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Billet de blog 26 mars 2010

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Khodorkovski, en l'absence de l'auteur, empêché.. un visage

En voilà un qu'on ne risque pas de coincer en séance dédicace au stand russe du Salon du livre qui ouvre aujourd'hui. Il a pourtant reçu , en janvier dernier , le prestigieux prix littéraire de la revue Znamia, pour sa correspondance avec l'écrivain Ludmila Oulitskaïa. Mikhaïl Khodorkovski fut l'homme-le-plus-riche-de-Russie, l'un des plus honnis, il en est maintenant le prisonnier le plus célèbre, retenu par un procès du type au long cours, le plus.. Le plus quoi ?

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En voilà un qu'on ne risque pas de coincer en séance dédicace au stand russe du Salon du livre qui ouvre aujourd'hui. Il a pourtant reçu , en janvier dernier , le prestigieux prix littéraire de la revue Znamia, pour sa correspondance avec l'écrivain Ludmila Oulitskaïa. Mikhaïl Khodorkovski fut l'homme-le-plus-riche-de-Russie, l'un des plus honnis, il en est maintenant le prisonnier le plus célèbre, retenu par un procès du type au long cours, le plus.. Le plus quoi ?

La Cour européenne des droits de l'homme va apporter un élément de réponse. Elle vient il y a quelques jours, d'accepter d'examiner si l'ex-oligarque, ex-président de Ioukos, a eu droit « à un procès équitable » .

Comme le soulignait Barack Obama simple sénateur ( le président est nettement plus prudent), c'est à se demander s'il n'y a pas un règlement de compte poutinien par là derrière.

Voici pour le tribut informatif, qui n'est pas rien, loin de là. Comme le déclarait Khodorkovski au Monde : « Je ne suis pas le seul concerné, il y a aussi les journalistes, les avocats, les défenseurs des droits de l'homme qui risquent quotidiennement leur vie en défendant leurs idéaux et en combattant pour la vérité. Il est primordial pour nous de sentir que nous ne demeurons pas dans le vide ».

Ce vide de l'attention flottante qui est le nôtre. Réceptive en dérive.

Et, bien sûr, on regarde le visage à la fois émacié et rayonnant de cet homme dans l'aquarium du tribunal de Moscou, l'œil qui s'aiguise et l'épaule qui tient bon. Loin du surdoué des affaires qui arpentait conquérant les champs pétrolifères, et répétait, devant un parterre d'adolescents attentifs, son credo liberal avec une clarté qui confinait à la naïveté.

Et donc, ce prix littéraire est un indicateur. Huit ans à Chita, Sibérie, l'acharnement judiciaire, les critiques bien senties envers le pouvoir que le prisonnier publie ici et là ont mué, pour une partie de l'opinion , le profiteur, juif de surcroît, en une figure familière du paysage russe, l'intellectuel embastillé. Un homme que l'on écoute. Comme lorsque, il y a quinze jours, il a lancé un appel à Medvedev. Changez les prisons, vite. Sinon ça changera comme d'habitude ici : « par le bas et dans le sang ».

Les oligarques, les autres, qui ont su négocier avec Poutine et plier lorsqu'il le fallait, coulent des jours footballitisques et fortunés à Londres ou ailleurs : alors, pourquoi celui-là, qui a refusé de fuir quand il le pouvait ? Gageons pourtant que les Russes ne croûlent pas sous les informations concernant la fabuleuse fortune personnelle qu'a amassé Poutine..

On s'entasse au procès Khodorkovski. Droits de l'homme, dissidents avancés en âge, jeunes opposants à Poutine de toutes obédiences, anciens prix Nobel, ou encore Boris Akounine, populaire auteur de polars.

Loudmila Oulitskaïa, elle, petite dame au verbe précis et posé, qui n'a rien d'une pétitionnaire acharnée, est célébrissime en Russie où elle vend à plus d'un million d'exemplaires, célébrée ailleurs ( Gallimard pour la France, où son roman Sonietchka a reçu le Médicis étranger).

"JE N' AIME PAS LES RICHES"

En 2008, elle envoie une première lettre à Khodorkovski, qu'elle ne connaît pas. La prison, la Sibérie, par contre, font partie de son histoire. Ses grands-parents ont passé vingt ans en camp. C'est là, peut-être, leur seul point de rencontre, a priori. Pour le reste, tout les oppose. Et c'est précisément ce qui rend l'échange, publié par Novaïa Gazeta et Znamia, non traduit en France encore, si passionnant. L'ex-oligarque ne se dérobe pas aux questions, et tandis que leur relation s'affermit, épingle les stéréotypes de sa correspondante, alors que Loudmila Oulitskaïa ose les questions dérangeantes .

Alors, vous êtes plutôt tendance Soljienytsine ou Chalamov ?, lui demande t'elle d'entrée. A savoir, la prison comme épreuve qui grandit et construit, ou la prison comme machine de destruction. Chalamov, nettement Chalamov, dit Khodorkovski. Ici le mensonge est vérité, nulle révélation, et celui qui n'est pas brisé est perçu comme une menace.

Moi, écrit Oulitskaïa, je n'ai pas l'étoffe d'une héroïne. Jamais je ne serais allée manifester à dix sur la place Rouge pour me retrouver en hopital psy ( célèbre manifestation des années 70 pour plus de liberté). Mais les gens comme vous, qui entrent aux komsomols ( jeunesses communistes et autrefois passage obligé vers une carrière épanouie), ça non, jamais.

"JE ME SENTAIS ETOUFFER"

Mes parents étaient des « chuchoteurs », dit Khodorkovski. En désaccord avec le pouvoir, mais apparemment conformes, pour mon bien. Ils ne voulaient pas que je devienne un mouton noir du système. Il fut un komsomol à la fois convaincu et indiscipliné. Habité par la guerre froide et rêvant d'œuvrer à la défense du pays. Puis, la perestroika, et l'effondrement rapide, interne, du système.

« Je n'aime pas les riches. J'ai un sentiment aigu de justice sociale, j'ai honte pour les riches ». Ecrit Oulitskaïa. « Vous avez franchi la ligne rouge de ce qui est permis . Quels sont vos repères éthiques ? »

A 22 ans, Khodorkovski rencontre Eltsine. « Je me considère comme un voltairien, liberté de penser et parler : à cet égard Eltsine était mon idéal ». "Il n'y a jamais eu de purs et durs d'un côté, des respectables de l'autre. Comme les autres, j'étais un soldat dans une guerre qui n'était pas de mon fait ».

Un soldat plus doué que d'autres, qui en toute loyauté avertit Eltsine des failles de la loi, avant de les utiliser pour s'enrichir. « Mais vous savez, le temps de la major league ( les oligarques) , c'était quasi végétarien, à côté des raiders d'aujourd'hui... » « Nous avons ( Khodorkovski déteste l'appellation « les oligarques", des individus divers, poursuivant des buts différents, dit-il) fait du lobbying, jeté de l'argent par les fenêtres, oui.. » « La prise de conscience pour moi, ce fut 98 ( effondrement bancaire, épargne perdue, salaires non versés, crise majeure) . Jusque là, c'était un jeu. Je ne pouvais plus rester un simple « directeur » »

« L'idée socialiste survit. » (...) « Cela m'a pris du temps , pour comprendre les valeurs humaines. » « Je ne suis pas un révolutionnaire . D'ordinaire, je laisse la politique à d'autres, plus actifs. Mais à un moment, je n'ai pas pu. Je me sentais étouffer ».

On se souvient alors de cette video. Réunion annuelle au Kremlin entre Poutine et la fine fleur des oligarques. Dans un silence tétanisé, Khodorkovski dit qu'il serait de temps d'agir contre la corruption au sommet de l'Etat, et cite nommément des proches de l'ancien du KGB. Dans le même silence , Poutine rétorque qu'on va se pencher sur l'origine des fortunes..

Oulistkaïa, désormais, suit souvent les audiences du procès de Moscou. Comme d'autres, elle note. Huit jours pleins pour lire l'acte d'accusation, un pensum indigeste qui vise à démontrer que Khodorkovski a détourné plus de pétrole que Ioukos en a jamais produit. Des rires parfois, quand l'accusation estime que Gibraltar est une île, où qu'elle prend en compte la note d'un employé qui a griffonné un mot : "j'ai fini, je laisse les clés ». Des soupirs, des notes et des rires devant des témoins pas très au fait de ce qu'ils doivent raconter. Des procureurs en service commandé. Vingt-deux ans d'emprisonnement à la clé.

Khodorkovski et Platon Lebedev, son ami et co-accusé ont déjà obtenu gain de cause à Strasbourg pour « arrestation illégale ». Huit ans après, quelques milliers d'euros, et une condamnation gênante.

Pas pour tout le monde. La semaine dernière, notre vaillant président a félicité le président Medvedev : « "Votre attachement à l'état de droit, au respect des lois, à la sécurité juridique, à la défense des droits de l'Homme facilite beaucoup le rapprochement entre nos deux pays ».

Pas grave, hein. Medvedev le trouve marrant, Sarkozy ( cf video ci-dessous).

Dialogues avec Ludmila Oulitskaïa, publié par Novaia Gazeta ( extraits) et la revue Znamia

Sur le parcours de Khodorkovski, Le prisonnier du silence, de Valery Paniouchkine, Calmann levy

Ou en très court: http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/dominique-conil/300308/interview-live-en-siberie-2

Légende (passée à la trappe quelque part dans la machine): les trois dames lors de la remise du prix Znamia: au fond Anastasia, la fille de Khodorkovski, au micro Ludmila Oulitskaïa, à gauche l'une des avocates, Me Loukianov