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Billet de blog 16 juin 2008

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Marina, marinas

On peut désormais l’expédier en Italie, avec perpétuité à la clé, n’importe quel jour, n’importe quelle heure.

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On peut désormais l’expédier en Italie, avec perpétuité à la clé, n’importe quel jour, n’importe quelle heure. François Fillon a signé le décret d’extradition il y a une semaine. Bien sûr, l’usage est d’attendre la décision du conseil d’Etat. Marina Petrella a toutes les raisons de craindre un oubli des usages. Les trous de mémoire se multiplient, en France.

Jeudi, on a ramené Marina Petrella, ancienne brigadiste, à l’hôpital psychiatrique de Villejuif. Elle y a déjà passé cinquante jours entre avril et mai. A la maison d’arrêt de Fresnes, les psychiatres ne sont plus certains de surveiller convenablement son désespoir.Je regarde son visage, sur la mauvaise photo. Est-ce que je la connais ? Il me semble l’avoir vue. En mouvement, vivant, marqué, ramassé dans le regard, oui, peut-être entrevue lorsqu’une arrestation de réfugié italien précipite cent ou deux cents personnes dans une salle de réunion, peut-être confondue avec d’autres visages, vivants, marqués.« La patrie, ce n’est pas une convention, c’est une implacable mémoire du sang », écrivait l’autre Marina.

Il y a eu en Italie « une guerre civile non officiellement reconnue »,dit le président de la commission d’enquête parlementaire italienne sur les années de plomb. Des dizaines de milliers de jeunes italiens s’engagèrent dans les mouvements d’extrême gauche, des milliers dans la lutte armée, quelques centaines - 300 maximum – s’enfuirent vers la France. La lutte était perdue, le plus souvent ils ne croyaient plus aux vertus de la violence ; les repentis qui racontaient le vrai, le faux et l’inventé, les lois d’exception bricolées ou héritées de Mussolini, les condamnations écrasantes firent le reste.On le sait, on l’a lu, François Mitterrand accorda l’asile à ces réfugiés. « La vraie question politique que pose le terrorisme est certes, de savoir comment on y entre, mais surtout comment on en sort », déclara-t’il alors. Ce droit d’asile ne fut pas le fruit d’un caprice, mais d’une longue concertation entre le tout nouveau gouvernement socialiste, dont Louis Joinet, magistrat et conseiller à Matignon, des policiers, les réfugiés eux-mêmes et leurs avocats d’alors. Asile, contre vie au grand jour et renoncement : les réfugiés italiens devenaient des muets politiques.Marina Petrella, ex-membre des Brigades rouges,n’était alors pas du nombre. Et pour cause, elle était en prison, en Italie. Elle y restée huit ans, sa fille aînée y est née. Ensuite, son affaire poursuivant un cours assez lent – meurtre d’un commissaire de police, un chauffeur grièvement blessé – elle fut placée sous contrôle judiciaire , pendant cinq ans. Elle s’est présentée à chacun de ses procès. En 1992, elle fut condamnée à perpétuité pour des faits remontant, pour les plus tardifs, à 1981. Elle était là, mais on ne s’est pas donné la peine de l’arrêter à l’audience. On ne peut même pas dire qu’elle s’est enfuie : elle a passé la frontière en toute légalité, puisqu’il fallut encore un an pour que les autorités italienneslancent un mandat d’arrêt.Et là, en France, elle est devenue assistante sociale, travaillant dans diverses banlieues, ce que, dans un interview de 2004, elle présente comme la seule continuité possible de son engagement. « Je n’ai pas suivi la loi, je n’ai pas communiéEt jusqu’à l’heure dernière je pècherai

Comme j’ai péché et comme je pèche encore

Avec passion ! », écrivait l’autre Marina, qui était bien givrée, et venait de s’enticher de son beau frère, révolutionnaire rentré au pays pour y mourir de phtisie.De temps en temps, on arrêtait un réfugié, à la demande des autorités italiennes. On le collait en prison, le temps de se pencher sur les étranges dossiers transmis au magistrats français, qu’unanimement on trouvaitmal fichus, les arguments juridiques pour contrer les demandes ne manquaient pas. Me De Felice et Irène Terrel montaient au créneau, Oreste Scalzone galvanisait alentour, les réfugiés se réunissaient. De toute façon, à la fin, on relâchait. Pas un seul Italien, au long de ces vingtannées, n’a trahi l’engagement pris envers la France. Pas un seul des neuf gouvernements, de gauche comme de droite, n’a extradé.« Naître à nouveau ?Dans un autre pays ?Va donc, essaie de remonterA dos du cheval qui t’a jeté bas ! », écrivait l’autre Marina, une fois exilée.Marina Petrella elle, naît à nouveau. En 1998, lorsqu’on lui délivre un permis de séjour de dix ans, elle a une seconde fille avec Ahmed, son compagnon.Certains réfugiés obtiennent la nationalité française.Arrive 2001, le World Trade Center. Eradiquer le terrorisme islamique ! France et Italie se concertent, se promettent unebelle entraide. En 2002, Perben garde des Sceaux, Chirac président, on inaugure avec… Paolo Persichetti, arrêté et extradé à la vitesse de l’éclair. Le prof de Paris VIII était l’un des très rares italiens dont le décret d’extradition avait été signé,dix ans avant, mais bien sûr, non exécuté. Il est aujourd’hui détenu ; l’asile qu’il a reçu en France est une circonstance aggravante.Puis c’est au tour de Cesare Battisti. Ecrivain, son cas mobilise tant de célébrités qu’une certaine confusion règne. On en oublierait presque que la France à déjà refusé son extradition. On revient à la fois sur la parole donnée et la décision judiciaire. Battisti, lui, s’en va, jusqu’au Brésil, où, interpellé il y a un an, il attend aujourd’hui une possible extradition.« A présent je n’ai plus de peine,c’est déjà – le destin », écrivait l’autre Marina.En août dernier, Marina Petrella va au commissariat pour déposer une plainte, une bricole à propos de son permis. Elle est arrêtée sur le champ, écrouée. Un quart de siècle plus tard.En prison, on l’informe que les huit années qu’elle a déjà passées en prison ne seront pas déduites de sa perpétuité. Elle ne parvient plus à manger, elle atterrit à l’hôpital psychiatrique.« Les changements d’endroit me font perdre le sens de la réalité. J’ai l’impression que je diminue, il y a de moins en moins de moi, comme ce troupeau qui laissait une touffe de laine à chaque haie. Il ne reste que mon fondamental refus. », écrivait l’autre Marina.Moins de beau linge, pour Marina ( même si l’on peut préférer écouter Erri de Luca à BHL) mais une mobilisation qui ne se dément pas. De politiques ( PC, Verts, un peu le PS, la LCR), d’associations, d’amis. Une grève de la faim tournante, à laquelle son avocate Irène Terrel participe. Des concerts. Des blogs en ébullition. Dominique Voynet vient d’écrire à Rachida Dati. Cécile Duflot, elle, à Carla Bruni.Via le site http://www.paroledonnee.info/ , nous sommes tous invités à expédier nos protestations au premier ministre, à Sarkozy. Les soutiens à Marina Petrella seront présents mardi 17, dans le cortège de la fonction publique, mercredi 18, dans celui de l’audiovisuel, ils se rassembleront à 18h30 dans les Jardins du Palais Royal, jeudi 19.

Il existe une vraie possibilité juridique d'éviter l'extradition à Marina Petrella, la clause humanitaire, qui s'applique lorsque la vie ou la santé de l'extradé potentiel sont en danger, ce qui est bien le cas ici.

Je lis des commentaires d’internautes : tant mieux si l’on vire ces assassins ! Parfois je ne sais plus très bien où je vis. J’aimerais savoir ce que l’on en pense, sur mediapart.L’une des réfugiées italiennes interviewées en 2004 par l’Humanité disait : « nous sommes toujours un peu sous la lune noire ».« Sur un filin, semble-t’il prêt à rompreje suis un tout petit danseur.Je suis l’ombre d’une ombre.

Le somnanbule

De deux lunes sombres », écrivait l’autre Marina,Tsvetaeva, poétesse.