Dominique Conil (avatar)

Dominique Conil

Journaliste à Mediapart

136 Billets

3 Éditions

Billet de blog 6 mai 2008

Dominique Conil (avatar)

Dominique Conil

Journaliste à Mediapart

Travailler sans pisser

Le tollé ! S’en aller travailler en Inde à salaire local, une misère, loin si loin, du mirage de l’expat’ en bord de piscine.

Dominique Conil (avatar)

Dominique Conil

Journaliste à Mediapart

Le tollé ! S’en aller travailler en Inde à salaire local, une misère, loin si loin, du mirage de l’expat’ en bord de piscine.

Le tollé, mauvais rapprochement lorsqu’on veut amener le chômeur, ce travailleur de la honte, à se soumettre, à se flexibiliser, se solder si défraîchi. Dès qu'ils en auront fini avec le stress au travail, les syndicats pourront ouvrir le front du stress des sans travail. Dans les deux cas, Elisabeth est une mine d'information.

Laurent Mauduit le soulignait dans son article, le 2 mai : l’ANPE récupère et publie des annonces d’emploi en pays lointains, de préférence émergents, à prix cassé, ce n’est pas très nouveau. La "protection sociale à négocier" est un de ces petits plus qui pimentent la vie, disons.

Ici, soit en France rurale et bancale côté entreprises, soit à très exactement, Mappy aidant, 78 kilomètres du siège de la boîte informatique qui a passé la fameuse annonce de Pondichéry, bac plus 2, création de site web, oubliez le salaire minimum, il y a des associations intermédiaires qui, bien contre leur gré, virent à l’agence d’interim, dans d’intéressantes conditions.

Je vous rassure, Elisabeth n’a jamais travaillé pour 160 euros. Ca tombe bien, avec le coût de l’essence. Je peux même conforter les tenants du « s’ils voulaient vraiment, ils s’en sortiraient ». Elle a tendance à se poser des questions, et pire, à en poser. En outre, elle n’a pas bac plus deux, mais moins deux.

Elisabeth a un mari malade, deux enfants, un chien, elle mesure un mètre cinquante neuf chaussures comprises. Elle prend ce qui se présente, tout ce qui présente, avec juste une crispation de mâchoire quand c’est un peu… plus rude que d’habitude.

L’usine de poulets, c’était pour elle le bonheur. On les étripe, on les vide, on fait passer, on empaquette, on colle l’étiquette élevage en plein air. Les filles qu’envoie l’association sont informées : il faut éviscérer-emballer, beaucoup, beaucoup de poulets , sur horaires décalés, potron-minet d’une part, soirée avancée de l’autre, pour remplir la norme .

Les filles chômeuses, on leur dit que si elles veulent transformer l’essai, et le Cdd en Cdi, il faudra remplir le quota, seules les trois meilleures décrochent le poste.

Elisabeth est plutôt habile, plutôt rapide, très motivée, mais elle a bien vu : certaines la battaient, elles avaient des poulets d'avance.

Au fil des jours, elle a observé, enquêté, résolu l’énigme : les femmes zappaient les deux pauses toilettes, toutes portaient des couches culottes, en cas de malheur.

Debout devant la chaîne, pas un poulet de gâché. Rendues à la petite enfance, mais performantes.

Elisabeth n’a pas eu le job – d’ailleurs, même avec les couches, presque personne ne l’a, on préfère le renouveau et la docilité – les couches, elle a calé.

C’était en France, en 2007, avec un peu moins que le salaire minimum – faut les former. A l’instant où je tape cela, je me dis on se calme sur Zola, mais c’est seulement vrai.

En Inde, un jour, à l’arrivée des vols intérieurs, il y avait contrôle des bagages à main. Pas la peine de tergiverser sur pourquoi ou comment, sauf à y passer douze heures. Devant moi, trois de ces indiens « middle class » émergente,ouvrirent leur attachés-case identiques devant le policier. Dans les trois, le même livre. La Firme,de John Grisham ( des années après parution). Allez expliquer pourquoi ça vous fait rire à ce point, le contrôle.

Elisabeth a mis des mois à la raconter, l’affaire des couches. Elle m’a dit qu’elle ressentait une sorte de brûlure, qu’elle s’en voulait de ne pas avoir tout fait pour le travail.