Ce matin, j’ai traversé le bois et comme il était vraiment tôt, un chevreuil s’est figé au milieu de l’allée, en route pour l’étang où toute une équipe de canards sauvages folâtrait. Gâtine, pays de rien, d’eau, de haies, de pâtures et cultures, d’ombrages, en lacis et ciels d’ouest. En partie condamné, si l’autoroute potentielle, qui vient d’être mise à l’étude par le gouvernement, se construit. Cette partie, j’y habite. Détail amusant : la circonscription électorale la plus touchée par ce projet calamiteux est celle… de Delphine Batho. Décidément, on la gâte.
Quand j’ai lu « autoroute Bressuire-La Souterraine », j’ai éclaté de rire, comme si on me proposait un parking de 500 places devant la maison.( Je vous laisse consulter ci-dessus google map, 190 km entre les deux, du nord des Deux-Sèvres à la Creuse). A un bout, un député PS, à l’autre, un député PS. Mais bien sûr, je comprenais mal. Je voyais petit. Ce serait plutôt, au terme d’une dévastation environnementale et humaine plus ambitieuse, la poursuite de la RCEA, soit la Route Centre-Europe-Atlantique, zoum de Nantes à Zurich ( ou l’Italie, ou Francfort).
J’étais perplexe : aurais-je mal compris les conclusions du Grenelle de l’environnement, qui signaient la fin des autoroutes à tout va ? Les conclusions de la commission Mobilité 21, rendues il y a quelques jours à peine, seraient-elles là pour faire joli ? Vous savez, desserte de proximité , transports en commun, rénovation d’un excellent réseau routier hélas dégradé et vieillissant ?
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Du coup, je suis allée rendre visite au blog du ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, qui vient d’ordonner cette étude de faisabilité qui pourrait aboutir à l’anéantissement d’ un environnement fragile et déjà menacé. Frédéric Cuvillier, je ne connaissais pas. Impeccable trajectoire, ralliement à Hollande dès 2008, venu de Boulogne, un gars moderne : il tweete assidûment, et a grillé les collègues en étant le premier ministre a célébrer un mariage gay. J’ai regardé les videos du monsieur (ici). Ah, il faut le voir, notre ministre, envoyer bouler le sénateur Pierre-Bernard Reymond qui réclame son tronçon autoroutier de 90 km Grenoble-Gap : avec ce que ça coûte, et il n’y a pas tant de passage, et on peut rénover la route Napoléon, non mais.
Ailleurs, dans ses déclarations d’intention , le ministre dit bien qu’il faut créer des « autoroutes du rail », privilégier ce fret là, plutôt que d’aménager la planète pour les camions. Or, les camions : un des arguments avancés pour justifier notre Bressuire-La Souterraine. Et s’ils passent par là, c’est justement parce que ce n’est pas une autoroute, mais une route, gratuite…
A part ça, quiconque roule entre Bressuire et Parthenay aspire vivement à une rénovation, un élargissement, enfin une route potable. Mais une autoroute ? Pour quoi faire ? Il y en a déjà une : Nantes –La Crèche–Poitiers, ouverte en 2001.
Du coup, merci google map, on se penche attentivement sur le tracé rouge de la future autoroute en puissance. Dessiné à main levée par un fan de la ligne droite ? Un daltonien qui ne distingue pas le vert ? On clique sur « voyons ça de plus près ». On se dit que ce gros trait rouge qui zèbre la ville de Parthenay, le village de Sanxay – un des plus beaux du coin - qui zèbre les zones humides, le bocage, rappelle fâcheusement le projet autoroutier qui devait zigouiller le marais poitevin, lequel ne dut son salut qu’à une forte mobilisation. Alors que partout ailleurs la trajectoire du grand toboggan Nantes- Zurich ( ou Francfort) va épouser le parcours de nationales existantes, là, on taille dans cet anonyme quadrillage de prés ponctués d'étangs et masses sombres, haies, bosquets: l'écosystème d'en bas, en somme?
Vous est-il arrivé, roulant sur l’autoroute, d’imaginer l’avant en longeant ces maisons-fantômes, désertées, volets de travers, ces maisons habitées repliées derrière des thuyas poussiéreux ? Ces villages comme assommés par le trafic, ignorés, dévitalisés ? Moi, souvent. J’en suis à imaginer l’après, ici.
La ferme de Sainte-Marie, ses moutons, le pré en pente auraient vue imprenable sur l’autoroute. Comme ils ont déjà écopé d’une ligne à haute tension, ce serait riant. Les malheureux qui ont acheté une petite baraque le long d’un étang assoupi et planté plein d’arbres enfin épanouis : ouh là. La maison de P. et R., qui ont quitté il y a six ans l’Angleterre et ses constructions anarchiques pour rebâtir un jardin de rêve, une maison aimable, « dans un coin oublié » : vue sur autoroute. Le festival ornithologique de Ménigoute – le principal d’Europe- qui embarque chaque année des centaines d’amateurs à jumelles pour observer les volatiles en zone humide, aurait un peu de mal. Sur les deux uniques bois survivants du coin : l’un est longé, l’autre traversé.Adieu chevreuils qui traînent devant la maison, sangliers planqués, lièvres visiteurs, cèpes et muguet. Jean-Christophe Bailly, dans Le dépaysement, écrivait ces très petites choses qui font la différence entre un lieu et le grand nulle part que nous traversons: ça.C'est peu, comme la vie est peu. Ca, c’est dans un rayon de 8 kilomètres... Ailleurs, au dessus et en dessous du tronçon rouge que je scrute, sans doute pareil, peut-être pire.
Le premier, Jean-Charles Pied, maire du village d’à côté, Vasles, s’est insurgé. Il parle de développement durable, et de ce qui se met – lentement – en place, la protection des haies ( l’arrachage de palisses pour faire passer l’engin est un sport local, convaincre les agriculteurs exige une patience d’ange), de protection de zones agricoles ( on peut lire ici), de limitation de l’urbanisation .
Presque en même temps, EELV, qui s’est déjà battu, avec succès, contre un projet de décharge dans cette même Gâtine ( la campagne profonde comme un non-lieu …) vient de publier un communiqué ( à lire in extenso ici). Ils proposent la seule alternative raisonnable : un aménagement de la route déjà existante, comme cela a déjà été fait ailleurs, avec succès. Des trois voies avec zones de dépassement qui ont fait leur preuves, gratuites et suffisantes.
Patrick Cuvillier vient de lancer une étude de faisabilité, avec concession au privé en vue. Les gens tombent des nues : là, une autoroute ? Mais pourquoi ? Sûr qu’ils ne seront pas desservis, ici le problème c’est plutôt les départementales fatiguées, les nationales à revoir. Une bretelle à 20 km ne changera rien, au contraire.
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Le député PS zone Bressuire, Jean Grellier, dit qu’il n’est pas fan des autoroutes, mais là, quand même, pas mal. Ils en sont tous là : les autoroutes, ce n’est pas bien, sauf la mienne. Hardi petit, on pourra toujours célébrer les emplois temporaires du BTP, sans compter les emplois détruits, au long cours, ni le reste. La circonscription de Delphine Batho, re-députée depuis très peu, serait la plus touchée. Il sera intéressant d’observer. Pas envie d'en faire un feuilleton: mais s'il le faut, puisque jamais je n'ai assisté d'aussi près...
Avec monsieur D., il y a quinze jours, on rigolait devant le superbe dépliant quadri de la Région, qui enjoignait aux particuliers de faire jardin sans pesticides : en fait les jardins alentour, ça va, bio ou très très raisonnés, mais il est plus compliqué de « gérer » les traitements massifs des terres agricoles , qui vous expédient en un jour trois millions de pucerons , façon boat-pucerons. Bon courage avec l’eau savonneuse…Nous avions, les pucerons et nous, la pertinence des Socialistes Révolutionnaires en exil: juste à côté de l'histoire.
Monsieur D ( pas vaiment SR ), d’abord effrayé par la perspective d’une autoroute – « mais on était bien tranquille ici ! Et le bois, le bois ! » - a ensuite réfléchi. « Faut être moderne, la France n’est plus à la hauteur ». Monsieur D. a 87 ans, et la modernité, pour lui, relève de l’an 1960. Souvent il déplore la disparition des écrevisses, dont ici, personne ne se souvient…
Quinze jours plus tard, ni Ségolène Royal, ( top environnement, région exemplaire) ni la pourfendeuse éclair du gaz de schiste et des lobbies et des rodomontades de Montebourg, Delphine Batho, n'ont soufflé mot. Ca alors. Comme le terrain est difficile. Suite au 2 août...