Il était bien tentant de filer, une fois de plus, la métaphore Potemkine, président Medvedev Potemkine, au termes d’élections Potemkine, depuis Catherine II , on ne s’en lasse pas. Et soudain, je les vis, là, sur l’immense tapis rouge. Poutine premier, Medvedev second dans la salle Saint-André, dorures, aigles, croix orthodoxe, faste néo-tsariste, l’œil un peu inquiet du nouveau président de Russie : c’est dans un conte d’Andersen que nous étions.
Le roi est nu, vous savez.
Pas un patriarche, pas un de ces importants personnages en costume au visage fermé – depuis Kroutchev, le stock paraît inépuisable – pour s’exclamer. Mais il est nu ! Mais il n’a rien, ni les rênes de l’économie, ni le pouvoir politique ! Les courtisans du conte se tenaient coi, eux aussi. Mais pourquoi un petit Bernard Kouchner, par exemple, ne s’exclame-t-il pas : mais il est là en potiche ! Tout nu !
Non, le petit Bernard Kouchner s’enthousiasme, lui aussi : « une magnifique élection ! » Ne lui a-t’on pas rapporté la blague qui courait Moscou : « Pour qui tu votes, à l’élection de Medvedev ? ». Le peuple russe est bien endommagé, politiquement, mais jamais en retard d’une anekdot. Il a de l’entraînement, une campagne électorale avec dauphin omniprésent sur les chaînes de télévision, une opposition interdite de candidature, et trois pingouins comme concurrents, dont deux semblent émarger au budget du Kremlin, le peuple russe connaît.
Il y a bien le petit Gorbatchev, qui clame, dans son coin : « C’est la pire copie du régime communiste ! » Mais comme il n’a jamais réussi à se défaire de la novlangue apprise sous ledit régime, on ne l’entend pas.
Même les gamins querelleurs, au dehors du palais, qui, au nom de l’Autre Russie, s’apprêtaient à le crier, que le roi était nu, ont dû renoncer. Prendre des coups sous les caméras étrangères et subir les commentaires sur la « poignée » d’opposants peut déprimer, à la longue. Néanmoins, à titre préventif, en somme, une quarantaine d’entre eux ont été arrêtés.
Il faut laisser du temps à Medvedev, dit-on. Il est issu de l’intelligentsia, il n’est pas du FSB, il pourrait s’entourer – il l’est pas mal, déjà, mais bon – il n’est pas Poutine. C’est bien pour cela qu’il a été choisi. Mais il ne faut pas bouder ses petits plaisirs, gageons que Medvedev nous épargnera les exquises plaisanteries sur la circoncision de son parrain politique, les coups d’œil en coin de copain de chambrée. Mais pour le reste ?
Il pourrait, dit-on, surtout à la tête des démocraties en affaires avec la Russie, mais aussi parmi les observateurs politiques russes optimistes, espèce rare et opiniâtre, changer la donne, s’opposer d’ici quelques mois.
Les observateurs ont été entendus par Vladimir Poutine. Depuis l’élection de son dauphin, il n’a pas chômé. Bien sûr, il a passé quelques jours de détente chez Silvio Berlusconi, s’est réjoui , que « Dieu merci, plus personne ne me pose de questions sur la Tchétchénie », même si ses vacances ont été un peu gâchées par les « révélations », vraies ou fausses , de son divorce, suivi d’un mariage en vue avec une ex-gymnaste de 24 ans, Alina Kabaeva, par le journal Moskovski Korrespondent. Le journal , un tabloïd, a été suspendu, son directeur a démissionné, et une semaine plus tard, la Douma a voté comme un seul homme une loi restreignant encore un peu les droits de la presse, et légalisant cette mortelle sanction économique, la suspension.
Vladimir Poutine, cornaqué parl’oligarque Boris Berezovski qui pensait l’avoir à la main, ce type un peu gris du FSB, sait que les potiches pensent. Aussi, en quelques semaines pré-Medevedev, a-t’il organisé la présidence, au cas où. Loi pour restreindre les possibilités de référendum, en cas de bouffée délirante démocratique. Le 29 avril,le président Poutine a signé des décrets subordonnant l’activité des gouverneurs de régions , et la remise deleurs rapports d’activité au premier ministre, désormais Poutine. Avec une inflation à 11,6% en 2007, qu’on tente de maintenir à 10% en 2008, les Russes des régions – rien à voir avec Moscou – voient menacées les retombées de la manne énergétique ( pour le reste, l’industrie est en jachère).
Mais Medevedev entend accroître les libertés civiles. En a-t-il les moyens ? La volonté, avec son œil inquiet ?
Sur le net russe circule un clip – que je n’ai pas réussi à récupérer, suis nulle – sur le thème Medevedev est sexy, et la chanteuse ne ménage pas sa peine pour nous en convaincre. C’est le clip de Barak Obama, traduit et russifié. Même pas un clip pour lui tout seul .
Sur le net français, trois heures après l’annonce de son intronisation : aucune réaction à cet article. C’est un peu le problème.