Il y a ce message collectif aux membres abonnés de mediapart : faites vous connaître des autres membres ! Dites qui vous êtes ! Allez, un effort de promo ! ( Avec en prime : ne pas répondre à ce message automatique. Ben, tiens, je réponds si je veux).Ca tombe drôlement bien. . Parce que justement je me posais la question : que doit-on savoir de l’écrivain ? Je veux dire, avant de le lire. Vous savez, la quatrième de couverture, qui tend à devenir une sorte de reportage en cinq lignes, c’est du vécu on vous dit.Je me suis posé la question à partir du livre de Boris Zaidmann, écrivain israélien, l’un des récents invités du salon du Livre. Boris Zaidmann, avec Alona Khimi, est l’un des premiers écrivains natifs de Russie en langue hébreu. Pas la vague de l’immédiat après Shoah.. Pas non plus la vague post- perestroika. La vague des refuzniks, années soixante, parents qui prennent tous les risques pour s’en aller vers un Israël que leur enfant, dûment éduqué en URSS, considère comme un pur satellite de l’impérialisme américain (avec une zone d’ombre, quelque part). Leur enfant de dix ans passés.Le roman de Boris Zaidmann, s’il n’avait qu’un seul mérite, aurait celui-là, nous faire toucher, affectivement, sensuellement, ce qu’est vraiment la nostalgie : le regret de choses nulles, de paysages sordides, des appartements étroits, le regret de rien sauf du temps passé. Mais aussi : de ce filet de chaleur, d’humour, de contestation, de peur, qui toujours fait surface. Ce truc infime né de l’oppression, qui se dilue dans la liberté. L’affection, pour ceux qui ont partagé ça. Bref Zaidmann a mauvais esprit, tant envers les russes partis en Israel qu’envers les Russes et qu’envers Israel, ce qui est réjouissant, voire réconfortant. Ce garçon n’a pas l’appartenance facile, sûr que ça pose un problème d’identité, sûr aussi que ça fait des écrivains. Ceci pour la première partie de son livre, et pour la dernière.Au milieu, ceux qui ne comprennent pas Tchekhov diront que c’est tchékhovien. Il y a un alanguissement, un passage à vide quoique fort bien écrit. Un printemps russe, doté de cette poussée végétale presque anormale, suivie d’un été caniculaire, et d’un oncle prisonnier, loin là bas. C’est là que la terrible quatrième de couverture intervient. « Boris Zaidmann a exercé différents métiers dans la publicité ». Bref il a travaillé dans la pub, le bougre. On se dit que voilà, ça doit être ça. La pub, c’est l’immédiat, c’est le résumé fulgurant, c’est tout, sauf le souffle, le nécessaire, ce qui soutient un livre sur sa longueur, lui donne son ampleur. La pub, c’est le contraire d’un livre.Et puis, me suis-je finement demandé : si je n’en avais rien su, de l’affaire de la pub ( après tout, exercé différents métiers, cela veut probablement dire qu’il a fait coursier, puis type agité, en train de vous dépoter une campagne en deux jours cocaïnés ? Ou type dans son coin, silencieux, voire sinistre, mais surdoué pour la phrase qui tue ?) Si je n’en avais rien su, j’aurais pensé que Boris Zaidmann, qui a retenu de la Russie le plus précieux, à savoir une inépuisable capacité d’ironie alliée à une capacité aussi inépuisable de douleur, jeune écrivain, s’était fait happer, un moment, par son passé. Que pendant trente ou cent pages – pas compté – le sujet l’avait dominé, emporté. Qu’il lui avait fallu faire effort pour retrouver son envol, avec une arrivée d’immigrants à Tel Aviv tout à fait réjouissante. Et bouleversante, par ce qu’elle nous raconte d’aujourd’hui.J’en ai voulu à Gallimard de m’informer sur son cv.C’était pas la peine.Je me suis souvenue d’un autre livre, lu il y a des années, celui-là, Mars, de Fritz Zorn ( encore Gallimard). On me l’a tendu en me disant : il en est mort. Il est mort avant la parution. Chaque page de ce livre, écrit par un homme parfaitement éduqué dans une austère famille suisse, en train de mourir d’un cancer, s’est gravée dans ma tête. Lui aussi l’ironie, l’ironie au bord de la mort. Il m’a fallu beaucoup de temps avant de pouvoir le relire, je m’en souvenais trop bien. J’ouvrais la première page, vlan, tout le livre revenait.Longtemps, longtemps, je me suis dit que si je n’avais pas su que l’auteur en était mort de ce livre, ou plutôt de ce qui l’avait suscité, je l’aurais ressenti différemment. En amorti, peut-être, en lecture indifférente, qui sait.Et puis enfin, je l’ai relu. J’ai su enfin qu’il n’était pas nécessaire de savoir que l’auteur était mort avant parution ; il suffisait de lire.Faites-vous connaître ! Dites qui vous êtes ! Non. Les blogs ont cet avantage, tout le monde cause. Ils ont ce désavantage :personne n’écoute.Ai-je quatorze ans , vais-je vous balancer ce que c’est, la vie de famille quand on vous dit qu’il y va y avoir sélection depuis l’age de trois ans ?Suis-je un chien , indigné parce qu’un marque de croquettes recommandée par les vétérinaires était fabriquée à partir de boues d’épandages, soit de merde, et que personne n’en a parlé ?Suis-je technicienne de surface , mais observatrice ?Suis-je africaine en situation irrégulière, mon nom ne vous dirait rien, ou la même chose que d’habitude ?Suis-je ex-journaliste, écrivain, à paraître chez actes sud en octobre 2008, vous voulez des détails ? Non, parler c’est aussi écouter. Ecrire, c’est aussi lire. Et cela suffit. Même lorsqu’on ne laisse pas de « commentaire »
Billet de blog 3 avril 2008