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Billet de blog 9 octobre 2009

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La France qui fait peur

Ah là là, je l’ai regardé souffrir sur TF1, Frédéric Mitterrand, se livrer à ce périlleux exercice, ne pas tout à fait se renier, en se sortant d’un guêpier politique, en affichant une prudence nouvelle sur Polanski, jouant à la fois d’une sensibilité réelle et d’une rouerie étudiée. Tiens, en 2005, justement…

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Ah là là, je l’ai regardé souffrir sur TF1, Frédéric Mitterrand, se livrer à ce périlleux exercice, ne pas tout à fait se renier, en se sortant d’un guêpier politique, en affichant une prudence nouvelle sur Polanski, jouant à la fois d’une sensibilité réelle et d’une rouerie étudiée. Tiens, en 2005, justement…

…. Au Salon du livre, je me promenais, une fichue pétition à faire signer sous le bras. J’avisai donc Frédéric Mitterrand, tout seul dans son cashmere, derrière une pile de « Mauvaise vie », et de méchante humeur. Plus assez homme de télévision pour drainer les foules, oublié déjà ?, me demandai-je. De notre bref échange je retirai l’impression que cet homme que j’avais croisé plus gai – sans y – certes doué de cet enthousiasme volatile propre aux habitués du petit écran, mais généreux aussi, m’avait tout l’air de sombrer dans l’amertume.Impression à la fois confirmée et corrigée par la lecture de la Mauvaise vie. Il y a quelque jouissance à coucher sur papier son mal de vivre, ses manquements, ses difficultés, ses errances. On s’en fiche, à condition de ne pas trop s’apercevoir de ladite jouissance .. Du livre, il se dégage une impression générale d’infinie tristesse. Et ici, je ne parle pas seulement de l’ « enfer » ( comme on disait autrefois des œuvres censurées) chapitre consacré au tourisme sexuel en Thaïlande. Il y a plus d’amour, mais pas plus de bonheur affiché dans celui qui relate l’enfant adopté au Maroc, ou plutôt offert par une famille qui voit en Frédéric Mitterrand la possibilité, pour lui, d’étudier, de sortir de la misère. Tiens, on ne l’a pas exploité ce chapitre là, un oubli sûrement. Ou bien parce que le narrateur – à ne pas confondre avec moi, comme dit le ministre – s’est contenté de l’élever, éduquer, ce gamin, avec les vicissitudes liées à la situation. C’est pas moral, pourtant, ça, ces familles qui se défont de leurs enfants pour leur donner une chance. Note à l’intention de Philippe Bilger, ou plutôt de son blog : oui, la critique avait fait bon accueil à ce livre. Voyez-vous, la critique n’est pas juge des bonnes mœurs mais de la bonne littérature ( enfin, en principe). Et de ce point de vue, la Mauvaise vie est honorable.Triste, Frédéric Mitterrand. En 2005, si ma mémoire est bonne, il avait déjà donné des gages à la droite, dans l’indifférence complète. C’est pourquoi je n’ai guère été surprise de le voir nommé au ministère de la Culture et de la Communication.Encore un, du type Kouchner et consorts, me suis-je dit – d’atteint par le syndrome de la pré-retraite : le train de la victoire passe et je ne suis pas à bord ; plus le temps d’attendre la prochaine rame…Donnée à laquelle il faut ajouter un certain manque de modestie, une capacité d’illusion , qui valent aussi pour Kouchner ou Hirsch : là où je serai je ferai beaucoup, ou bien je limiterai les dégâts.Bref, voici Frédéric Mitterrand en Saint-Sébastien de la politique, tout criblé de flèches. Soutenant une présidence et un gouvernement qui font leur miel du moindre fait-divers médiatisé, reçoivent à tour de bras victimes et associations de., ajustent au coup par coup des lois qui visent exprèssement à remplacer la peine de mort par une peine de mort lente, Frédéric Mitterrand se retrouve sommé de s’expliquer sur ses mœurs et sa vie privée, des fois qu’il y aurait fait-divers. Là, peut-être, il y a quelque chose de moral.Mais là seulement. Soit, peut-être est-il allé chercher en Asie des prostitués boxeurs de 40 ans . Ce n’est pas la description qu’il donne de ses rencontres (le narrateur n’est pas l’auteur, oups) et au demeurant, à la question de Laurence Ferrari sur la Une, bon, m’enfin, c’était des mineurs ou pas ? Il se montre évasif et pour cause. Il n’est pas d’usage, en ces lieux, de demander les papiers des jeunes gens. Et si vous posez la question, ils sont toujours majeurs. Sauf demande explicite et dûment tarifée.Au demeurant, ce n’est qu’un aparté, la loi sur le tourisme sexuel arrive un peu tard, n’en déplaise aux indignés : d’après un article récent de Courrier International où s’expriment les bénéficiaires locaux du marché, le tourisme sexuel, vilipendé un peu partout, ce n’est plus ça, la filière charter se tarit. Tout fout le camp. Maintenant, ce sont les Russes qui font prospérer les lieux. En famille, ou en compagnie, ils prennent le soleil et claquent. C’est presque moral, sauf bien sûr si l’on se demande d’où vient l’argent.Autre aparté, on peut sanctionner , mais tant qu’il y aura des pays pauvres et de riches amateurs de chair fraîche… L’option, c’est ouvertement ou clandestinement, le reste n’est qu’hypocrisie. C’est libéral, pas moral.Dernier aparté, promis : ce ne serait pas bien, d’avoir un ministre de la République soupçonné de ? Cher Antoine Perraud, Frédéric Mitterrand prend pour les autres, peut-être. Faut-il dresser la liste des partouzeurs ou pédophiles nominés dans les ministères ? Y compris parmi les ex-titulaires de la Chancellerie ? Les autres ont eu la sagesse de ne pas s’épancher sur leurs histoires ou leurs habitudes sexuelles.Et pourquoi, plusieurs mois après son arrivée à la Culture, le malheureux Fredo se retrouve-t’il sur la sellette ? Parce qu’il a pris la défense, en Fredo plus qu’en ministre, de Roman Polanski. Comme toute une salve de signataires idiots, prête à soutenir l’artiste fut-il violeur, il s’est mouillé. C’est pas moral. Créer n’annule en rien le viol.Mais ce fut toujours le désagrément principal de la vox populi, aujourd’hui ardemment représentée par la rumeur des blogs : on s’indigne avant de s’informer. Regardez le document de Marina Zenovich, Wanted and desired. Allez lire du côté de la presse américaine : pas aussi unanime qu’on le rapporte. Lisez – en anglais – les extraits de procédure.

Reprenez la. La mère de Samantha Geimer, victime, porte plainte au lendemain d’une séance de photos dénudées suivies de viol avec absorption d’alcool et Qaalud. Très vite, un accord est passé : le réalisateur reconnaît le détournement de mineure, les parties s’entendent. La jeune fille alors n’est que consultée ( et traquée des mois durant par la presse). La mère, par contre, en cas de procès, pourrait se retrouver obligée d’expliquer pourquoi elle a poussé sa fille de 13 ans à faire cette séance photos, au domicile d’un acteur ( Nicholson) réputé pour ses fêtes où l’on ne danse pas le menuet, avec un réalisateur , seule, absolument seule.

C’est pas moral, les transactions sur la culpabilité, qui économisent les deniers publics ( pas besoin d’enquêter, expertiser), et promettent au coupable – généralement fait aux pattes - un rabais sur la peine. C’est pas moral, et les Français seraient bien avisés d’y réfléchir, car c’est exactement ce qui leur pend au nez, via les projets Sarkozy.Sauf qu’en l’espèce, un procureur « spécialisé dans le show bizz », a brisé l’accord en passe d’aboutir, il était plus intéressant pour lui, médiatiquement, de poursuivre et incarcérer. D’où la fuite en France de Polanski. Beau sujet pour un proc que ce Polanski, victime indigne, Charles Manson éventre sa femme enceinte de huit mois et, loin de faire veuf digne et inconsolable, il paraît atteint de collectionnite féminine, vire raider du sexe. Comme le disait , quelques années plus tard Gene Moskowitz, correspondant parisien de Variety « Roman, Roman, c’est terrible finalement ». Peut-être bien, finalement. Et comme tout accusé, en France, a droit à ce que l’on appelle l’enquête de personnalité avant arrêt de cour d’assises, lisez peut-être Roman par Polanski. J’avais cru ouvrir un de ces bouquins rédigés pour relancer une carrière, c’était un livre. Voilà deux livres dans l’histoire : l’un dont on ne lit qu’un extrait choisi, l’autre qu’on ignore.Peu importe que les Etats-Unis se soient bien gardés de réactiver la procédure, peu importe que Samantha Geimen, victime, aujourd’hui âgée de 45 ans, dise en 2003 ( Oscar pour le Pianiste) que « parfois, j’ai l’impression nous avons été tous deux condamnés à perpétuité », peu importe, même, le fait qu’elle ait sans doute perçu une forte somme. Les victimes, curieusement, deviennent inaudibles lorsqu’elles ne demandent plus vengeance. Il a suffi que Polanski, 75 ans, en proie à la nostalgie des States, fasse une demande auprès de la justice américaine pour réactiver un dossier qui aux Usa était frappé de léthargie, et en France serait frappé de prescription.Honte ! Les puissants et les « show bizz » échappent à la loi, alors que le tout venant se voit lourdement condamné pour des faits relevant de la pédophilie ( il faudra bien, un jour, distinguer le goût pour l’enfant en tant que tel, du goût pour les jeunes gens, tous sexes confondus et âges incertains). On s’indigne. Voui, mais la plupart des viols sur mineurs, bonnes gens, restent impunis, commis par le tout venant, le voisin, vous. Ils ne sont pas le fait de récidivistes surgis dans un square, ni de cinéastes allumés, mais pour 80% d’entre eux , de la famille. Pères, oncles et frères assurent. Grâce à la loi Ségolène Royal/ Frédérique Bredin qui a étendu les délais, ils encombrent les cours d’assises, mais ne sont que la part émergée de l’iceberg, inchiffrable. Un jour, une assistante sociale , en voiture, m’a montré une ferme derrière les haies du bocage noyé de brume « là, y’a inceste », elle n’avait pas dénoncé car famille nombreuse, pauvre, père unique soutien, catastrophe économique en vue, mise au ban de la victime, « plus de mal que de bien ». Ah, ce n’était pas moral, j’ai vomi en arrivant, mais pas pu obtenir les noms. Le viol ordinaire est silencieux.Et voici que par un de ces glissements hâtifs, une de ces bousculades médiatiques qui interdit la pensée, nous passons du viol sur mineure vieux de trente ans ( Ca compte ? Oui, ça compte, nous ne sommes pas les mêmes, trente ans plus tard), absous par la victime qui redoute par-dessus tout d’avoir à ester en justice, pour en arriver au livre écrit il y a quatre ans par un ministre, que nous passons du viol au soupçon de pédophilie ( un garçonnet ? Non, un jeune homme. La loi fixe à quinze ans la majorité sexuelle) à l’homosexualité assumée. De la justice, à l’écrit, au soupçon. De l’inacceptable à ce qui semble redevenir l’inaccepté.Amalgame, dit Frédéric le mal embarqué. L’a pas tort sur ce point, aurait dû y réfléchir avant, l’amalgame est une spécialité sarkozienne.

On y retrouve du monde, de l’extrême-droite, au PS toujours plus bien-pensant ( le type qui pourfend le cumul des mandats sauf pour lui ?), toute une France raidie autour de l’enfant sacré ( et muet) une France « faisandée », lis-je. Copé trouve que Mitterrand Frédéric s’en est bien sorti ( même si ça va laisser des traces, comme il insinue, hyper-solidaire). Alliot-Marie trouve aussi que ça allait, la télé, et curieusement annonce le même jour qu’elle va y penser plus avant, pour la prolongation de garde à vue des délinquants sexuels. Ca tombe mal ( à vrai dire, on a prolongé quasiment toutes les gardes à vue, terrorisme, drogue, banditisme, etc.. Autant prolonger tout le monde, comme dans les pays moyennement démocratiques, on y verra plus clair).

"De temps en temps j'écrivais pour le dehors, quand le dehors me submergeait, quand il y avait des choses qui me rendaient folle, outside, dans la rue" disait Marguerite Duras. Ainsi écrivit-elle Nadine d'Orange, France Observateur de 1961, qui aujourdh'ui ne serait sans doute pas publié.

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La météo ici s’est complètement amalgamée .Au lieu du soleil annoncé, il y a un ciel bouché, une haie de pluie qui barre l’horizon, un froid qui tombe, une humidité baladeuse. Tout ceci pour moi forme un paysage obscur et néanmoins reconnaissable. Le temps froid des certitudes hâtives, des interrogations coupables.

ps, les livres, au fait:La mauvaise vie de Frédéric Mitterrand ( Robert Laffont, en train de repasser en tête des ventes amazon... empruntez-le. Le tome 2, Festival de Cannes, suit. Certains seront bien déçus.

Roman par Polanski, encore Laffont.

Outside, Marguerite Duras, articles réunis par Yann Andrea et Marguerite Duras, Albin Michel