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Billet de blog 13 octobre 2008

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Six feet upper, Guillaume Depardieu

Il était naze, aux rencontres littéraires de la Villa Gillet de Lyon, en juin dernier.

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Il était naze, aux rencontres littéraires de la Villa Gillet de Lyon, en juin dernier. Il était naze. Les gens quittaient la salle, les uns offusqués d’un « suce ma bite »,qui ne figure pas dans le « J’accuse » de Zola, pour sûr, il insultait,les autres partaient inquiets des cicatrices sur ses bras, certains n’avaient pas envie de le voir comme ça et partaient. D’autres restaient, en sympathie ou voyeurisme. Guillaume Depardieu, mort à 37 ans.

On disait alors qu’il entrait et sortait d’hôpital psy. Il est mort, ce n’est pas une surprise, pas vraiment, il se traînait la vie, il s’explosait la vie, il était parfois trop vivant pour la vie, je l’aimais bien, rien d’autre. Il avait du talent, voilà. Il était, sur le fil.

Guillaume Depardieu, fils de, incandescent, vite consumé. Ce garçon n’avait pas appris l’économie de soi. Il manquait de prudence. Il était un manque et ce manque parfois occupait l’écran, en un regard vite déplacé.

La première fois que je l’ai vu, c’était dans la salle bondée d’un tribunal versaillais, journalistes entassés pour un procès bien ordinaire de défonce en banlieue ouest, à savoir plus d’argent qu’ailleurs, plus de silence encore qu’ailleurs, plus d’ignorance des petites cuillères noircies qu’on met au lave-vaisselle, une stupéfaction parentale, un silence des inculpés.

Rien de spécial, sauf cette femme frêle, Elisabeth Depardieu, frêle genre acier trempé, qui parlait pour son fils. Le père, avait ajouté le président du tribunal, qui tournait alors « Mon père, ce héros », n’avait pas souhaité déposer.

Le père en plus, c’était 100 journalistes de plus, on pouvait comprendre, ou se dire, quand même. Le fils était là, cette mèche voilait son visage, il insistait, il était un parmi d’autres. Non pour se dédouaner, pour être condamné, comme les autres, surtout.

Après, il se faisait couper la jambe, saleté nosocomiale logée dans l’os, je m’étais dit : ne te démolis pas, idiot. Ne te démolis pas, survis.

Après, on racontait qu’il était fini, pas facile avec un bout de jambe en moins. Il avait tourné un film avec son père, « Aime ton père », « une réconciliation » disait la critique, une douleur réactivée, peut-être, qu’en sais-je ?

Il y a deux semaines, les Inrocks publiaient une colonne sur ces fils de et filles de du cinéma,ajoutant que ceux qui n’avaient pas de talent ne tardaient pas à disparaître – ah ? -que les autres irradiaient : dont Guillaume Depardieu. A Cannes quand on lui demandait pourquoi avez-vous accepté de jouer dans le film de Bertrand Bonello, De la guerre, il répondait: "Parce qu'il y avait le mot guerre dans le titre".

La dernière fois que je l’ai vu, c’était dans La France de Serge Bozon, 10h du matin et salle bondée dans le cinquième arrondissement un dimanche. Ces soldats déserteurs qui longent la zone de combat en 14-18, leurs chansons improbables sur visages épuisés ( allez voir, si ce n’est fait). Sylvie Testud impeccable. Et à la fin, de ce film autant rêvé que filmé, cette apparition qui claudique dans un paysage neigeux, lui.Revenu d’entre les morts des tranchées. Super , m’étais-je dit, te v‘la. D’entre les morts, tu échappes.

Non, hélas, il n’a pas échappé et je ne vais pas ce soir, regarder sur internet les détails d'une pneumonie foudroyante. M’intéresse pas. Le manque est bien partagé. Aujourd’hui, c’est lui qui le crée.

37 ans, des accidents pour trois vies, Guillaume Depardieu.

Regardez la video. On en a enlevé plein, ce soir, sur You tube ou Dailymotion, de Guillaume "déchiré", et on a bien fait .