Il y a un an, jour pour jour, Anasstassia Babourova, photographe , 25 ans, et Stanislas Markelov, avocat, 33 ans, étaient abattus en plein Moscou, devant témoins. Lors des obsèques, les kiosques alentour furent dévalisés, les fleurs en montagne. Aujourd’hui, tout rassemblement en leur mémoire vient d’être interdit[1]. Mais la colère et les mots eux ,circulent. Dont une terrible lettre ouverte des parents.

Dans ce texte publié par Novaïa Gazeta, qui employait Anastassia ( septième collaborateur abattu !), les parents de la jeune femme interpellent violemment les autorités. « C’est la Russie, c’est Moscou, c’est le fascisme »[2] Voilà pour le titre…
le 19 janvier 2009, le tueur, pourtant, ne voulait sans doute s’en prendre qu’à Stanislav Markelov, engagé dans le combat pour les Droits de l’homme, qui avait réussi , victoire isolée, à faire condamner un officier russe violeur et assassin d’une jeune tchétchène. Ce n’était pas une de ces discrètes exécutions « utilitaires »,mais publique, en plein centre de Moscou, avec valeur d’avertissement.
Anastassia a esquissé un mouvement vers le tireur : une balle dans la tête. Elle n’est alors pas connue, mais son visage, ou plutôt ce qu’il raconte, va faire le tour du monde.
Au lendemain des assassinats, une bouteille de champagne est déposée sur les lieux, avec un mot, « ton papa t’avait dit qu’il ne fallait pas être ami (e) avec les barbus ». Suit par mail une revendication « nationaliste », et menaçante.
Des parents d’Anastassia Babourova, on ne connaît d’abord que des visages contractés de chagrin, cette photo qu’ils serrent contre eux. Une photo sage qui pourrait sortir d’un de ces albums de « promo », en version fac américaine.
Mais Anastassia n’était pas si sage, ou bien elle l’était, justement. Dans le silence judiciaire qui suit sa mort, des fragments de son blog sont diffusés. « Je deviens adulte d’une manière irréversible », note-t’elle. Elle note aussi les manifestations, se souvient de Borodaenko, militant écolo abattu un an plus tôt, suit la manif anarcho-autonome en soutien à Tarnac ( les photos sont d’elles), ne dort pas beaucoup, lit énormément, s’indigne de l’homme mort dans une rue, dénonce la mutation – organisée – d’une fête de libération en une célébration de la nation, haineuse pour tout ce qui n’en est pas, écrit en gros « l’antifascisme n’est pas un crime ! », elle rêve – « avec ma troisième paye, je m’achèterai une maison sur la lune », « je veux être immortelle et aimer un immortel »…

Le 28 octobre dernier, Bernard Kouchner, à l’Institut français de presse, rend hommage à Anastassia Babourova. Ses parents sont là, ils hochent la tête, chagrin vitrifié.
Comme souvent lorsque l’échine occidentale frémit d’une légère indignation, voici qu’on arrête, en novembre, le tireur, Nikita Tikhonov, et sa compagne. Groupe fascisant. Novaïa Gazeta poursuit la sienne, d’enquête.
Memorial reste sur l'expectative: trop de procès pour rien, lorsqu'il y a procès.
Et voici que les parents, ces parents auxquels on demande de satisfaire d’une enquête partielle, d’une détention provisoire prolongée jusqu’en avril prochain, dénoncent ce que l’on sait déjà : ces groupes fascistes ne sont pas composés seulement de paumés incultes aux crânes ras, mais organisés, formés, le pouvoir poutinien le sait. Et plus si affinités. Le meurtrier n’a pas à trop s’inquiéter, même condamné, il aura tôt fait d’être libéré. Nikita Tikonhov, 29 ans, a fait ses preuves au sein des groupuscules d'extrême drpoite.
Aux manuels d’Histoire dont Medvedev a récemment ordonné la réécriture unique, ils opposent une histoire simple, celle de leur famille : « Vous avez tué une jeune fille russe dont le grand-père, le capitaine Fiodor Ivanovitch Babourov, a été tué pendant le seconde guerre mondiale en luttant contre les envahisseurs fascistes. Son second grand-père, Glotov Ivan Afanassievitch, 18 ans, était en dernière ligne de défense à Sebastopol. Leur petite-fille, 67 ans après, en temps de paix, a été tuée par des neo-nazis dans le centre de Moscou, près d’un Kremlin qui les tolère. »
Fin décembre, un jeune ghanéen a été assassiné de multiples coups de couteau , crime revendiqué sur site . Et un Tadjik. D’autres, chanceux, sont seulement dérouillés.
Sur le blog d’Anastassia - interdiction de se réunir, mais pas de se souvenir- ceci :
« Comme c’était dur de regarder dans les yeux cet étudiant coréen que deux débiles viennent de frapper. Ils ont sauté du tram en levant le bras dans un salut fasciste ».
Quatre jours avant sa mort, ses parents ont reçu une dernière lettre d'elle. Intuition, crainte ? Elle leur disait adieu.
ps: pas de manifestation, mais des "piquets" autorisés.. voir ci-dessous.
Traduction de Margarita Bertrando
Crédits photos: Kartinki /eburgnews, Radikal.
[1] http://www.newsru.com/crime/29dec2009/ganamurdcut20wspb.html
[2] http://www.novayagazeta.ru/data/2010/004/02.html