Il ne se passe rien, que vous croyez. Si peu : cet homme s’escrime à allumer un feu de bois dans sa cheminée parisienne. Ça se passe en décembre. Il pleut. Il pleut vraiment. On lit vraiment . La montée des cendres, second roman de Pierre Patrolin, c’est l’emprise d’une flambée : pur plaisir, fascination, pensées mouvantes.

Je ne sais presque rien de Pierre Patrolin, et c’est tant mieux. Les quelques indications disponibles- il est allé vivre dans le Quercy par amour, il filme le rugby pour Canal plus, il écrit depuis trente ans mais ne publie que depuis peu ( pas de son fait, dit-il en passant) - voilà qui laisse le champ libre à la lecture...
L’an dernier, paraissait un roman, fleuve si vous voulez, 700 pages, La traversée de la France à la nage, dont le titre résume le propos, mais pas la magie. Méandres, courants, berges, transparences ou limons, arbres toujours, le livre n’exigeait qu’une seule chose de son lecteur, un abandon. Une flottaison. Presque un état d’enfance. Il dessinait la cartographie d’une France noyée. A l’encontre de tout marketing littéraire, du rural, de la lenteur, pas de psychologie, gros livre, pas d’autre histoire que celle qu’annonçait la couverture ( mais quelle écriture) : ce fut un succès.
Cette fois, avec La montée des cendres, nous sommes à Paris, et même au cœur de la ville : quartier Saint-Eustache. Le narrateur – un homme seul, disons naturellement seul comme peuvent l’être les urbains - emménage dans un nouvel appartement sur cour. Se trouve là une cheminée en état de marche. Il se met en tête d’y allumer, avec constance, une très modeste flambée. Cette modestie, cette façon de n’envisager qu’un feu de pauvre, un feu nul, un feu économe, est au cœur du récit, que Kafka comprendrait.
L’homme glane dans les rues de lamentables brindilles, souvent humides, il est dans la ville : pas de bois, ou si peu. C’est ici, pour le lecteur, que le livre se mue en thriller contemplatif. D’une part, le narrateur, même s’il pose, une seconde durant, un regard d’incendiaire sur des poutres apparentes, ne met presque jamais la main sur un cageot, un tassot, passe un temps fou à lacérer puis brûler des lambeaux de cartons ( ceux de son déménagement) et un autre temps, soulagé, peut-être heureux, à regarder les flammes, leur nuance exacte et fugitive, puis l’expiration du feu.
Passeront au feu des boîtes de fromage, du mélaminé, du pain rassis, et miraculeusement un basting, un tronc, cuiront un peu n'importe quels aliments.
Est-ce tout ? Non, comme surgissant de son précédent roman, le débordant, l’eau , elle, tombe à profusion. Pluie constante sous ciel bas, pluie forte, mesures et alertes, voies sur berges inondées, ponts menacés. L’appartement, où s’entassent bois mis à sécher, réserve minimum, devient ilôt. Il faut préciser qu’en ces jours incertains – foutu feu, foutu temps – les Parisiens galopent avec leurs paquets cadeaux; des silhouettes incertaines, réduites à peu : les éléments, en ville, sont des contrariétés.

Notre héros, car il est un héros du feu retenu, progresse. Il loupera le dernier sac de bûches du BHV, dormira sur le divan devant son âtre, sentira ce parfum particulier du foyer éteint au matin, jaugera les braises ( il est calé sur les essences diverses), emmènera une valise peu appropriée à Vincennes, côté bois, ou côté bus, pour collecter de quoi l’alimenter, son feu ( car La montée des cendres est aussi un livre très drôle, à la Buster Keaton). Un chat passe et repasse. Une voisine apparaît sur le balcon d’en face, peau blonde, pâle, une peu rose sous l’averse une flamme rapide : elle fume dehors.
Pendant ce temps, donc, il pleut toujours, énormément. Paris est sous eau, on parle de démanger les caves d'Orsay et du Louvre, mais les habitants ont leurs derniers achats à faire, un premier épicéa arrive, aiguilles répandues, sur le trottoir. Quelque chose menace. Et lorsque la neige prendra le relais de la pluie, il n’y aura pas de carte de Noël.
A quoi tient un livre ? On se prend à freiner sa lecture, comme cet obstiné narrateur freine sa consommation de branchettes : car de ce minuscule point précis, épicentre du récit - « une flamme hésitante. Précaire. Une petite flamme timide. Incertaine et fragile. Distante » - c'est d'un regard sur le monde qu'il s'agit.

La Montée des cendres, Pierre Patrolin, 186 pages, éditions POL, 16€.
Lecture des premières pages ici..