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Billet de blog 22 octobre 2011

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« On l'a laissé sortir en comptant qu'il mourrait dans l'année. »

Voilà qui est fait. Vassili Aleksanian, avec trois ans de retard, a fini par exaucer le vœu des autorités russes, si délicatement formulé. Le 3 octobre dernier, il est mort, même pas quarante ans. Au cimetière Valkhansky, à peine plus de cent personnes pour l'enterrement de cet avocat qui a payé si cher sa loyauté.

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Illustration 1
© DR

Voilà qui est fait. Vassili Aleksanian, avec trois ans de retard, a fini par exaucer le vœu des autorités russes, si délicatement formulé. Le 3 octobre dernier, il est mort, même pas quarante ans. Au cimetière Valkhansky, à peine plus de cent personnes pour l'enterrement de cet avocat qui a payé si cher sa loyauté.

Pourtant, en 2008, il avait fallu un important mouvement de soutien en Russie même ( ainsi qu'en Arménie, d'où Aleksanian est originaire), une mobilisation internationale soutenue, et trois admonestations de la Cour européenne pour obtenir son hospitalisation, puis sa libération. Poutine, puis le tandem Medevedev-Poutine ( avant le probable tandem Poutine-Medvedev) ont l'oreille dure, côté droits de l'homme.

Atteint du sida, d'un cancer du foie, de tuberculose, Vassili Aleksanian espérait tenir, le plus longtemps possible. Nous l'espérions pour lui. La maladie, l'affaire Ioukos, la prison, le harcèlement des autorités et... la Grande-Bretagne ne lui auront pas permis de vivre davantage.

L'histoire de ce jeune juriste doué, engagé par Khodorkovski est d'abord celle d'un immense courage ( voir billet antérieur). Au moment où Ioukos est décapité par les arrestations, il aurait pu s'éloigner, laisser tomber, comme on le lui conseillait .Il n'était pas dans la ligne de mire, tandis que Poutine s'apprêtait à dépecer et faire racheter en sous-main la firme. Percevant immédiatement les enjeux, loi bafouée, procédure truquée, vengeance à la fois économique et surtout politique contre Khodorkovski, il a choisi de rester et s'est retrouvé bombardé, par défaut en somme, « vice-président » de Ioikos ( les candidats au poste ne se bousculaient pas).

Arrêté à son tour, envoyé en prison où, en plus du Sida, on diagnostique son cancer, et alors que les médecins préconisent une chimiothérapie immédiate, on le laisse sans soin. Et même pire.

Illustration 2
© DR
Illustration 3
© AFP

Entre ces deux photos, à peine cinq ans, dont deux en prison. On lui a mis le marché en main. Qu'il témoigne à charge contre Khodorkovski et Platon Lebedev ( les deux dirigeants de Ioukos) et on le soignera. A l'étranger, même ! Vassili Aleksanian sait qu'un témoignage ne changerait pas grand-chose, les condamnations sont acquises d'avance. Il refuse deux années durant.

Lorsqu'il comparaît devant un tribunal, recroquevillé de froid, toussant, parlant difficilement, amaigri, il ne cède rien. Rappelle à des juges mutiques que l'Histoire se souvient des serviteurs zélés de la répression. Evoque le passé encore proche pour éclairer le présent, en appelle à un changement de régime. Une certaine idée de la Russie..

Hospitalisé, enfin, on l'enchaîne au lit ( il peut à peine se déplacer, et il faudra que ses avocates multiplient les déclarations pour que les entraves soient supprimées). Libéré sous caution, il n'est pas quitte pour autant.

En juin 2010, son dossier est clos par la justice ( entretemps, il est apparu que sa prétendue « complicité » était basée sur un faux surgi fort à propos ), on exige qu'il comparaisse en personne. Les médecins qui le suivent lui interdisent pourtant toute apparition publique en raison des risques immunitaires.

Le reste, les harcèlements, l'accumulation d'empêchements qui sont autant d'agressions contre un malade , vous pouvez le lire ici, et cela se passe de commentaire. La journaliste Zoia Svetova a recueilli, au fil du temps, les paroles de Vassili Aleksanian, que celui-ci refusait de publier de son vivant, afin de ne pas nuire à ceux qui sont encore en prison. Ses propos sont aujourd'hui traduits sur le site de l'Observatrice.

On y apprend ainsi qu'en octobre, alors que son médecin traitant lui demandait de se rendre à Londres pour arrêter un nouveau protocole de traitement, la Grande-Bretagne lui a refusé un visa d'entrée, au motif qu'il pourrait ne pas vouloir rentrer en Russie... Ma foi, c'était possible : au-delà d'un certain seuil, on voyage peu.

On a connu la Grande Bretagne plus ferme en refusant d'extrader Ahmed Zakaïev, ministre du gouvernement tchétchène en exil, plus offensive en exigeant qu'on lui envoie les auteurs présumés de l'assassinat de Litvinenko à Londres. Et on regrettera que Vassili Aleksanian, qui ne transigeait pas avec les parodies de justice, soit mort juste après avoir s'être vu refuser, par un pays occidental, ce minimum : pouvoir se soigner.