Autant d’envoyés spéciaux à Umeea, ville ouvrière et universitaire du nord de la Suède, c’est rare. Il est encore plus rare qu’on sollicite l’opinion du Socialistiska Partiet, membre actif de la IVème internationale, mais dont le rayonnement politique est assez restreint. De quoi faire hurler de rire Mikaël Blomkvist, l’un des héros de Millenium, best-seller international.
Mais Mikaël Blomkvist est porté disparu depuis la mort de son créateur Stieg Larsson en 2004, foudroyé par une crise cardiaque alors qu’il venait de remettre à ses éditeurs les trois tomes de Millenium, vendus depuis à plus de 6 millions d’exemplaires… et qui n’abordent qu’aujourd’hui le marché américain.
Millenium est en passe de doubler le Da Vinci code ( et avec des livres de bien meilleure qualité). Mikaël Blomkvist et surtout, surtout, Lisbeth Salender, hacker de génie, asociale, d’abord handicapée de l’affect mais dotée d’une capacité de résilience à sidérer Cyrulnik, font des ravages où qu’ils passent . Un film a d’ores et déjà été tourné en Suède ( d’après la photo on espère que la comédienne choisie – beauté lisse aux antipodes de Lisbeth – aura su se couler dans ce personnage épineux).
Bref, tout ceci rapporte beaucoup, beaucoup d’argent. Et c’est là que les choses se gâtent, virent tristement au roman d’héritage. Eva Gabrielsson, compagne depuis trente ans de Stieg Larsson, mais non mariée, n’a juridiquement droit à rien. Et si elle n’a pas été virée de l’appartement que tous deux louaient, c’est en en appelant à la presse. Car le père et le frère de Stieg Larsson – avec lesquels il n’a presque jamais vécu, étant casé chez le grand père ( communiste et résistant), avec lesquels il n’entretenait que fort peu de rapports – sont les seuls héritiers, et ne sont pas des partageux, c’est le moins qu’on puisse dire.
Le Monde, puis, plus tard Libération, se sont fait l’écho, en France, de la lutte qui oppose en Suède compagne et père-frère. Pour tout arranger, Eva Gabrielsson détient – bien planqué – le manuscrit en cours de Millenium tome 4, à savoir, pour ce que l’on en sait, 200 pages rédigées, des notes, et une action qui se déroule dans une île du nord canadien.
Las, voici qu’au lendemain de la mort de son compagnon – il y a quatre ans – Eva Gabrielsson a fait un peu de rangement . Elle est tombée, dit-elle sur une enveloppe brune.
Car Stieg Larsson, avant de devenir célèbre avec Millenium, qui devait, disait-il, assurer ses vieux jours, était déjà un monsieur intéressant. Militant d’extrême gauche dans les années 70, puis militant, journaliste et conférencier spécialiste de l’antiracisme, de la lutte contre l’extrême droite, il avait rédigé un testament holographe à une époque où il était fauché comme les blés. C’était en 1977, il devait partir rejoindre de Front populaire de Libération en Erythrée, n’était pas sûr d’en revenir vivant. Il en revint quelques mois plus tard, et oublia le testament rédigé avant son départ, qui léguait tout au KAF, son groupuscule bien aimé d’Umeea.
C’est ce testament que vient de donner – via un documentaire télé – Eva Gabrielsson.
On s’est donc précipité au siège du KAF, mué depuis en Socialistiska Partiet. Alors, vous allez faire quoi ?
On ne peut pas dire que ça les affole, les trotskistes d’Umeea.
« Bien sûr », dit Anders, un copain de Stieg Larsson resté en relation avec lui jusqu’à sa mort, « on partageait toujours les mêmes idées fondamentales , mais il n’était plus membre depuis longtemps ». « Amusant de jouer avec l’idée un moment, intéressant et inattendu », dit un autre.Le pactole, il est vrai, serait bienvenu : lors des dernières élections régionales leSP reconnaissait mener une campagne très très discrète, faute de moyens..
Fin du conte de fées versant lutte de classes: le testament n’a pas été contresigné par un témoin, comme l’exige la loi suédoise, il serait donc invalide. Jan Orlov Carlsson, qui dirige le SP, a coupé court aux supputations :
« Nous, tout ce qu’on espère, c’est continuer notre travail à l’usine ».Ils sont zen, les trostkistes d'Umeea.