C’est un cinéma sis à Parthenay, Deux Sèvres, un de ces vaillants cinoches qui s’entêtent à programmer pour de vrai, soit : une grande salle pour la fréquentation et les blockbusters, une petite pour le plaisir et les autres films, en résumant hâtivement. Nous, on y va aussi souvent que possible, y compris pour voir des films qui passent à deux cents mètres, à Paris, chez MK2. Au Foyer, il y a un petit plus.
Déjà, il faut traverser un café pour accéder aux salles. On se gare sous les platanes, on fait la queue le long du comptoir formica, deux Doritos et trois Carambar, la maison n’est pas pop corn. Puis, tandis qu’environ 95% des spectateurs optent pour le couloir de gauche et Hulk,on prend celui de droite, quand ça démarre il faut parfois hurler « le point », comme autrefois. Le café, les programmes imprimés sur feuillets rose buvard , le long couloir, voilà : ça m’éveille les neurones cinématographiques.
Pourtant ce soir là on était bien douze dans la salle pour Eldorado, dont une franchement réticente, moi.
Je déteste les road movies. A un ou deux chefs d’œuvre près. Le tandem, l’errance, la Rencontre Improbable, la Brouille et/ou la Trahison,le road movie, d’ordinaire, m’intéresse autant qu’une soirée sur un rond-point sortie de ville.
D’ailleurs, il y a tous ces ingrédients dans le film de Bouli Lanners, et plusieurs Belgiques. L’une proprette avec ses vitres astiquées de pays où l’on craint toujours de manquer de lumière, à peine entrevue,l’autre sous-amérique décatie, et quelques lieux somptueux, des horizons presque russes. Il y a au volant un gros en bermuda de jean effrangé, le système pileux désordre, à ses côtés un toxico regard languide et verbe rare, qui oscille au bord du n’importe quoi. Le gros va dire, en préalable à tout départ : « je te préviens, moi, je ne prends jamais les autoroutes », ce qui vaut pour le film.Il n’y va jamais, sur les autoroutes, ce film.
Il y a des rencontres, bien sûr, Philippe Nahon vous colle la frousse, il y a un lieu qui a tout l’air d’être un cimetière bucolique pour caravanes, ou une annexe d’hopital psy. C’est là que j’ai calanché, oubliant le road, le movie, embarquée comme chez Kaurismaki, dont Bouli Lanners n’est pas si éloigné.
Il y a une mère fracassée. Non, la mère, le potager, pour ceux qui n’ont pas vu, zéro description prématurée. Ce n’est pas un film qui soulève des problèmes, il soulève le spectateur, c’est plus rare.
On se doute que pour les deuxhéros qui n’en sont pas,les espérances sont modestes. La destruction d’un espoir minuscule, c’est perforant.
Urgence, donc, pour Eldorado. Bon, le film a été récompensé à Cannes, et la critique du genre bienveillant, à grands renforts de « formidable humanité », « humour », et « décalé ». Il a franchi le cap des 100 000 entrées au cœur de l’été, passe encore dans une cinquantaine de salles , d’Yvetot à La Souterraine en passant par Paris et Saint Rémy de provence, et le bouche à oreille fonctionne pleinement, on dirait.
L’urgence, c’est pour ceux qui n’ont pas encore vu. La rentrée va surement expédier Eldorado au paradis des succès de l'été. N’attendez pas la sortie DVD. Car Eldorado a été tourné en Scope,et je ne sais pas trop qui est Bouli Lanners, infos bienvenues, mais cet homme à l’œil d’un peintre, frondaisons au dessus d’une route, bousculade de nuages, fricheset visages en friche, coups de vent et rivière sombre,il y a de l’ampleur. Ce serait dommage de découvrir tout ça sur un écran de télé.
Nous, on est du genre commentateurs pro des films. On décortique passionnément, on s’empoigne. Mais ce soir-là, les phares de la voiture on attrapé une frange platanière, un muret, puis l’envers bousillé d’un triste lotissement. On ne disait rien, on faisait durer.