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Billet de blog 14 janvier 2010

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Haïti, envoyez ! Français SVP

C’est sur le site de TF1, c’est ailleurs. Envoyez ! On aimerait bien que les victimes, les proches de. Haïti.

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C’est sur le site de TF1, c’est ailleurs. Envoyez ! On aimerait bien que les victimes, les proches de. Haïti.

Il y a des immeubles pleins de corps, il y a des corps qui dépassent des décombres, il y a des vivants sous les décombres, il y a des rues où l’on marche , les enfants ensanglantés, l’odeur de mort qui monte, bouffer et boire, merci de nous dire, si vous avez témoignages. De Français. A part qu’ils parlent français, en Haïti.

Oh, j’ai fait comme nous tous, j’ai fait pire que nous tous car ici je n’ai pas de télé, j’ai cliqué, tweetté, suivi les liens, écouté la rumeur, lu trente fois que l’archevêque était mort, téléphoné, j’ai essayé de savoir pour quelqu’un.

Pour l’avoir constaté une fois, pour avoir vomi dans l’odeur de cadavres montante, je me demande ce qui va se passer dans « ces villes de moindre importance » qui sont coupées , routes, monde et secours.

Envoyez ! Français. Ce soir, un dailymotionyoutube montre : une équipe de recherche, dans l’immeuble effondré de la Minustah, mission de stabilisation de l’ONU.

Raw Video: U.S. Searchers Scour for Victims © Associated Press

Effondrée elle l’est, effondrée, cette mission où l’on aura pu voir travailler Louis Joinet , magistrat fondateur du SM, ou bien Thierry Fagart, avocat de l’extrême gauche, qui un jour dans un café d’Hotel de Ville m’a dit qu’il y avait des tas de raisons, que rien n’était si simple, mais qu’il partait au Cambdoge ,que dans ce pays où le droit n’était même pas mémoire, il y avait à faire. Ben, on verra, je sais pas, on verra. Il n’était sûr de rien, mais il était parti déjà.

Je me suis dit, celui-là, dans un an il revient. J’ai repris mon métro, finaude. Ben tiens, le Cambodge, allait souffrir le pointu de la faute de procédure.

Il n’est pas revenu. Après le Cambodge, j’abrège, s’est retrouvé en Haïti. « Monsieur droits de l’homme », on l’appelait.

ONU, droits de l’homme, rapports terribles, quotidien minant, attention à l’une, prisonnière politique, à l’autre, torturé dans un commissariat, rappel permanent : il y a des lynchages, justice immédiate, drames, car de justice il n’y a pas, qu’est-ce que le droit quand on ne peut ni boire ni manger ?

Non, pas de suspens, ce héros là n’est pas mort dans le tremblement de terre, sa mission de six ans s’est achevée à temps.

Des chiens aux reins souples crapahutent dans les ruines, ce feuilleté terrible qu’est devenu la Minustah, où d’autres, que je n’ai jamais connus, sont morts. Là plutôt qu’ailleurs ? Là comme ailleurs, la ligne de fracture n’a pas choisi . Mais on filme là.

Il n’y a pas de nouvelles, non plus, de la « prison des enfants », peu connue à Port au Prince, encore moins ailleurs, où des 10-17 ans passaient plusieurs années, parce que. Raflés, pour faire le chiffre, parce que. Pas jugés, ni entendus, ni rien. Juste là, une heure de récré par jour hors cellule. Envoyez ? Non pas ceux-là.

Envoyez ! Les clients de la prison qu’on pourrait expédier à Guantanamo, un peu vide ces temps-ci, à part les fichus yéménites. Le pire c’est que, hors spécialités d’interrogatoires et tortures sonores et climatiques, ils pourraient s’en trouver mieux, les détenus qui ne se sont pas enfuis lorsque les murs de la prison de Port au Prince se sont effondrés. Guantanamo, qui fit déjà hébergement haïtien, comme amélioration pénitentiaire.

Envoyez ! Nous recherchons des témoignages.

Juste là, ce soir, sans la distance requise, sans savoir encore car les dizaines de milliers, au moins, plus sans doute, se résument terriblement à ces écrans qui nous envoient l’image sans le sens, parce que je sais que nous ne voyons pas le pire, le pire est durable et parfois prévisible.

Des gens sans électricité ni toit chantent Dieu, sauve-nous. Je crois bien que je ferai pareil, en grimpant vers la colline, si jamais en plus on faisait tsunami. Oui Dieu, auquel je pense si peu, en écho à ce terrible titre de Libération, Terre maudite. Zéro fatalité, tant de souffrance, terre de colère, comme initialement, peut-être. Zéro maudit, sinon par nous.

Pour l’heure, pas mieux, non pas d’Envoyez ! Français Svp, dans cette foule haïtienne qui erre tourne dans la rue car où errer, où tourner, quand il n’est plus de repère, où errer, où tourner, où aider, ce nulle part est hélas le mien, ce nulle part affolé est ce que nous partageons, sauf que dans ce partage ils ont un bras en moins, une famille en moins, tout en moins.

Peut-être pleurerons-nous de plus en plus ? M’écrit un ami. Non pleurer, non, mais pleurer pour les non-Envoyez !, parfois, oui. Pleurer, M., c'est déjà un luxe, j'espère que tu liras, le pire est dans la douleur sèche.

Ps : Sarkozy veut convoquer une mega conférence. Il a mis 24 heures à comprendre qu’il tenait le super fait-divers. Nous éradiquerons les tremblements de terre, la récidive, les pédophiles, les méchants, les pauvres c’est plus compliqué, il faut qu’ils y mettent du leur.

Envoyez ! Tournons, dans le dévasté.