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Billet de blog 16 décembre 2008

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The Wire, roman russe

 C’est une série télé, et c’est une œuvre. Soit environ 53 heures de film,

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The Wire
The Wire

C’est une série télé, et c’est une œuvre. Soit environ 53 heures de film, une trentaine de personnages principaux, et cinq saisons à Baltimore, Maryland, ville passablement sinistrée.

Police, justice, syndicalisme, éducation, politique et presse en fresque, le tout habité par une humanité complexe, qui dézingue avec beaucoup de vitalité, de violence et précision le politiquement correct et les conforts de pensée.

The Wire, qu’Orange TV diffuse chaque dimanche soir ( sous le titre platement traduit de Sur écoute, disponible aussi en coffrets ) bénéficie d’une presse enthousiaste. Ce n’est pas de trop, il s’agit d’un repêchage. En 2004, Canal Jimmy ena interrompu la diffusion en France dès la première saison, The Wire « n’ayant pas su trouver son public », comme disent les chaînes.

Rien d’étonnant. L’un des auteurs ayant collaboré à la série, Eric Alavarez ( journaliste de Baltiùore et docker à l’occasion) en donne une juste définition, un « roman russe », dit-il :le lecteur bosse pendant les cent premières pages, puis tout bascule, et l’embarque pour de bon.

Rien d’étonnant. Aux Usa, quoique nationalement diffusé, The Wire, n’aura été nominé qu’une seule fois aux Emmy ( « narration trop complexe pour le jury », a estimé Variety), suscité des passions mais sans atteindre des sommets de popularité , la série ne donnant guère dans les facilités du genre. La mort, par exemple, y surgit aussi soudainement, absurdement ou impcblement que dans la vie, elle n’est jamais rebondissement. Parmi les passionnés, citons quand même le président : la-série-préférée-d’Obama est en passe de devenir un gimmick publicitaire.

De quoi ça parle ? Une fresque sociale réaliste, avec des images comme parfois arrachées au réel – mais une scénographie rigoureuse – qui défie le pitch. Résumer The Wire vous amène vite à relater votre empathie totale avec un dealer noir de quatorze ans qui veille sur son « corner ». Au risque d’être incompris(e).

Quelque part, des chiens aboient, toujours. Postés, des gamins crient le nom de leurs doses – Massive attack ! Pandémic ! – un écho du monde. Pas de musique, une bande son richissime qui se suffit. Le noyau dur de la saga est la drogue, qui fait vivre économiquement, et mourir de toutes les façons les quartiers ouest et est du sud de Baltimore. Dont l’argent sert en politique, et même parfois pour de bonnes causes.

Très vite, vous les connaissez tous, dealers ou trafiquants.Mieux, ils changent.

Vous connaissez très vite aussi les policiers, (en particulier cette unité composite qui pratique les écoutes), stressés par des obligations de chiffres à la Rudolph Giuliani, privés de moyens aux pires moments, lâchés par la hiérarchie, hommes de l’ordre séparés par une ligne aussi ténue que mouvante de cet autre ordre, the Game, le jeu de la drogue.

Saison un autour d’un canapé abandonné sur le terrain pelé des « pavillons », saison deux ( remarquable) dans le port, où undocker syndicaliste passe pacte avec le diable pour la survie de son monde , saison trois, où un major de la police invente un ghetto de la drogue, promptement surnommé Hamsterdam , et conquête de la ville par un jeune politicien, pas plus assoiffé de pouvoir qu’un autre ( c'est-à-dire pas mal, déjà), les espoirs qu’il fait naître. Saison quatre, ou ce qu’il advient des classes d’un collège peuplé de petits revendeurs, gamins en détresse et tueurs en devenir. Saison cinq,confluence de tout ce qui précède et violente attaque contre la presse en déshérence.

Roman russe, telle n’était pas l’intention première des deux créateurs de la série, l’ex-journaliste David Simon et l’ex-policier, ex-enseignant Ed Burns. Tous deux en rupture avec l’institution, ils entendent alors sortir de la « série policière ordinaire », et relater la confrontation entre les individus et ces institutions.

Ed Burns a puisé dans son expérience – qu’il s’agisse des écoutes téléphoniques, de la guerre des gangs ( il serait plus juste de parler d’ensembles, comme en maths, avec sous ensembles et même parfois ensembles vides) , des générations de dealers – gars de la rue, ambitieux qui étudie avec sérieux le libéralisme appliqué au trafic, psychopathe impassible – à l’éducatif, gouffre financier, espoir et infime chance pour quelques-uns . David Simon, lui, chroniqueur judiciaire au Baltimore Sun pendant une décennie, a pratiqué un journalisme exigeant ( avec immersion au long cours, souvent). Après le rachat de son journal, et une grève très dure, il est devenu un critique virulent de ce que devient le journalisme aux USA.Et il a opté pour la fiction. Comme ce journaliste aguerri de la série, victime d’une des multiples compression de personnel ( en route vers le journalisme sans journaliste) qui lâche amèrement,lorsqu’on le congédie : « I’am going to write a great american novel ».

Simon et Burns, n’ont pas travaillé seuls, loin s’en faut, pendant leurs six années consacrées à The wire. David Simon a tout suivi, jour après jour – d’où la cohérence, sans doute, en dépit de collaborations diverses – mais, côté écriture, appelé en renfort quelques grands plumesde la côte Est, Pelecanos en tête , ou Richard Price, Dennis Lehane. Côté réalisation, on a convoqué des habitués de séries réputées, de Six feet under aux Sopranos en passant par Oz ou Dexter. Mais aussi, par exemple, des cinéastesvenus d’ailleurs, tels la polonaise Agnieska Holland, Peter Medak ( réalisateur hongrois, 72 ans) ou encore Milo Mancevska ( macédonien).

Quant aux acteurs … On a recruté large. Outre des professionnels – dont certains entament depuis une carrière au cinéma – Baltimore s’y est collé. Gamins de la rue, anciens policiers, ex-truands.

S’il fallait, d’un mot, résumer la différence entre The Wire et ce que l’on connaît déjà des meilleures séries américaines, ce serait le temps. Cinq saisons en six ans, et les adolescentss’étoffent et grandissent sous vos yeux. L’ensemble a visiblement été conçu dès le départ. L’extraordinaire acuité du regard, la connaissance des lieux et des gens aboutit à ce résultat rare : le crime en ce qu’ila de passionnant, voire bouleversant, sansfascination ni complaisance.

Les épisodes prennent leur temps. La première saison, ainsi, est en bonne partie une saison d’exposition, ouverture de sagaqui dédaigne le propos accrocheur ( mais vous accroche..). Les personnages prennent leur temps. La vie du délinquant est pleine de phases d’attente.. Celle des policiers aussi. Presque insensiblement, l’enfant tueur ( et tout aussi prêt à mourir) prend conscience du prix de la vie. Un an, deux ans plus tard : à méditer par nos législateurs.

Sombre l’amour deKima, policière homo, vit celui de Bubbles, junkie trop lucide et trop affectif. Il faut du temps, pour que l’émotion surgisse,débarrassée de tout sentimentalisme..

Du temps enfin, pour développer un propos qui, si il est au fond moral, et de gauche ( les démocrates qui règnent sur Baltimore depuis 150 ans ne sont pas épargnés, loin de là) , ne juge pas.Il expose crûment, voilà. « Une vision très noire », lit-on souvent. Non, car c’est précisément de l’enfer que surgissent une formidable vitalité, et de rares miracles.

Du temps, et c’est peut-être pourquoi il faut envisager les 53 heures en suivi ( autant que possible, disons, insomniaques privilégiés). The Wire se prête mal au découpage hebdomadaire : c’est un peu comme s’octroyer une demie heure de Crime et Châtiment par semaine. Possible, mais frustrant.

Mais la « vision noire » existe… 75% des habitants de Baltimore sont noirs. Les personnages de The Wire aussi, en grande majorité. Mais cela, on ne s’en aperçoit que fortuitement, avec surprise, ah tiens, oui. A ce moment là, on est déjà en immersion…

Ps : hélas, impossible de trouver des extraits sous-titrés sur Dailymotion ou Youtube, et je ne sais comment importer les sous-titres disponibles sur internet ( pour les raisons énoncées juste ci-dessus, The Wireest un grand succès du téléchargement..) Donc, résumé lapidaire ci-dessous.

Extrait un :

Générique et ssène d'ouverture:

Di Angelo, neveu du trafiquant-roi local mais dealer peu enthousiaste, tombe sur deux de ses jeunes revendeurs, qui jouent aux dames avec un jeu d'échecs. Il insiste pour expliquer les règles des échecs. Ils comprennent cinq sur cinq : du roi à protéger aux pions-soldats qu’on sacrifie, tout est dans la logique du Game.

Extrait deux

… ou résumé de quatre saisons… Il y faut plusieurs minutes et les ressources du raccourci rap…

Photos :

David Simon , Ed Burns et Pelecanos ( flickr)

Le Baltimore Sun tel qu’il apparaît dans la série. Le vrai a été racheté à deux reprises ces quinze dernières années, a supprimé l’une de ses deux éditions et licencié massivement.