune sous administration arabe étrangère (Gaza sous juridiction égyptienne, Cisjordanie en Jordanie). C’est la création de l’UNRWA. Le nationalisme palestinien , embryonnaire avant la Seconde Guerre Mondiale, va se cristalliser. Le refus systématique de l’état d’Israël de reconnaître sa responsabilité dans la situation mènera à une exacerbation du conflit qui entraînera quelques timides efforts de résolution. Il faudra cependant la guerre de 1967 pour que le monde s’intéresse de nouveau au sujet. Israël a alors pris possession contre toute légalité internationale de la totalité du territoire de la Palestine du mandat britannique de l’entre-deux guerres.

Israël continue à exclure les événements de 1948 de la discussion et donc de considérer sous quelque forme que ce soit l’idée du « droit au retour » (fut-il symbolique) des palestiniens exilés. Aucune possibilité de pacification effective ne peut sortir de cette situation.

XII-La forteresse Israël.

Construit sur le nettoyage ethnique et la négation de ses responsabilités l’état d’Israël pourra-t-il tenir longtemps ?

Epilogue : la Maison Verte.

La conclusion du livre date de 2006 et ne prend pas en compte les événements récents (2023-2024) qui ne concernent pas son objet de rendre compte de la période 1947-1949. Elle ouvre cependant une lueur d’espoir tout en soulignant les risques d’embrasement de toute la région.

Remarques finales.

Ilan Pappé s’abstient de prise de position tranchée sur le conflit et fait son travail d’historien. On doit reconnaître que la disponibilité des archives israéliennes a permis ce travail de recherche historique.

Le nettoyage ethnique a fait partie de la création de l’état d’Israël.

La précision documentaire du travail laisse très peu de place aux doutes. La conquête du territoire de la Palestine mandataire pour créer un état juif a bien été le théâtre de crimes majeurs qui faisaient partie d’un plan préconçu. Les faits sont clairs et documentés par des sources israéliennes. L’auteur n’a même pas à l’écrire explicitement.

Contextualiser

Le lecteur de 2024 ne peut pas esquiver sa propre responsabilité de mise en perspective. Comme toujours il est nécessaire en matière historique et politique de contextualiser les récits. L’effort est double:

-resituer les événements de 1948 dans leur époque.

-apprécier leur signification pour les évolution ultérieures jusqu’à ce jour (2024).

La conjoncture particulière de l’époque 1947-1949 résulte de facteurs complexes :

-l’antisémitisme européen (principalement) qui au dix-neuvième siècle a succédé au vieil antijudaïsme chrétien, culmine avec l’affaire Dreyfus et accélère la constitution du mouvement sioniste.

-l’immigration juive en Palestine significativement accélérée par le refus des États-Unis d’Amérique de recevoir plus d’immigrants d’Europe de l’Est.

-la Catastrophe de l’Holocauste et la culpabilité globale diffuse qu’elle induit dans le monde européen (et occidental).

-l’avidité des puissances occidentales (France et Royaume-Uni en particulier) qui préfèrent se servir sur les débris de l’empire ottoman plutôt que traiter les problèmes des peuples.

Cette conjoncture a créé la situation particulière qui mène le mouvement sioniste a se croire autorisé à tout faire pour créer un refuge aux populations juives, les puissances occidentales à se défausser des leurs responsabilités coloniales dans la région et les nouveaux régimes arabes mal consolidés à ne voir que le court terme.

La conjoncture d’aujourd’hui oblige à prendre en compte l’instabilité globale de la région et la présence effective des populations en place.

Après plus de soixante-dix ans il ne peut pas être question de faire le procès de responsables qui ont tous disparus mais dire la vérité est nécessairement une étape importante vers la pacification. Dire la vérité implique la reconnaissance des crimes par les héritiers de leurs auteurs et par l’état d’Israël. Ce livre est une étape nécessaire dans cette direction.

1Le livre de Nur Masalha, historien palestinien majeur « Palestine, a four thousnad year history » (978 0 7556 4942 6) fournit un panorama complet de l’histoire du territoire palestinien. En français on peut approcher l’histoire du Moyen-Orient avec « Le milieu des mondes » de Jean-Pierre Filiu (978 2 02 142024 1) .

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