Dominik RICHARD-MULTEAU

Abonné·e de Mediapart

10 Billets

0 Édition

Billet de blog 16 novembre 2013

Dominik RICHARD-MULTEAU

Abonné·e de Mediapart

"Et quelquefois j'ai comme une grande idée" de Ken Kesey

Dominik RICHARD-MULTEAU

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J'aime beaucoup le travail de Dominique Bordes, l'homme derrière les "Editions Monsieur Toussaint Louverture", depuis quelques années maintenant, je découvre toujours avec ravissement ses nouvelles sorties, toutes plus passionnantes les unes que les autres.

La dernière en date, un roman de Ken Kesey (l'auteur est plus connu pour son roman précédent "Vol au-dessus d'un nid de coucou" rendu célèbre par son adaptation cinématographique).

La traduction d'Antoine Cazé (il fallait avoir beaucoup de courage et de passion pour s'y atteler).

Comme pour toute livre acheté chez Monsieur Toussaint Louverture, tout commence par la visite de son site, de sa boutique, de son humour, de sa démarche.

Puis, un ou deux jours d'attente, pas plus, avant de recevoir son livre.

Le premier plaisir est le déballage du colis, le découvrir enveloppé d'extraits de "Les préliminaires" ("premiers pas d'une nouvelle revue de nouvelles" dixit Editions Monsieur Toussaint Louverture sur son site)...

Parlons du roman...

Alors, bien sûr, il y a le style, l'écriture.
C'est d'ailleurs ce qui frappe au début, cette écriture torrentielle à plusieurs voix simultanées.
Nous sommes dans l'intimité des pensées de chacun des personnages, impliqués, imbriqués dans toute action et toute intention de chacun d'eux (homme ou animal).
Effectivement, dans un seul et même paragraphe, parfois même dans une même phrase, on se retrouve lecteur d'une polyphonie de personnages, comme une vision panoramique.
Ou comme une illustration des multiples portes de la perception chers à Ken Kesey et aux Merry Pranksters.
Ce qui permet de ne pas se fier à une vérité, de saisir toute la complexité des individus.
Une virtuosité vertigineuse, et aussi, un lyrisme étourdissant, des références shakespeariennes.
De plus, pour un amateur de country, de folksong traditionnels, quelles références!
Mais en rester à ce stade, ce serait tellement réducteur.

Il y a aussi, la nature (magnifique et sauvage Oregon, le vol des oies du Canada, la rivière qui bouffe tout sur son passage, berges et maisons, la moiteur du climat qui gangrène les corps) l'Histoire (les pionniers de la conquête de l'Ouest, le mépris pour les Indiens, le retour de la guerre de Corée), le caractère des personnages (bûcherons, commerçants, tenancier de bistrot, musiciens, syndicalistes, pute...) l'histoire familiale, le poids du passé qui s'impose, les non-dits, les rancœurs, les jalousies, les vengeances à assouvir, l'amour sans les mots qu'il faudrait pour le dire, le monde qui change, l'individualisme du rêve Américain qui cède la place au sociétal, au syndicalisme, la bombe atomique qui est une réalité...
Fais gaffe.

La famille Stamper, avec le patriarche Henri, « gueulard » et dur au mal, les fils Hank le « cogneur » et Lee « l'intellectuel », le neveu Joe Ben « le défiguré »
Une hiérarchie stricte, chacun a sa place, chacun à sa place.
Le noyau dur.
et les autres Stamper.
Tu as raison, Viv, il faut remonter très loin pour comprendre.
Une histoire virile, d'hommes bourrés de testostérone où les femmes ne sont parfois qu'un enjeu, un trophée voire un moyen d'arriver à ses fins (Myra, Viv)
Fais gaffe.

Une famille et une terrible vengeance à assouvir.
Seuls, mais unis contre les autres, contre le changement des règles.
Ne rien lâcher.

L'inexorable avancée de ce qui est inéluctable.
Les forts n'ont pas le droit à la moindre faiblesse, toujours ils doivent être forts, ils ne peuvent faire semblant.
Le fleuve et l'érosion.
Ne rien lâcher.

On entend les hurlements, on y ressent dans son propre corps la haine, la force, la violence, les corps et les cœurs fracassés.
On y avance sans pouvoir éviter les dégâts collatéraux.
Ne rien lâcher.

Il est impossible, je m'en rend compte, de parler de ce livre, je n'ai pas ce talent-là non plus.
Pour reprendre la phrase d'un libraire:
« J'ai mis 60 pages pour entrer, je vais peut-être mettre 60 ans pour en sortir »

Quel beau travail d'éditeur, quel boulot de traducteur.
Merci, encore cette fois, Monsieur Toussaint Louverture, le résultat est bien là.
Fort !

« You're either on the bus, or you're off the bus » était l'une des devises des "Merry Pranksters" (joyeux lurons) groupe fondé par Kesey ayant sillonné les Etats-Unis en 1964 à bord de leur bus scolaire peinturluré en fluo, qui roulait au LSD et arborait le panneau « Chargement étrange » à l'arrière – voyage relaté par Tom Wolfe dans son livre Acid Test.

Vous reste la possibilité d'un grand voyage avec ce magnifique roman.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’auteur n’a pas autorisé les commentaires sur ce billet