Rachida Dati a un problème avec les prisons : ne pas mollir sur la répression, donc remplir, mais vider, aussi, car avec plus de 64000 détenus, on atteint la cote d’alerte. En visite il y a trois jours au centre de détention de Muret, Haute Garonne, elle a donné à la Dépêche du Midi (www.ladepeche.fr) la primeur de quelques orientations susceptibles, selon elle, de résoudre le problème, via la Grande-Loi-Pénitentiaire-la-première- depuis- 60 ans qu’elle entend présenter d’ici le mois de juin.
Pour l’heure, seul l’Observatoire international des prisons a fait part de sa consternation. On attend, avec un peu d’impatience, la réaction de quelques uns des 27 membres de la Commission d’orientation restreinte, dite COR, à ce qu’il advient de leurs propositions en vue de cette loi. Enfin, impatience… Les prisonniers, ça enquiquine tout le monde. Assassinés de 50 000, 60 000 , 80 000 ( pragmatiques prévisions de l’Administration pénitentiaire à échéance de 2012), on perd pied. Pire, il y a comme un désir latent de relégation dans notre société. Voire un désir punitif. Les prisons, ça intéresse l’opinion quand on s’en évade, quand on en sort pour récidiver, quand on s’y révolte, et deci delà, quand il y a suicide trop choquant. Allez, accrochez-vous un peu. Vous pensez que quand même, eh, la prison, pas le choix. Vous fatiguez d'avance ? Moi aussi. En juillet dernier, la garde des Sceaux avait annoncé pour bientôt la Grande Loi Pénitentiaire et la fameuse COR, réunie avec célérité, devait réfléchir,proposer.La composition de la COR était plutôt une bonne surprise ( les trublions avérés une fois écartés). On y retrouvait des personnes très diverses, quelques noms connus du style Ivan Levaï ou Alexandre Jardin (non, non, je ne sais pas pourquoi), mais surtout des magistrats, des syndicalistes peu suspects de céder aux sirènes de l’ouverture, ou encore Alain Boulay, président de la seule association de victimes à faire montre, depuis des années, de pondération et d’un vrai souci de réflexion. En avant la COR !On fait quoi ?Juillet-novembre : en préalable à la remise de ses travaux, la commission note que trois mois, c’est franchement court pour repenser la pénitentiaire. Ailleurs, c’est plutôt trois ans. Mais on le sait, Rachida Dati est d’un tempérament impatient, et ce n’estpas Nicolas Sarkozy qui va la pondérer. La commission regrette d’avoir du limiter ses auditions – peu nombreuses, il est vrai – elle regrette aussi de n’avoir pu se rendre sur le terrain, entendez les prisons elles-mêmes. N’empêche qu’elle remet 120 préconisations (www.loi-penitentiaire.justice.gouv.fr) ), inspirées par l’expérience, la réflexion, les recommandations de la communauté européenne et de chaudes discussions. Laissons les 120 de côté pour ne nous concentrer que sur un aspect : il y a un monde fou dans les prisons, que faire ?Sûrement pas s’inspirer des Etats-Unis comme aime à le dire Nicolas Sarkozy. Ceux-ci affichent le taux d’incarcération le plus élevé du monde, toutes dictatures confondues, avec un détenu pour 100 citoyens ( et 1 sur 15 en ce qui concerne les noirs). Les Etats-Unis affichent aussi un taux particulièrement élevé de récidive.Non, les membres de la COR ont rendu des conclusions claires, simples, pragmatiques. Et qui n’ont pas dû plaire. En décodé : utilisez les possibilités de la loi, renoncez au tout répressif.
Tout d’abord, les prévenus. Les présumés innocents. C’est le seul point sur lequel il y ait, aujourd’hui, une légère amélioration. Ils ne représentent plus que 27% des détenus. Pas mal, quand même, pour des gens qui ne sont pas jugés ? N’empêche, c’est mieux qu’avant.La COR propose donc d’étendre le contrôle judiciaire. C’est simple, ça ne coûte pas grand-chose. Aux juges de décider s’il s’agit d’un contrôle simple, ou plus contraignant. Si un encadrement socio-éducatif s’impose. « La détention est l’ultime recours », ont-ils posé en préalable de leurs travaux.
Ensuite, les condamnés. Sur ce point, la commission propose d’abord une extension des Travaux d’Intérêt général ( TIG) très limités dans leur application pour l’heure, assortie d’une énergique stimulation des communes ou communautés de communes, afin qu’il offrent un minimum de travaux en question. Ensuite, une alternative à la peine d'emprisonnement – déjà pratiquée ailleurs – l’assignation à résidence assortie de bracelet électronique. Les condamnés- à des peines légères s’entend – ne perdent ni travail ni logement, autant à réinsérer de moins. Ce n’est rien, comme sanction ? Un salarié de base peut avoir la désagréable impression – aller-retour, maison, télé – qu’on lui a posé un bracelet électronique à son insu ? Ce contrôle permanent, avec alerte immédiate en cas d’absence, est plus contraignant qu’il y paraît. On hésite à le pratiquer au-delà de trois mois. Apparaissent ensuite des cas de dépression. Enfin, les condamnés tarif mi-lourd, ou lourd. La COR s’aventure là sur un terrain miné par le président en personne. Droit à la libération conditionnelle à mi- peine pour tous, avec suivi réel. Oups, déjà. La libération conditionnelle est tricarde, dans notre actuel gouvernement. On ne l’évoque qu’en cas de bavure. Suppression des périodes de sûreté automatiques pour les condamnés à la réclusion à temps, avec, évidemment, préparation à la sortie ( aïe ! et idem). Suppression des interdictions professionnelles automatiques ( re-aïe, Nicolas Sarkozy en est un ardent partisan, et artisan).Création d’une semi-liberté en vue de chercher un emploi ( pour l’heure, il faut décrocher un emploi depuis sa cellule ce qui n’est pas aisé, on en conviendra, notamment pour les entretiens d’embauche).
Ici et là, des recommandations sans rapport avec les effectifs, mais qui en disent long sur nos prisons : accès aux produits d’hygiène pour les plus démunis, octroi d’une enveloppe timbrée par semaine... Affirmation du droit à la douche quotidienne. Dans quel siècle vivons-nous, déjà ?Traduction Google Voilà, c’est presque fini les chiffres, c’est presque fini les dispositions arides, encore un effort, après tout, derrière les 64 000, il y autant de personnes, des gens. L’une des choses les plus tristes, et les plus énervantes au monde, est de voir débouler les proches de détenus tout neufs : est-ce que tu te rends compte que ? Oui, mais se sont-ils rendus compte, eux, avant ?Bref, autant vous dire qu’après la remise du rapport de la COR à Rachida Dati, il y a eu comme un blanc. On est passé aux urgences , la loi sur la rétention de sûreté, par exemple, qui devait être fin prête pour un ou deux procès, disons au hasard, Fourniret – la ministre a eu plein d’occupations, voyages ici et là en compagnie du président,reine d’Angleterre, etc. Néanmoins, entre les démissions de ses collaborateurs, les impressionnants frais de réception de la Chancellerie ( vous êtes sur le bon site), la nouvelle ligne présidentielle, halte aux unes de Paris Match, nous sommes des gens sérieux, elle a été encouragée à retourner voir ce qui se passait du côté de la Justice. Elle a donc étudié, peut-être selon une méthode de lecture rapide ,le rapport de la COR. Fallait s’y recoller, à la Grande loi Pénitentiaire, la première depuis 60 ans. Or donc, Albin Chalandon, grand constructeur carcéral ( et grand privatiseur), n’a pas été son parrain en politique pour rien. On commence donc par la construction de 13200 places. Jean Favard, magistrat membre du COR, qui dès les années 80 publiait un livre pour démontrer que la construction de nouvelles prisons, loin de soulager les anciennes, créait un appel d’air où s’engouffraient de nouveaux prisonniers, loi toujours démontrée depuis, appréciera.En janvier, les rapporteurs du projet de loi des finances 2008 planchent sur le sujet. 61000 détenus, plus 2400 places en 2008, plus 3400 en 2009, plus vitesse de croisière ensuite, d’ici 2010, ça devrait coller, concluent-ils, à condition que le chiffre reste stable. Ca ne colle pas, ça ne collera pas. Pour commencer, le chiffre est instable. Belle opération de communication fin décembre, il y aurait plutôt moins de détenus « seulement » 61 000. Dès le 10 février 2008, complément d’info de l’administration pénitentiaire : ils sont plus de 64000. D’où sortent ces 3000 supplétifs en un mois ? Mystère.Non, le chiffre ne restera pas stable, il ne peut pas.Les peines prononcées allongent.Les libérations conditionnelles se raréfient.Les peines planchers en cas de récidive, instaurées par Rachida Dati, entrées en vigueur cet été, devraient amener , selon Pierre Tournier, directeur de recherche au CNRS, « démographe pénitentiaire », en tout cas vrai spécialiste qui œuvre tant en France qu’au niveau européen, de 8 à 10 000 détenus supplémentaires.Nicolas Sarkozy a supprimé la traditionnelle grâce du 14 juillet qui avait au moins le mérite d’alléger les cellules.La ministre a bien retenu le principe de l’assignation à résidence… mais pour ceux qui de toute façon n’allaient pas en prison, à savoir les clients du contrôle judiciaire. La ministre entend bien introduire 3000 bracelets électroniques supplémentaires … mais pour les fins de peine, à savoir des gens de toute façon clients pour une libération conditionnelle. Ce n’est pas un match nul, c’est un match perdu. Un embouteillage garanti.Pour le reste, annonce la ministre, priorité sera donnée à la formation, l’éducation, la réinsertion. Pour que cette déclaration ne soit pas l’équivalent des indignations de Christine Boutin, il y a quelques années, encore faut-il que les crédits, les embauches suivent. Où sont-ils ? Actuellement, 15000 détenus sur 64 000 travaillent, ce n’est pas l’effet d’une flemme généralisée, mais d’une pénurie. Réinsertion ? Les travailleurs sociaux qui ont 120 détenus sortants sur les bras savent à quel point elle peut être individualisée. Détournement des propositions plus déclaration d’intention qui ne mangent pas de pain.Edmond Michelet, un type bizarre. Voilà, c’est fini les chiffres. Nous allons dans le mur. Le nous n’est pas de trop. Une société qui ne veut rien savoir de ses prisons est une société appelée à le regretter. Si ceci n’était pas un blog, je m’arrêterais là. Parce que comme vous, j’ai l’impression que les prisons, c’est comme le ménage. Dès qu’on a fini d’un côté, on peut recommencer de l’autre. Sans parler des taches réfractaires. Ca lasse. M’étais bien juré de ne plus écrire une ligne sur le sujet. Pour changer, on ne va pas s’en prendre à la société, mais aux détenus eux-mêmes. Ils sont quand même les premiers concernés. Jusqu’en 1985, et depuis la moitié des années 70, ils se faisaient entendre. Sur les toits en juillet, refusant les plateaux, ou bien de rentrer de promenade, écrivant, bombardant la presse d’infos intra muros, etc.. Depuis l’introduction de la télévision dans les prisons, les détentions ont sombré dans un morne silence bleuté. L’écran a réussi là où les fameuses fioles, ces médicaments administrés aux détenus chaque soir, avait échoué. Silence radio. Certes les violences entre détenus, contre les surveillants, les suicides, se multiplient, mais c’est comme une haine rentrée, interne. Dehors, les prisonniers ont eu la cote. Du prestige, pour ainsi dire. Il y avait des héros. Il n’y a plus, parfois, que des victimes.Pourtant, dans la revendication de leurs droits, les détenus s’affirmaient, en somme, comme citoyens. L’apparente soumission n’est pas un progrès, elle est inquiétante. Mais qui écoute ? Tous ceux qui depuis des années travaillent avec, dans et sur les prisons se heurtent à une indifférence généralisée, la nôtre. Le PS est transi sur le sujet, service minimum. Prévention ? Il se fait aboyer dessus sur tous les plateaux télé, on a vu ce que ça donne. Comment expliquer que la prévention, ça marche, mais qu’un jeune homme, ou une jeune femme, qui ne devient pas délinquant n’apparaît nulle part, juste une citoyen de plus, tandis que celui ou celle quiest condamné vient immédiatement grossir les statistiques ? Il faudrait pourtant le dire et le répéter, courageusement, et admettre aussi les limites de cette prévention : lorsque l’écart entre riches et pauvres se creuse, lorsqu’on grandit dans un système du tout, tout de suite, la colère s’engouffre dans les failles. Et une colère sans pensée, c’est vite de la délinquance. Bon, bien sûr, je n’évoque pas le respect de la personne humaine et autres fariboles. C’est un peu, sinon hors sujet, du moins hors époque. Nous sommes loin, loin,d’Edmond Michelet, résistant, déporté à Dachau, ministre gaulliste de la justice pendant deux ans et demi, qui déclarait : « Je serais toujours du côté des enfermés ». Ce type là n’était pas normal, de toute façon. La preuve, il est en cours de béatification.