Michel Fourniret n’a pas voulu parler hors huis clos, puis il a voulu, puis à nouveau il ne veut plus, provoquant ainsi une grève d’audience des familles de victimes. Cela, à vrai dire, ne changera sans doute rien à son destin judiciaire. Un expert, vendredi, est venu résumer à la barre son opinion sur l’accusé : «pervers narcissique», «le summum de la dangerosité , incurable».
Il faut donc saluer le courage de ceux qui hier samedi se réunissaient dans une salle du 9ème arrondissement, alors que le procès de l’homme le plus haï de France et de sa compagne n’est pas achevé, pour débattre de « comment sanctionner les crimes les plus graves dans le respect des victimes et de leurs proches, avec le souci de protéger les victimes potentielles d’un traitement pénal et/ou psychiatrique qui serait inadéquat et dans le respect des droits inaliénables des criminels « si détestables qu’ils soient, si tarés qu’ils soient » ( les italiques sont de Jaurès). En décodé, pour ceux qui n’auraient pas saisi : il sera, entre autres,question de la rétention de sûreté, promulguée le 26 février dernier.
Citoyens, avocats, magistrats, chercheurs, psychiatres, magistrats , sous la présidence d’Elisabeth Guigou, en choisissant de poser ouvertement la question des crimes les plus graves, à partir d’une réalité connue de tous , occupent un terrain déserté par la gauche. Mais fort bien occupé par la droite, et tout particulièrement Nicolas Sarkozy, adepte de la loi émotive, inspirée en direct du faits divers du jour. A gauche, on opte généralement pour le service minimum : saisie du conseil constitutionnel, réaffirmation des principes de droit, et article de Robert Badinter quand les choses vont trop loin. L’ambiance générale n’incline pas à la prise de risque. Un sondage BVA ( réalisé auprès de 800 internautes) indiquait il y a cinq mois que 81% des sondés pensaient que la rétention de sûreté diminuerait la récidive. En février, un sondage IFOP-Le Figaro (977 sondés, internautes)confirmait ces chiffres, avec complément : seuls 39% des sondés s’opposaient à une application rétroactive de la loi (la non rétroactivité des lois est inscrite dans la Constitution, une seule dérogation : la loi sur les crimes contre l’humanité, qui a permis de juger Klaus Barbie). Ces 39% qui campent fermement sur les principes du droit , précise le sondage, rassemblent surtout les sympathisants de gauche.
Les restrictions à la loi de sûreté apportées par le conseil constitutionnel ne l’empêcheront aucunement de s’appliquer, et à une échéance bien plus proche qu’annoncée. Non pas dans 17 ans, comme on l’a beaucoup lu, mais, par le jeu des remises de peines ordinaires, dans dix ans. A lire, ardu mais instructif, l’article de Martine Herzog Evans : http://blog.dalloz.fr/blogdalloz/2008/03/loi-rtention-et.html
Michel Fourniret, lui, n’a pas trop à se soucier de la rétention de sûreté. S’il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité – ce qui n’est pas une hypothèse extravagante, son propre avocat l’annonçait comme acquise avant l’ouverture du procès – assortie d’une période de sûreté ( il va devenir difficile de ne pas radoter dans les chroniques judiciaires avec toutes ces sûretés ), Fourniret pourra commencer à envisager de déposer une demande de libération conditionnelle passés 96 ans. Néanmoins, il est la vivante illustration de l’échec prévisible de la loi de rétention . Et l’avoir choisi comme « objet d’étude » témoigne, de la part des partcipants aux débats d’aujourd’hui, d’une volonté de prendre à bras le corps une réalité qui pour être infime statistiquement, n’en marque pas moins les esprits.
Certains directeurs de SMPR ( Services médico psychologiques régionaux) seront présents, et c’est tant mieux. Les SMPR, dans le cadre d’un emprisonnement, sont les seuls lieux, actuellement, où des soins réels sont dispensés. Il n’y en a que 28 pour toute la France, ils sont pauvres, certains ne fonctionnent qu’au ralenti faute de personnel, mais ils sont les seuls.
Sortant de l’Elysée, Dahinna Le Guennan, ancienne victime de Michel Fourniret, présidente d’une association curieusement intitulée Victimes en série, déclarait que si la rétention de sûreté avait existé, Michel Fourniret aurait fait sept victimes de moins. C’est faux.
Condamné une première fois en correctionelle pour ce qui n’était encore que des attouchements, une seconde en cour d’assises pour viol, Michel Fourniret, qui avait écopé d’une peine inférieure à 15 ans de réclusion, n’aurait pas rempli les conditions. Il aurait été libéré de la même façon. A l’époque, il n’a fait l’objet d’aucune obligation de soins, aucun expert ne lui a trouvé de dangerosité particulière.
En détention, comme la quasi-totalité des délinquants sexuels, c’était un type calme, pas dérangeant.
Jamais il n’a reçu, comme l’a stipulé le conseil constitutionnel pour que la loi de rétention puisse être appliquée, de « la prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité » dont il souffre, et il n’a jamais rien demandé, bien sûr.
Claude Badier, psychiatre qui dirigea longtemps le SMPR de Varces, qui reçoit tout particulièrement des délinquants sexuels,explique que le pervers, trouble de la personnalité encore mal connu, - « un vide dans la construction mentale, où l’autre ne peut exister » - exige la mise au point d’un protocole très rigoureux, des entretiens répétés, au long cours, avec trois soignants dont au moins un psychiatre.
Le parcours de Michel Fourniret est saisissant par sa durée, le nombre de crimes, mais très ordinaire dans son déroulement. Agressions ratées, fuites, abandon, premiers faux pas, puis un cran au dessus, viols, puis.. Outre le fait, essentiel, que jusqu’à présent la justice sanctionnait des crimes accomplis, avec une échelle des peines précise, et non un potentiel criminel ( sans limite de durée), il y a fort à parier que la loi va complètement louper son objectif.
Puisque nous l’avons vu, et pour rester proches de Michel Fourniret, les pervers aussi commencent petit, il faut regarder les chiffres : la moyenne des peines prononcées pour viol aggravé ( chiffres de 2005, les derniers disponibles) est de 8,5 ans,pour inceste, 8,6 ans, et moins pour ceux qui sont condamnés pour la première fois. Pas de candidats pour la rétention.
La loi ne s’appliquerait alors qu’aux récidivistes … c'est-à-dire trop tard.
Lesquels récidivistes ne sont pas aussi nombreux que la Chancellerie donne régulièrement à croire. Sur l’ensemble des personnes recondamnées pour crime ( toutes catégories confondues) en 2004, le taux est de 3%. Pour les crimes sexuels : 1,3%. On est loin des 31% annoncés, qui amalgament délits et crimes, et qui , surtout, ne distinguent pas le vol simple d’un sortant de prison qui fauche dans un magasin du crime réitéré à l’identique.
Michel Fourniret fait partie de ces 1,3%. Exception, mais les exceptions sont le plat de résistance du fait divers.
Ce n’est pas par hasard si Elisabeth Guigou, ancienne garde des Sceaux, préside l’assemblée d’aujourd’hui : c’est elle qui a fait voter, en 1998, la loi sur le suivi socio-judiciaire pour les crimes les plus graves, maillage dense , qui permettrait de ne pas relâcher dans la nature des condamnés ayant purgé leur peine, mais pas forcément leurs fantasmes. Impossible de tirer un bilan de ladite loi, qui est une véritable alternative à la rétention de sûreté : elle commence tout juste à s’appliquer… en 2008.
Pourquoi se mobiliser contre une loi déjà votée ? D’abord parce qu’elle peut être abolie, pour peu que l’opinion suive (voir aussi http:/contrelaretentiondesurete.fr ).
Mais aussi parce qu’en germe, la loi actuelle, vouée à l’échec, recèle deux dangers majeurs. D’une part, on va bien finir par s’apercevoir que la loi ne permet aucunement de prévenir la récidive : la tentation sera forte alors, de baisser la barre. Au gré des faits divers, on pourra étendre l’application de la rétention de sûreté aux condamnés à 10 ans, à 8 ans, etc..
Ensuite parce qu’il va être tentant, pour des jurés inquiets, de prononcer des peines au-delà de la barre des quinze ans, lorsqu’ils le peuvent, uniquement pour s’assurer d’une expertise psychiatrique en fin de peine, au cas où.
Il s’agit donc d’une urgence lente, en somme.
La réunion d’aujourd’hui se tient sous l’égide du club « Dès maintenant, en Europe », de 10h à 17h , à l’Estran, 10, rue Ambroise Thomas, Paris 75009. « Sur le plan politique », annonce le document de présentation, « une telle réflexion a vocation à trouver sa place dans un champ beaucoup plus large : celui de la reconstruction d’une gauche radicalement réformiste, intégrant ses diverses sensibilités et fidèle à ses valeurs humanistes ». Et je n’en sais pas plus…