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Billet de blog 27 avril 2008

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Le Pen, le prof, Verhoeven et autres: revue de détails

En voie d’invisibilité, Jean-Marie Le Pen récidive sur la Shoah comme détail, et tout d’abord, on est tenté de faire silence. Le pire, pour lui, ne serait-il pas l’absence totale d’écho ? Sauf que, les détails troublants s’accumulent, le leader du Fn n’en est qu’une composante.

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En voie d’invisibilité, Jean-Marie Le Pen récidive sur la Shoah comme détail, et tout d’abord, on est tenté de faire silence. Le pire, pour lui, ne serait-il pas l’absence totale d’écho ? Sauf que, les détails troublants s’accumulent, le leader du Fn n’en est qu’une composante.

L’article de Marine Turchi , boîte noire de l’interview accordé à Bretons, le montre bien : on respire un grand coup, on dévale la pente.Ses thèmes favoris- insécurité, peur et haine de l’étranger – lui ayant été confisqués par des politiquesplus acceptables, plus modernes d’allure,ne lui resteque ça, à Le Pen, pour se propulser en Une des journaux ou de la page d’ouverture Orange.En feuilletant le classeur histoire d’un élève de 3e, je m’étonnais il y a peud’y trouver six pages sur la Seconde guerre mondiale, dûment fournies en schémas avec déplacement de troupes, front de l’Est, débarquements, et un court paragraphe, en fin, sur les camps, la déportation, l’extermination. Plusieurs semaines de cours avaient été consacrées au sujet, vingt minutes à la Shoah, le professeur avait expliqué qu’il fallait « replacer les événements en perspective », et dans cette perspective là, la Shoah ne valait plus que cinq lignes. Attention, ce professeur, cours fournis et préparés, exigeant, intéressant, jouit d’une excellente réputation.Les « perspectives » varient grandement d’un enseignant à l’autre, bien sûr. L’Education nationale, les cours, ne sont pas, pour des collégiens, l’unique source d’information, loin s’en faut. Un adolescent curieux peut, par exemple, diriger ses pas vers la plus proche boutique de location DVD. Si la maison est riche, il y trouvera Shoah de Lanzmann, par exemple. A coup sûr, il tombera sur Black Book, de Paul Verhoeven et probablement sous le charme évident de Carice van Houten, interprète principale. Le film (www.blackbook-lefilm.com) sorti fin 2006, diffusé par Canal il y a un mois et demi, fait depuis décembre dernier une excellente seconde carrière en location.Il a reçu, tant en France qu’ailleurs, un bel accueil critique. «A ma surprise, il n’y a pas eu de polémique», disait Paul Verhoeven, et on comprend son étonnement.

Scénario bien charpenté, interprétation parfaite, tout ce qu’il y a de palpitant, Black Book ambitionne de d’éclairer «les zones d’ombre et les non-dits» de la fin de la guerre au Pays-bas (dixit les Inrocks). Rachel, jeune juive qui voit sa famille massacrée lors d’une tentative de fuite (un résistant-traître a vendu tout le monde), rallie ladite résistance. Elle y est chargée de séduire un haut officier nazi. Ils tombent amoureux. «Je voulais tenter une approche moins héroïque, plus authentique de cette période», explique le réalisateur. De fait, on voit dans le film des résistants –traîtres, des résistants qu’il ne faut pas pousser beaucoup pour qu’ils se révèlent antisémites, les épouvantables conditions de détention des collaborateurs après la libération (et, dans la mesure où c’est la jeune juive résistante qui s’y retrouve, espérons que notre adolescent- curieux-type aura bien saisi que l’endroit était destiné, a priori, aux membres du parti nazi hollandais et aux collaborateurs notoires). Toutes choses incontestables. On y voit aussi un nazi du type humaniste, interprété par Sebastien Koch (La vie des autres). Il est là, le détail gênant. Car ce nazi n’est pas un officier de la Wermacht «emporté par la tourmente de l’Histoire», en proie à une tardive prise de conscience (la Libération approche). Il est un haut officier de la Gestapo. Interrogé, dans le film, sur sa carrière, il indique qu’il était auparavant en poste à Varsovie, puis Paris, deux villes où la Gestapo ne s’est pas croisé les bras. On n’entrait pas par accident à la Gestapo, il fallait des convictions, et un goût pour la chose. Néanmoins, avant même de tomber amoureux, notre gestapiste s’exclame, à propos d’une exécution d’otages : «Assez de sang versé !» Qu’on se rassure, le gestapiste humaniste finira abattu par ces idiots de résistants, qui n’ont rien compris. Paul Verhoeven explique qu’il a tourné le film en Europe, «les Américains n’auraient pas laissé passer la scène où la fille se teint le pubis, ni un nazi sympathique, ni un résistant collabo» (interview dans les Inrockuptibles). A propos de ce pubis teint, encore un détail. Décolorée blonde aux fins de séduction, Rachel se dévêt devant l’officier. Il la fixe (pas dans les yeux), le doute l’envahit visiblement. Va-t-il s’exclamer : ciel, une fausse blonde ! Non, il comprend illico : «tu es juive !» Et cette expertise à hauteur de sexe fait étrangement écho à d’autres, baissez le pantalon, qui ne s’achevaient pas dans un lit.

L’adolescent curieux n’est pas forcé, bien sûr, de tomber sur Verhoeven, il peut par exemple louer Good German, de Soderbergh, avec George Clooney et Cate Blanchett (sorti à peu près en même temps). Atmosphère glauquissime de l’après- guerre (période Postdam) dans Berlin occupé par des Alliés qui ne le sont plus guère. Trafics louches, concurrence déloyale pour mettre la main sur des scientifiques ou des criminels, ou les deux à la fois. Clooney, lui, poursuit un but, retrouver celle qu’il a aimée avant guerre, juive allemande dont il ne sait même pas si elle a survécu. Elle a. L’amour aidant, Clooney en vient à essayer d’aider à fuir l’époux de la jeune femme, ardemment recherché. Scientifique, il était chargé de calculer les rations journalières du camp de Dora (soit, juste assez pour satisfaire les quotas de production, sans une calorie de rabe, un vrai casse-tête). En une scène finale, clin d’œil à Casablanca, Cate Blanchett va mettre les points sur les i. Si elle a survécu, c’est en travaillant pour la Gestapo, en dénonçant les Juifs. Elle explique, méprisante, comme ils étaient facile à repérer. Une juive nazie, Clooney calanche. Claude Lanzmann, depuis des années, insiste sur la méfiance que lui inspire toute fiction à partir de la Shoah. Mais il ne peut y avoir d’espace interdit à l’imaginaire. Il est salutaire d’aller revisiter l’histoire, y compris en ses bas-fonds. Néanmoins, les exigences scénaristiques aidant (du nouveau ! du nouveau !), se produisent des confusions entre renouvellement et inversion des rôles. Détails, détails. Mais les détails accumulés produisent au final d’étranges vues d’ensemble.