Violée par un supérieur hiérarchique, qui écope de quinze années de réclusion ? Désolé, ce sont les risques du métier, répond en substance le FGTI (soit le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et autres infractions).
C’est à peine une exagération, hélas. Deux jeunes femmes se voient refuser toute prise en charge de l’indemnisation qui leur a été accordée par la justice au motif, et là, je cite, qu’il s’agit « d’un accident du travail ».
Laure et Isabelle[1] travaillaient toutes deux à la Maison d’Ariane, sise à La Roche sur-Yon, un, lieu qui avait pour vocation d’accueillir et héberger des femmes enceintes ou mères depuis peu, et démunies. La maison d’Ariane était gérée par une association hostile à l’avortement, l’AVAPF ( Accueil de la vie et promotion de la famille), et financée par le Conseil général de Vendée.
Las, en février 2005, deux plaintes sont déposées contre le directeur de l’établissement, Jean-Pierre Baudry. D’autres vont suivre : au total 9 plaignantes, pour viol, harcèlement sexuel, attouchements. Salariées pour les unes, résidentes du foyer pour les autres. Age des victimes : de 5 à 51 ans. Au procès, en 2007, Jean-Pierre Baudry nie, concédant tout juste un « donjuanisme maladroit » qui lui vaut 13 ans de réclusion. Il fait appel, cette fois, la cour d’assises de Poitiers le condamne à quinze ans de réclusion.
Les procès ont mis en lumière son parcours, amorce d’ambition politique dans l’Oise, sous la bannière RPR-UDF, interrompue par une condamnation pour faux et usage de faux et un séjour en prison. Suivie d’un licenciement, aux Sables d’Olonne, pour harcèlement sexuel dans un foyer.
Comment ce profil idéal a-t’il été engagé ? Il pratiquait l’art du CV elliptique, que nul n’a vérifié.
Le directeur précédent de la Maison d’Ariane avait été licencié en période d’essai, lui, pour avoir décroché les crucifix des murs – « c’est un établissement public »- et informé une jeune femme de 17 ans, déjà mère et à nouveau enceinte, sur la loi Veil.
Juste après le verdict, alors que se vide la salle, se tient, sans bruit, l’audience où sont fixés les dommages et intérêts des victimes. 30 000 euros, dans le cas qui nous occupe. « Le droit des victimes est le premier des droits de l’homme », déclare Rachida Dati, à l’époque.
30 000 euros, pas le pactole, mais une somme importante. Laure, comme Isabelle ( et d’autres employées) se sont vues assurer qu’on ne les laisserait pas tomber lorsque la Maison d’Ariane a été fermée en juillet 2005, et l’association gérante, dissoute. Néanmoins, rien n’est venu depuis. Et la maison d’Ariane, comme référence, c’est très moyen.
Mais qu’exiger d’un détenu, divorcé du coup ?
C’est là le problème récurrent des victimes de crimes ; l’auteur, justement, est en prison, souvent insolvable.
C’est pour remédier à cela que le Fonds de garantie des victimes de terrorisme a été étendu, en 1990, à toutes les victimes de crimes. Le FGTI avance l’argent, à charge ensuite pour le Trésor Public de récupérer les sommes. Il est, bien entendu, un organisme public, part intégrante d’un dispositif plus vaste .
Laure et Isabelle se sont donc présentées, en décembre 2008, devant le CIVI, ou Commission d’indemnisation des victimes, où siègent deux magistrats et une association, afin de connaître la réponse du FGTI. A l’instant où débutait l’audience, le représentant du Fonds s’est éclipsé, laissant les documents parler. On le comprend.
Il n’aura pas vu, ainsi, les jeunes femmes fondre en larmes. Lorsqu’il leur a été indiqué que le dommage « a pour origine un accident du travail imputable à l’employeur », jurisprudence sur des machines défectueuses à l’appui. Qu’elles devraient se tourner vers la CPAM. Que vient faire la Sécu dans l’affaire ? Mais elle a compétence, pour les « accidents du travail ».
Lesquels, pour être pris en compte, doivent être déclarés dans les 48 heures par l’employeur. Croyez-le ou non, Jean-Pierre Baudry n’a pas déclaré son ( ses) viols à la Sécu. Est-ce cynisme ou bêtise ?
Juriste très, très fatigué ? Erreur de casting au FGTI ? Il ne semble pas.
En décembre 2008, les magistrats rendent un jugement sommant le fonds de garantie de revoir ses conclusions, en termes vifs, jugeant l’argumentaire « insoutenable tant juridiquement que moralement ».
Me Geoffroy de Baynast, Me Caroline Atias, qui se battent pour Laure et Isabelle, pensent en avoir fini.
Mais non, le FGTI fait appel. Direction Poitiers. Il vient de rendre ses conclusions : les mêmes, exactement. L’affaire sera prochainement jugée.
Par curiosité, j’ai tapé victimes et Rachida Dati, j’ai tapé Sarkozy et victimes. Les occurrences Google sont fort nombreuses. « Je veux mettre les victimes au cœur de tout », dit le président.
Vœux de janvier 2009, à la Chancellerie : « Les Français attendaient que la justice soit plus attentive aux victimes. (…) L'indemnisation des préjudices sera plus complète, plus simple, plus rapide. L'Etat n'abandonnera plus les victimes une fois la décision rendue. »
A tout ceci, il faut ajouter que Laure et Isabelle ont été entendues plusieurs fois par le juge d’instruction, avec avocat. Elles sont venues au premier procès, avec avocat. Au second, plus éloigné, avec avocat. Pour exister, comme victimes, il leur en a déjà coûté plusieurs milliers d’euros ( l’aide juridictionnelle à laquelle faisait référence hier Eric de Montgolfier - http://www.mediapart.fr/journal/france/110609/eric-de-montgolfier-rachida-dati-c-est-la-justice-au-service-de-la-politique - est très restrictive, et ne couvre nullement les frais d’un procès en assises).
Tant de déclarations, tant d’égards affichés avec force inaugurations filmées, réceptions à la Chancellerie, tant de proclamations, et cette réalité-là. Qui renvoie deux jeunes femmes au statut victime d’antan, très seule, priée de disparaître après le procès…
Dernière minute, comme on disait autrefois:
Le FGTI renonce à son appel. Revenu à de plus saines conceptions sur le viol, l'employeur, et l'accident du travail...
Deux articles parus sur l'affaire :
http://www.liberation.fr/societe/010195153-souillures-et-crucifix-a-la-maison-d-ariane
[1] Prénoms changés : car il s’agit de retrouver du travail, aussi… Laure et Isabelle ne sont pas les seules anciennes salariées de la Maison d’Ariane à essayer d’obtenir réparation ; les autres procédures n’en sont pas au même stade.