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Billet de blog 21 octobre 2008

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Rachida Dati: au parloir!

C’était l’absence de trop, le mépris de trop. Lundi matin, alors que les syndicats pénitentiaires, pour une fois unanimes, arrivaient à la Chancellerie pour discuter avec leur ministre des suicides en prison,réunion prévue depuis dix jours, il furent informés que Rachida Dati leur avait posé un lapin, occupée ailleurs.

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C’était l’absence de trop, le mépris de trop. Lundi matin, alors que les syndicats pénitentiaires, pour une fois unanimes, arrivaient à la Chancellerie pour discuter avec leur ministre des suicides en prison,réunion prévue depuis dix jours, il furent informés que Rachida Dati leur avait posé un lapin, occupée ailleurs.

Tout aussi unanimes, les syndicats ont annoncé un blocage total des prisons pour le 13 novembre prochain. Rien n’y a fait, ni les coups de fild’excuses de la ministre, ni l’annonce d’une seconde réunion pour le 7 novembre. Ils peuvent avoir un côté têtu, les surveillants, et nombre de Garde des Sceaux en ont gardé un souvenir cuisant. Dur retour de bâtonpour une ministre qui aura fait de son mieux pour les remplir, ces prisons, et devra dans l’intervalle affronter la grogne des magistrats .

Tandis que les suicides se multiplient, et même se précipitent depuis début octobre – 90 depuis le début de l’année, un tous les trois jours en moyenne,et il faut savoir que seuls les morts en prison sont comptabilisés, pas les hospitalisés qui meurent après coup – tandis que la Grande Loi Pénitentiaire à peu près vidée de sa substance est sur voie de garage, que la France vient d’être condamnée par la cour européenne ( http://www.mediapart.fr./journal/france/191008/suicides-en-prison-la-france-condamnee-par-la-cour-europeenne ) que 63% des prisons sont surpeuplées ( les centrales pour longues peines ne peuvent accueillir plus d’un détenu parc cellule), que 7% d’entre elles ont un taux de 200% de suroccupation. Il faut visionner le film made in Chancellerie, qui était encore disponible il y a quatre jours sur Dailymotion ( toujours présent sur le site de la Chancellerie: http://www.justice.gouv.fr/index.php?rubrique=10036&ssrubrique=10264&article=11803#video ). Il s’agissait de recruter, jusqu’au 17 octobre, des candidats au métier de surveillant. L'utopie réalisée, ce film. Je vous jure : il n’y a plus personne, en prison. Juste une poignée de surveillants en tenue marine façon policier à vélo, bavassant dans un grand hall, qui évoque davantage le prochain vol pour Tokyo que l’encombrement cellulaire. C’est propre, c’est vide, c’est blanc, c’est virtuel : pas un seul détenu.

Ils n’existent pas.

Et les surveillants, à peine. On pourra utilement comparer avec le film , finalité identique, dont on s’est fendu en Belgique. Avec entre autres cette phrase d’un directeur de prison sur le métier : « Non, je ne pense pas que ce soit cool ».

Un job d'agent pénitentiaire? © Selor

Les syndicalistes qui aujourd’hui parlent d’un « monde pénitentiaire à l’agonie » ontchangé. Monde pénitentiaire, déjà : ce n’est plus « eux » et « nous ». Nous sommes loin des surveillants qui en 81 protestaient contre l’abolition de la peine de mort et la suppression des QHS sous les fenêtres de Badinter. Loin de la grogne qui a précédé l’introduction des télévisions dans les cellules ( qui pourtant ont beaucoupfait pour calmer tout mouvement des prisonniers). Loin des revendications salariales ( la dernière augmentation a eu lieu en juin dernier), voire identitaires.

La crise économique ( euh..la première) a précipité vers l’AP nombre de jeunes gens peu qualifiés, en recherche de travail, qui ont retrouvé derrière les barreaux leurs jumeaux sociaux en version délinquante. Les uns se sont protégés par plus de raideur, d’autres ont jeté l’éponge dès que possible, d’autres encore… Pas de chiffres officiels sur le sujet, mais entre les morceaux de shit, les portables ou les messages passés par de jeunes gardiens à d’aussi jeunes détenus, il y eut pas mal de sanctions. Il y a dix ans, un gardien de 25 ans, boucle à l'oreille, me confiait qu’il menait une double vie. Il avait caché à tous ses copains, et même à sa compagne, quel était son métier..

« Humanité », peut-on lire sur un oriflamme virtuel du film de recrutement. Mais surpopulation rime avec moins de promenades, moins d’activités possibles, moins de temps pour quiconque, plus de tension, plus de sanctions. 90% des suicides ont lieu en maison d’arrêt. Chez les prévenus , surtout. La démarche des surveillants, lundi, était celle d’une corporation qui accepte le sale boulot – garder- mais n’entend pas jouer les fossoyeurs. Rachida Dati ne l’a pas compris à temps. Le 13 novembre, donc, commencera le blocage des prisons. Et qui en fait les frais, de ces blocages ? Les détenus, privés de parloir.