Il y a trois ans, dans un sondage Ipsos-Figaro, un Français sur quatre se rêvait écrivain. Interrogés plus avant, les sondés avouaient , bien souvent, qu’ils avaient quelque chose en cours. Un second sondage – toujours Ipsos-Figaro – de 2007 celui-là, indiquait que seuls 52% des Français avaient acheté un livre au cours de l’année écoulée. Un livre, tout court : ce peut-être bande dessinée, manuel de jardinage ou Voici en version longue. Sans forcer sur le calcul mental, on en conçoit un peu d’effarement. En littérature, il y a peut-être chez nous davantage d’écrivants que de lecteurs …
La semaine dernière, on m’a raconté l’histoire d’une femme – bourgeoisie du centre de la France, profession des plus nobles qu’elle n’a jamais exercée au demeurant – elle écrivait. Au matin, accoudée au réfrigérateur, sans un regard pour les enfants en partance. Le soir quand ils rentraient – « on était les mômes les plus libres de la ville » - en vacances, après avoir viré du coffre de la voiture les vêtements de la marmaille pour y loger ses doubles, ses rames de papier, son roman en cours.
Pendant quarante romans. Aucun ne fut jamais publié. La dame était sourde aux conseils, convaincue que tôt ou tard. Elle rangea ainsi par ordre chronologique les lettres de refus des éditeurs, un bon paquet, on s’en doute, qui allaient de la formule standard à la cruauté pure. Jamais, cependant, elle ne s’en remit à la publication à compte d’auteur.
Le seul exemple que je connaisse, un peu similaire, est celui de Barbara Pym, qui voyant ses textes refusés pendant plus de 22 ans, eut la joie tardive de remporter un franc succès ( avec publication aux éditions Bourgois dans les années 80). Je me suis longtemps demandé pourquoi. Conflits et amours feutrés autour du presbytère, haies humides et décoration de l’autel… Barbara Pym, qui a toujours écrit le même roman à de subtiles variantes près, devait être un réconfort vieux-pull-et-tasse-de-thé dans l’Angleterre thatchérienne..
La dame aux quarante romans est morte aujourd’hui, loupant de peu internet, une révélation potentielle, et pestant contre un monde de l’édition bien mal fait.
Il est vrai qu’avec les 676 romans de la rentrée, et le second tir groupé à hauteur de janvier, les mœurs particulières de l’édition française reviennent à se tirer une balle dans le pied. Angleterre, Italie, Allemagne, Espagne ? Les autres étalent les parutions, tandis qu’ici – après constat réitéré de la folie qu'est cette rentrée – on rempile, et en avant pour 600 romans portés disparus, ignorés faute de temps – quelqu’un a calculé qu’en cette période il faudrait dévorer 11,6 bouquins quotidiennement pour tout lire – etc..
Pas étonnant, donc, de voir un éditeur fort bien disposé à votre égard s’enquérir discrètement de vos sources de revenus, suggérant, avec délicatesse, que vos quatre tomes en six ans, ce n’est pas un travail, ça. Flaubert sombrait dans la dépression à l’idée que ses rentes puissent être diminuées, et l’amputer du temps – considérable – qu’il consacrait à chaque œuvre. Le désormais best-seller Jean Paul Dubois déclare trousser ses romans en l’espace de deux mois. Ce qui se perçoit.
Pour m’achever, je me suis donc reportée à un intéressant article de Karine Papillaud dans le Point, en juillet dernier, qui a suivi de près le pilonnage des livres au rebut, à Vigneux- sur -Seine. On peut en tirer deux satisfactions : c’est écologiquement correct, et quelques-uns des titres compressés, ma foi.. Bios de Tom Cruise et Michel Drucker, du Carla Bruni-Sarkozy-Dati, du Musso. Et Attali. Et Sollers, aussi. Bientôt BHL/Houellebecq en correspondance ? « On ne paie jamais plus de 100 euros la tonne », résume un ouvrier, lapidaire. 80 millions d’ouvrages sont ainsi détruits chaque année, quand même. Et si les inconnus du pilon ne sont pas mentionnés, c’est sans doute que leur tirage initial, modeste, les en a prémuni…

Je repense à l’impossible dame aux quarante romans dans le tiroir. Il paraît que ce qu’elle écrivait était vraiment nul. Vraiment. Mais sa dinguerie d’écrivante n’est pas si éloignée de celle des écrivains, qui visent l’éternité sans halte à Vigneux-sur-Seine.
C’est ce qu’on appelle se remonter le moral, au moment où le portillon de l’édition s’est ouvert , dans un endroit où l'on se sent bien(1), où l’on saute dans le TGV à destination du sud, où il s’agit de faire l’écrivain derrière sa pile, d’assurer, quoi, enfin! Et qu’on balise, point.
Mais ce sera surtout l’occasion de reparler du festival du Livre de Mouans-Sartoux, de ses grands lecteurs, loin de Paris, des 50 000 qui viennent là chaque année débattre et bouquiner. Cette année, le thème, c’est Résistances. De quoi faire.
(1) Plusieurs personnes me l’ont demandé, alors c’est : « En espérant la guerre », Actes Sud. Mais don’t worry, je ne vais pas me l’accrocher en queue de comète aux commentaires.