Dominique Conil
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Billet de blog 17 mars 2013

Dominique Conil
Journaliste à Mediapart

Avocat, avocat, et avocat...

Je lis que le corps d’Olivier Metzner a été repêché près de Boëdic, son île privée dans le Morbihan, et qu’il aurait laissé une lettre d’adieu. Conditionnel, il aimait tellement le conditionnel. J’ai bien aimé ce monsieur. Cette semaine, alors qu’une nouvelle demande est déposée auprès de la Cour de Cassation dans l’affaire Mis et Thiennot, j’ai également beaucoup pensé à un autre avocat, Me Thibault, dont vous n’avez peut-être jamais entendu le nom. Mort lui aussi.

Dominique Conil
Journaliste à Mediapart

Je lis que le corps d’Olivier Metzner a été repêché près de Boëdic, son île privée dans le Morbihan, et qu’il aurait laissé une lettre d’adieu. Conditionnel, il aimait tellement le conditionnel. J’ai bien aimé ce monsieur. Cette semaine, alors qu’une nouvelle demande est déposée auprès de la Cour de Cassation dans l’affaire Mis et Thiennot, j’ai également beaucoup pensé à un autre avocat, Me Thibault, dont vous n’avez peut-être jamais entendu le nom. Mort lui aussi.

Illustration 1
© DR

« Waoh, elle est vraiment super, cette bagnole ! » J’avais dit ça spontanément, parce que la Jaguar ( je crois), ses sièges de cuir souple et surtout, surtout la qualité du son, de la musique, faisaient du trajet aéroport-Paris un voyage planant. Et j’avais vu du coin de l’œil Olivier Metzner – nous rentrions du même procès – devenir  rouge de  plaisir, marmonnant un oui ça va faussement blasé.  Il disparaissait à moitié dans le siège, pas bien grand. Me reprenant, j’avais ajouté : « ça représente un paquet de détenus, une voiture comme celle-là ». « Ou un paquet de gens qui ne le seront pas, détenus », avait rétorqué l’avocat. Metzner-le-roi-de-la-procédure, et pas vraiment « une grande voix du barreau » comme l’écrit l’AFP : en plaidoirie, il n’était pas fameux, l’envolée, pas son registre et l’articulation ne suivait pas.

Avec Metzner, on s’est croisés et recroisés des années durant,  une chose nous rapprochait : nous n’aimions pas la prison. Nous ne croyions guère à ses vertus. Et aussi cela : l’innocence, la culpabilité,  c’est parfois très relatif. A côté des noms célèbres, des dossiers médiatiques, il y avait parfois des exceptions, des gens, mais il était plutôt discret là-dessus, sauf en cas d’urgence. On se retrouvait parfois, tard le soir, dans son bureau. Pour des sans grades du crime, ou encore pour piquer une crise de fou-rire à la lecture des écoutes d’une french connection quelconque, dont les codes et mots de passe discrets n’auraient pas abusé un gamin de cinq ans. Entre la « cuisine » et « l’arrivée du copain que tu sais »… Mais après avoir ri il s’essuyait l’œil,  disait qu’il fallait voir, ces écoutes, illégales on dirait bien.

Il n’était pas pressé. Il n’avait pas hâte de rentrer. Une seule fois, à une question plus directe, il avait répondu : « Mais qui n’est pas seul ? ». Peut-être est-ce que j’aimais chez lui : comme l’écrit Michel Deléan , cette fragilité soudaine, vite planquée.

Illustration 2
© DR

Il aimait bien être l’homme de l’ombre qui en sait beaucoup ( et hop, un cigare) . Et bien sûr, il pouvait tout aussi bien essayer de vous duper, via un entretien « exclusif » avec un improbable témoin,  dans une affaire que toute la France suivait passionnément.  L’ « exclusif » avait mal appris sa leçon, ou bien j’en savais déjà trop : nous échangeâmes un regard, avec Metzner. Il me raccompagna jusqu’à la porte : « Nous en restons là ? » « Mais bien sûr », dit-il, malicieux, pas morveux pour un sou.

« Faut demander à Thibault », «  ça, c’est Thibault qui sait ». Ciel bas, silence rehaussé par de brusques envolées d’oiseaux, brandes et genêts. Gaby Thiennot, 1,60m tout compris,  me promenait sur les lieux du crime, au cœur de la Brenne. Racontait, une fois encore : ce 29 décembre 1946, il avait vingt ans, et derrière lui le maquis de la Résistance, un frère fusillé. Ils avaient chassé toute la journée, et il y a avait eu une altercation avec le garde-chasse des Lebaudy ( de Lebaudy, puis Lebaudy et Sommier, puis Générale sucrière, puis Saint-Louis, bref : sucre) . Le lendemain, on avait retrouvé le corps du garde-chasse.  Jean Lebaudy avait offert la forte somme aux  œuvres de la police, et il exigeait un ou des coupables. Le commissaire Daraud, qui s’était illustré dans la répression des « communo-gaullistes » pendant la guerre, donna sa mesure. Les habitants de Mezières entendirent  les cris des  torturés une semaine durant. Les jeunes chasseurs avouent, au premier rang desquels deux coupables parfaits : Gabriel Thiennot est communiste, Raymond Mis est arrivé d’Opaloniska avec sa famille, un polack. On s’y est repris à trois fois pour juger, on a gracié. Si seulement ils s’étaient contentés de ça : mais non.

L’affaire, au complet, est retracée sur le site du comité de soutien, on peut aussi lire l’enquête publiée par les éditions Phébus.  Moi, ce que j’avais vu, avant même Gabriel Thiennot, verbe vif, suivi de Raymond Mis, verbe rare, c’était peu de temps auparavant trois autocars Berrybus se garer devant le palais de justice de Paris et une petite foule en descendre. On s’était habillé pour l’occasion, certains portaient des pliants ( on leur avait dit, la cassation, c’est long), et des dames avaient même apporté leur tricot. Quelques heures plus tard, il y eut quelques « justice pourrie », mais surtout ces gens silencieux qui remontaient lentement dans les Berrybus. La justice parfois devrait regarder par la fenêtre.

Voilà comment je me suis retrouvée, en Brenne, écoutant Gaby pendant que mes pieds s’enfonçaient lentement dans les terres Lebaudy, fort détrempées. Il était heureux, Gabriel Thiennot, il rêvait du grand article – « ah, Depardon vient demain ? » qui changerait tout. La double page de Libération, avec les photos de Raymond Depardon ne changea rien. Gaby rêvait d’un film, d’un coup de tonnerre, quel qu'il soit.

Voilà comment je me suis retrouvée dans un bureau  assez sombre, avec cette pile énorme du « dossier », et Thibault, à savoir Me Thibault. Vous lirez, ça tient en une phrase : «  a défendu bénévolement Mis et Thiennot pendant trente ans ». Il était bâtonnier de Châteauroux. Au PS, aussi. Elu local, aussi. Je lui ai demandé pourquoi , depuis si longtemps, sans argent. « Parce que Mis et Thiennot sont innocents ». Point. C’est plutôt rare, ça.

Illustration 3
Me Thibault, photo officielle... © DR

Un jour passa par là le troisième avocat de mon histoire, celui-là, vous connaitrez son nom. Gilbert Collard  a dit que ça allait chauffer. Ca chauffa, sur une ou deux radios, une ou deux télés, surtout lorsqu’il publia son Prière des juifs, approximatif, vite écrit, vite oublié. Gaby avait été séduit par le ténor du barreau ; sa déception fut cruelle.  Collard avait proprement disparu, disait-il, ne le prenait plus au téléphone, s’en fichait. Dans les archives de l’Ina,  un commentaire conclut toujours : « Me Collard, qui a obtenu la révision du procès Mis et Thiennot » . Que non. Tout cela, je ne l’ai su qu’un peu après.

Me Thibaud accueillit le condamné prodigue et repentant, reprit le dossier, toujours bénévolement.  Ca, c’est encore plus rare.  Mais j’avais entendu, au téléphone, sa tristesse, quand il m’avait dit « je suis déchargé de l’affaire ».. Puis Gaby mourut, puis Mis. Il continua. Puis, à hauteur de 2010,  le cancer  tua Me Thibault en quelques mois. En lisant Michel Deléan (encore) , j’apprends que Me Jean-Pierre Mignard reprend le flambeau. Nouveau départ vers la Cassation, si réticente à reconnaître les erreurs de la justice – et des aveux sous torture sont une première erreur, qui ne peut être ignorée –  de plus en plus réticente au fur et à mesure que le temps passe. 

Mais voilà, être avocat c’est parfois trois petits tours devant les caméras et pas grand chose d'humain. C'est aussi, surtout - en Jaguar et à pied - chercher la faute de procédure au bénéfice de clients peu fûtés, défendre des gens, trente ans durant, parce qu’on les croit. Hommage.

 Les enfants du brouillard, Jean-Claude Derey, éditions Phébus. 

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