Les voici qui montent dans le car, dociles touristes de l’immobilier, la camera les suit, et nous avec. La crise des subprimes, ou plutôt ses effets sur les emprunteurs fragiles, c’est pain béni pour les reporters. Cartons sur le trottoir, vente à l’encan des maisons vides, économie à ciel ouvert. Mais soudain, il y a le rire de cette femme.
Ils ont roulé, leurs fiches en main jusqu’à la première de ces maisons frappée de l’écriteau infâmant. Nous la connaissons, cette maison. Le cinéma nous en décliné toutes les versions. Elle est familière, sapin clignotant sur la pelouse, barbecue en été, daddy !
Ils arrivent, c’est grand, c’est blanc, regards au sol et au plafond, en fond une voix dit qu’il faut choisir avec sa tête et non son cœur.Et soudain, le rire de cette femme.
La caméra en vacille. La femme montre l’escalier, là, regardez, ils n’ont pas fini de peindre ! En effet. Là, quelqu’un s’est interrompu, coup de rouleau visible, coulure. De peinture sur contreplaqué. Et ce rire, qu’elle a.
Police arrivée en plein bricolage du samedi matin, vous avez deux heures pour partir ? Ou la lettre de la banque, le délai que nous vous avons imparti…Ou bien le peintre, soudain, a-t-il été saisi par cette évidence : c’est foutu ?Cette femme , la cinquantaine, tailleur étroit.. Son rire s’achève sur une note surprenante. Une inquiétude, à réécouter. Là, dans l’ultime coup de pinceau, elle a entrevu le pendu de la maison du pendu, l’angoisse du versement en retard.
Je les regarde, dans leur autocar.
Les gens ont vu leur taux d’emprunt variable grimper, les mensualités s’alourdir, ils ont calanché, quand ils ont lu les petites lignes, en bas du contrat, il était trop tard. Les banques bradent cet immobilier en baisse pour la première fois depuis 1945. Et l’on entasse les acheteurs potentiels pour des tours en cars, de maison en maison.
Des vautours ? Modestes vautours à les voir. Les vrais, eux, ne grimpent pas dans des cars. Il y a deux ans, ceux-ci roulaient devant ces baraques à 300 000 euros qui n’étaient pas pour eux. Et soudain, jour de rêve, sous la barre des 200 000, ils peuvent. Dansl’tourbillon de la vie, saisir sa chance… Une opulente blonde, filmée en contre plongée, dit que ça va être fun, comme journée. Elle a une amabilité d’ogresse de conte de fée.
Cette autre femme – on le pressent, tout n’a pas été facile pour elle - dit que ça doit être dur, oui, de devoir partir ainsi, quitter sa maison. On vous le dit bien, à l’église, ayez une pensée pour ceux qui ont tout perdu.
Alors je regarde les autre films.
Il faut reconnaître ceci, aux Etats-Unis, la cruauté du système avance sans fard. Il y a de la compassion, des larmes, peu de colères. Si peu, envers les pousse-au-crédit, la règle d’un jeu dont les perdants sont connus d’avance. Roue de l’infortune, à qui le tour ?
Ici, une jeune femme noire montre l’herbe drue devant un perron : « Les banques font teindre la pelouse. Que ça ait meilleure allure.» Elle a un sourire sans gaîté.
Là, deux policiers expulsent quinze familles en une journée, c’est la moyenne en ce moment, l’un d’eux dit que ce n’est pas son métier, que ça pourrait lui arriver, à lui aussi. Que parfois les gens restent là, sur le trottoir, ne savent plus.
Et puis, il y a ce trentenaire bien carré sur son siège, solide garçon, présentable brun, pas un mot de trop, informaticien, vit chez ses parents. Il visite avec sérieux, ne chipote pas la collation offerte par l’agence, tranche net à propos des expulsés : « S’ils ne savent pas tenir leurs comptes, tant pis ». Il a son marchepied pour la propriété, il paraît peu enclin au coup de cœur. On le retrouve, un peu gamin devant l’agent immobilier, il s’est décidé : « Et qu’est-ce que vous me conseillez, j’ai 50 000 dollars , gros apport personnel ou pas ? » « Le plus petit apport personnel, le plus gros emprunt possible . Euh, crédit classique, hein ? »
« Crédit classique », il répète.
Il vit dans un monde aux arêtes bien aigues, il clique sur « à mon tour ». Je lui souhaite de ne pas voir sa boîte d’informatique fermer, ou de ne pas tomber malade, ou, toutes ces choses qui vous embrouillent les comptes. Ou alors je lui souhaite une petite tuile : ça humanise parfois.
Il a fallu secouer George Bush, peu enthousiaste à l’idée de colmater les effets de la crise des subprimes. On a évoqué 1929, pour faire simple. Ils sont tout de même douze millions, catégorie classe moyenne mais tout juste, à en être passé par ces emprunts à risque, parce qu’ils ne présentaient pas assez de garanties pour un crédit classique.
Fin juillet, un supplément d’aide a été accordé aux particuliers, et un soutien aux organismes de refinancement hypothécaires, en situation plus que délicate.
Les effets ne s’en font pas encore sentir. 2, 5 millions de personnes se sont déjà retrouvées à la rue. L’immobilier amorce une faible reprise, peut-on lire dans un article économique de ce mois, mais les expulsions continuent, et plombent le marché. Ce n'est pas dit - salauds de pauvres - c'est en sous-titre.